« Wolf Man » de Leigh Whannell : L'Heure de l'homme
Wolf Man n'est pas tout à fait un film de loup-garou. Ou du moins ce n'est pas le film attendu. Grâce à un travail habile sur la perception, il déplie un récit reposant sur le caractère contingent de la mort qui figure d'abord la lutte d'un homme contre l'animalité pour ne jamais lui céder le pas. Le film surprend par sa déchirante irréversibilité et son attention pour ce qui résiste avant la perte : il sonne l'heure de l'homme plutôt que celle du loup.
« Wolf Man », un film de Leigh Whannell (2024)
Dans le prologue de Wolf Man, alors que le jeune Blake et son père sont partis pour une journée de chasse dans la beauté intacte de l'Oregon sauvage, ce dernier dit à l'enfant qui n'est pas encore tout à fait adolescent que mourir, dans la vie, est une chose qui peut arriver très facilement et sans aucune logique, le père faisant par là référence en filigrane à la mort de la mère qui ne sera jamais mentionnée. Si Wolf Man rejoue a priori très classiquement la question du meurtre du père dans le cadre strict d'un récit métaphorique épuisé, le quatrième film de Leigh Whannell se montre bien plus inspiré quand il déplie une narration reposant sur le caractère aléatoire de la mort et, surtout, quand il figure la lutte de l'homme contre l'animalité pour ne jamais lui céder le flambeau. Car dans Wolf Man, ce n'est pas le loup qui frappe à la porte, mais les derniers restes d'humanité d'un homme qui aura réussi à inverser le cours de sa vie pour devenir celui qu'il devait/voulait être en opposition au destin qui l'attendait. Si la mort du père qui est le vrai monstre du film passe pour une victoire symbolique dont on connaît la chanson, celle du fils, devenu le père exemplaire qu'il n'a jamais eu, surprend par sa déchirante irréversibilité liée à la fragilité de notre existence sur laquelle le couperet peut tomber à tout moment, sans aucun salut possible. Voilà donc un blockbuster qui détonne dans le paysage actuel d'un Hollywood qui peine à se réinventer. Certes, Universal déterre son loup-garou aux crocs d'or, mais il serait dommage de passer à côté des quelques éclats que porte le film de Leigh Whannell.
Le prologue de Wolf Man pose habilement ce qui fera ensuite la force du film : un découpage des perceptions des personnages que Leigh Whannell fera évoluer au contact de la maladie et de l'intersubjectivité. Le jeune Blake est réveillé au garde-à-vous par son père alors qu'il rêvait sans doute profondément. Tiré de cet autre monde, il déjeune en face de celui qu'il appelle Monsieur, mais il est plutôt captivé avec tendresse par le regard de son chien pour lequel il esquisse une petite grimace. On comprend déjà que la chasse ne sera pas son affaire et que sa sensibilité est étrangère à la brutalité de ce père cherchant à endurcir son fils. Lorsqu'ils sont dans la forêt, Blake regarde la cime des arbres quand un plan en contre-plongée épouse son regard vers le ciel, avant que le père ne le rappelle à l'ordre en lui disant qu'il faut rester vigilant à tout moment. Deux modes d'être s'opposent pour deux rapports diamétralement opposés au monde, l'un dans la survie et l'autre dans la contemplation. Ce même plan est reproduit à la fin du film lorsque Blake, métamorphosé et agonisant, rend son dernier souffle, allongé dans cette forêt qu'il a d'abord aimée pour sa beauté. Pourtant, son père lui transmet aussi cette capacité à toujours s'émerveiller de la beauté de cette vallée de l'Oregon qu'ils connaissent par cœur. Blake répétera d'ailleurs cette phrase plus tard à sa femme, cette découverte justifiant à elle seule le déplacement. Ce n'est pas anodin : cette phrase conserve les rêveries d'un père idéal ou au moins d'un père tel que Blake l'aimait au-delà sa brutalité. On ne répète pas ce genre de choses sans mobiliser les affects qui les accompagnent.
Le film se poursuit ensuite trente ans plus tard. Blake est devenu écrivain et vit à San Francisco avec sa femme Charlotte et leur fille Ginger. La sensibilité de l'enfant du prologue se retrouve immédiatement dans les traits de Christopher Abbott, idéalement casté pour le rôle. C'est un père dévoué qui semble avoir transmis à Ginger son mode être au monde, ouvert à l'imaginaire, comme en témoigne leur petit jeu de divination pour savoir ce qui traverse l'esprit de l'autre. Son devoir, comme il lui dira, sera de la protéger et d'être toujours présent pour elle. Quand Blake apprend que son père est mort, il retourne dans l'Oregon avec sa famille pour récupérer ses affaires. Suite à un accident, une des créatures qu'il avait aperçue avec son père le griffe au bras. Infecté, il commence à se métamorphoser à l'intérieur de la maison familiale. Wolf Man devient alors passionnant quand, en prolongeant son travail sur la perception, il se met à représenter visuellement et surtout par le son cette métamorphose de Blake en loup-garou. Le film va et vient entre les perceptions des humains et celle, altérée, de Blake. Une rupture s'installe, émouvante à bien des égards, et c'est l'avertissement du père qui revient comme une fatalité : Blake va mourir de la façon la plus bête qui soit, synonyme de l'absurdité de notre condition d'être humain qu'un simple détail peut facilement mener à la mort. Celle-ci sera, dans Wolf Man, irréversible, aucune ficelle ne tirera Blake d'affaire, et l'homme derrière la bête va lutter jusqu'au bout pour rester celui qu'il a réussi à être. On comprend que le mode de perception de la bête garantit encore un peu d'humanité et tout le film va s'intéresser à cette restance. Se pose alors la question du père de Blake dont on découvre, grâce à un tatouage sur le bras, qu'il est un des assaillants de la famille. Soit il a accompli sur la durée la totalité de la métamorphose qui annihile toute humanité en lui, soit il attaque consciemment son fils pour en finir avec celui qu'il n'a peut-être jamais accepté — terrible constat loin de tout familialisme. Sa mort n'est donc pas forcément un règlement de compte œdipien, bien au contraire, son souvenir hante plus le film qu'il ne le circonscrit à une lecture strictement symbolique.
Raconté comme cela, Wolf Man n'est plus tout à fait un film de loup-garou. Ou du moins ce n'est pas le film attendu. On ne verra d'ailleurs jamais la pleine lune, ni la bête véritablement hurler sous sa lueur. Elle apparaît aussi de jour, comme dans le prologue. La métamorphose tient ici de la maladie et non de la malédiction, charriant tout un imaginaire récent de la perte et du deuil. Cela peut expliquer la relative déception quant au rendu de la créature qui doit moins au loup qu'à une forme d'humanité en pleine excroissance, traduisant ainsi parfaitement le conflit intérieur de Blake. On appréciera aussi que Wolf Man ne resserve pas la thèse de l'animalité innée de l'homme, à la manière d'As Bestas de Rodrigo Sorogoyen pour ne citer que lui, et opte pour une confrontation dans laquelle l'humanité lutte jusqu'au bout pour continuer à avoir le dessus. Bien entendu, remonter le chemin inverse peut s'avérer aussi stimulant à condition de ne pas tomber dans la caricature unilatérale. Wolf Man oppose un père chasseur et un fils artiste sans que la chasse et la survie ne deviennent la métaphore d'une condition bestiale de l'homme, et cela grâce au travail de Leigh Whannell sur la tonalité des perceptions. Ce choix convainc beaucoup plus que la tentative récente d'Andrea Arnold de faire du fantastique une échappatoire artificielle au naturalisme de Bird, allant jusqu'à nier l’âpreté du réel qui est pourtant la fin de ce cinéma. Quant à l'acceptation de la mort, le film de Leigh Whannell est beaucoup plus profond que l'acclamé Chambre d'à côté, le navet lisse et dandy de Pedro Almodovar. Dans Wolf Man, la mort est rappelée à sa matérialité absurde : elle sonne l'heure de l'homme plutôt que celle du loup, celle des derniers instants de lucidité et de bonheur avec autrui, elle est invitée à être regardée en pleine mutation tout au long d'un voyage perceptif qui évite bien des pièges.