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La dream team des USA après leur victoire aux Jeux olympiques dans The Redeem Team
Esthétique

« The Redeem Team » : Les patriotes au travail

Guillaume Richard
Avec The Redeem Team, Jon Weinbach et ses monteurs ont récupéré une quantité impressionnante d'images tournées sur plusieurs années aux côtés des basketteurs de l'équipe olympique américaine dans sa course pour la médaille d'or et le rachat de son honneur. Quelle est la nature de ces images ? Se mettent-elles vraiment au service du discours patriotique du film à la gloire de ses héros ? The Redeem Team montre ce qui généralement, au cinéma, est étranger au patriotisme et, dans une certaine mesure, à l'héroïsme : le travail.
Guillaume Richard

« The Redeem Team », un film de Jon Weinbach (2022)

En se spécialisant dans le documentaire, Netflix n'a pas simplement suivi, semble-t-il, des études algorithmiques pour satisfaire ses clients amateurs de récits macabres et autres histoires rocambolesques, elle a remis au goût du jour un geste documentaire qui ne consiste plus à filmer le présent mais à interroger le passé avec des images d'archives. D'où ce double constat : d'une part des blocs entiers de réel, immortalisés sous la forme d'images, remontent des tréfonds de l'Histoire du XXème siècle comme s'ils attendaient d'être redécouverts ; d'autre part les caméras semblent avoir été partout, même là où on ne les attendait pas, en étant inséparables matériellement de la visibilité du siècle passé. Le cas de The Redeem Team, qui n'est sur papier qu'un banal documentaire sportif à la gloire de la NBA et des valeurs américaines, est sur ce point passionnant. Jon Weinbach et ses monteurs ont récupéré une quantité impressionnante d'images tournées sur plusieurs années aux côtés des basketteurs de l'équipe olympique américaine dans sa course pour la médaille d'or et le rachat de son honneur. Quelle est la nature de ces images ? Se mettent-elles vraiment au service du discours patriotique du film à la gloire de ses héros ? The Redeem Team montre ce qui généralement, au cinéma, est étranger au patriotisme et, dans une certaine mesure, à l'héroïsme : le travail. N'est-ce pas aussi un des rôles du documentaire que de montrer le travail en train de se faire, toujours en mouvement et débordement, qui ne cesse de retravailler la matière du monde ?

The Redeem Team est composé d'images d'archives dont l'origine est multiple. Il y a d'abord les images des matchs et des interviews diffusées à la télévision — on imagine que Netflix les a achetées sans trop de difficultés — et les entretiens des protagonistes de l'histoire (LeBron James, Dwyane Wade, Mike Krzyzewski, etc.) qui sont les seules images créées par les auteurs du film qui en possèdent le copyright. Viennent ensuite les images qui proviennent d'autres documentaires/reportages, comme celles qui pénètrent dans le quotidien de l'équipe. Le générique du film recense une vingtaine de sources différentes et une dizaine d'archivistes au travail. Ces images dévoilent un pan entier d'histoires, de réel, des entraînements aux séances de coaching, en passant par la relation entre les joueurs. Les caméras étaient donc un peu partout, comme si elles voulaient se faire oublier par familiarité – on sait trop bien que c'est très difficile, voire impossible, de faire oublier la médiation d'une caméra dans un documentaire. The Redeem Team met alors en lumière deux points qui mettent en crise le grand récit patriotique de cette poignée de basketteurs : le travail et ce qu'on pourrait appeler la tentative de maîtrise du hasard. Comme tout bon film documentaire, The Redeem Team finit par donner à voir des choses qui échappent au discours idéologique et patriotique visant à célébrer les valeurs américaines, même si la frontière reste fragile.

Que montrent les images d'archives de The Redeem Team ? Quel est le projet initial ? À première vue, montrer comment un groupe de basketteurs parfois rivaux et leur coach vont tout donner pour remporter la médaille d'or aux Jeux Olympiques de Pékin en 2008. Coach K, comme on le surnomme, entraîneur mythique et ancien militaire, va transmettre les valeurs patriotiques à son équipe pour qu'elle soit consciente des enjeux et de leur destin. Certaines séquences font même sourire lorsque Coach K invite des militaires à raconter leur expérience sur le terrain, comme pour signifier que d'un terrain à l'autre, il n'y a qu'un pas. Or, il apparaît que c'est le travail qui est mis en valeur, à l'image de Kobe Bryant qui se lève à quatre heures du matin pour faire de la muscu. The Redeem Team montre alors très vite que c'est le travail qui domine et non plus seulement le discours patriotique : c'est grâce à un travail sur le corps et la matière, entendons ici cette adaptation au monde que sont la tactique ou la discipline, que le succès sur le terrain devient possible. The Redeem Team pourrait ainsi être compris comme un film patriotique traversé par une contradiction, à savoir que tout n'est pas acquis et que beaucoup de choses s'obtiennent par le travail, tout ce qui n'est jamais donné se grapille à force de grandir, toute image iconique n'est que le reflet d'une réalité matérielle dissimulée.

Kobe Bryant dans les bras de Wade dans The Redeem Team
© John Huet - Netflix & IOC

Ce qui distingue aussi les basketteurs de The Redeem Team des héros américains qui ont envahi les écrans depuis l'essor des franchises Marvel et DC, c'est donc qu'ils travaillent beaucoup. Ce sont des bêtes de travail. On l'avait déjà constaté dans d'autres documentaires Netflix sur le basket, comme Last Chance U: Basketball et bien sûr The Last Dance. Or, seul le cinéma documentaire semble offrir ce changement de perspective. On a jamais vu Iron Man, Thor et tous les autres s'entraîner. Au contraire, comme la plupart des héros voués aux grandes destinées, tout leur est acquis, ils doivent seulement apprendre à maîtriser leur don pour ne pas faire trop de dégâts et mener à bien leur mission presque prophétisée. D'où l'insupportable nonchalance des héros Marvel tandis que certains DC (Batman en tête) ou les films de M. Night Shyamalan envisagent l'héroïsme comme une malédiction. Les films de fiction qui osent miser sur l'idée de travail dans l'héroïsme sont généralement ceux qui se déroulent dans les coulisses du sport. Quand ils n'essaient pas de montrer l'envers du décor, souvent noir, ils font confiance à un étonnant matérialisme, comme dans Le Stratège de Bennett Miller (2011) qui est probablement un des films les plus réussis sur cette question.

Il existe bien sûr différentes formes d'héroïsme et il faudrait longuement les analyser car certaines d'entre elles pourraient intégrer la conception de travail. Sur le patriotisme, par contre, il paraît évident que le travail en constitue l'antithèse. Le patriotisme est une réification, une objectivation au nom d'un discours préétabli qui conserve la publicité d'un fait au détriment de sa fabrication.

The Redeem Team est donc un film dit "matérialiste" et on peut sans doute le rapprocher d'un documentaire scientifique comme Particle Fever de Mark Levinson, sorti sur Netflix en 2014. Celui-ci s'intéresse à la physique des particules élémentaires et suit six scientifiques dans leur découverte du boson de Higgs grâce à l’accélérateur de particules du CERN de Genève. Les scientifiques sont montrés au travail, à la fois individuellement et en équipe. C'est grâce à cette alliance que la découverte fût possible et le film montre bien comment une grande équipe a su dompter la matière de la même manière que les basketteurs de The Redeem Team s'approprient le ballon et prennent possession du terrain. Le sport de haut niveau et la recherche scientifique ont au moins en commun un travail sur la fatalité et l'organisation d'un monde. La joie de la découverte du boson de Higgs dans Particle Fever est au fond la même que dans The Redeem Team : ce n'est plus le patriotisme qui prisme, mais la joie pure et simple de voir son travail s'accomplir après des années de dur labeur.

Pour les basketteurs de la plupart des documentaires Netflix, le ballon et le parquet sont autant de matière à sans cesse retravailler. Les images d'archives qui sauvegardent ce travail conservent la trace de ce matérialisme qui est une épopée à travers la matérialité du monde. Le patriotisme et dans une certaine mesure l'héroïsme ne dominent plus The Redeem Team, ils correspondent à un discours médiatique général qui ne connaît pas la réalité du terrain, soit le travail. Certes, les basketteurs se rêvent en héros intouchables et transcendants de toute une nation, en icônes patriotiques donc, mais ils ne pourront jamais atteindre ce statut au détriment du travail.