« The Lost King » de Stephen Frears : Roi maudit et reine de cœur
L’histoire (vraie) de Philippa Langley est édifiante. Voilà une employée d’un centre d’appel victime de fatigue chronique qui, il y a dix ans, s’est piquée de rendre justice à Richard III, dernier des Plantagenêt victime de légendes malveillantes fixées par les vainqueurs, les Tudor, et relayées par la pièce de théâtre que Shakespeare lui a dédié plus d’un siècle après son décès lors de la bataille de Bosworth en 1483. Dans The Lost King, le roi maudit aura donc eu besoin d’une reine de cœur qui ne l’est pas de sang pour retrouver à retardement les honneurs de la couronne. C’est un récit comme Stephen Frears les chérit, une histoire modeste de trésors cachés à proximité.
Le fantôme de madame Langley
Dans The Lost King, l’édifiant marche sur deux pattes : qu’une profane en remontre aux savants qui la méprisent et qu’elle soit une femme dans un monde d’hommes. Il s’agit donc d’une histoire de la reconnaissance comme on les chérit et son instruction compte double. D’un côté, elle donne au roi maudit la place qui lui revient de droit dans le grand album de la monarchie britannique. De l’autre, elle montre que la grande Histoire est la passion personnelle des petites gens. Même si l’on ignorait tout de cette histoire, on ne pouvait pas ne pas imaginer qu’elle pouvait nous entraîner ailleurs qu’à l’endroit où les success stories nous instruisent qu’un souverain royalement ignoré se cache en tout un chacun.
The Lost King est, s’il en était encore besoin, l’énième preuve d’un esprit typically british. La monarchie y est un consensus si bien partagé qu’il sait couronner ses historiens amateurs en élisant parmi ses sujets des justiciers inespérés. Le roman de la noblesse anglaise et de son inébranlable popularité invite moins à l’histoire critique qu’à l’histoire antiquaire. Le petit côté Fantôme de madame Muir sert ainsi à montrer à Philippa Langley, qui s’entretient avec le spectre de Richard III, qu’il existe une issue royale à la dépréciation dont sont victimes les femmes de sa modeste condition (Sally Hawkins excelle à tenir son rôle de petit bout de femme, fragile mais déterminée).
Si le film de Stephen Frears séduit, c’est d’abord dans ses bords, avec l’ex-mari (Steve Coogan) qui construit avec l’héroïne une relation faite d’une tendresse inédite en même temps qu’elle prend acte que l’amour est derrière eux. On reconnaît aussi dans The Lost King quelques tropismes tissant une continuité malgré l’éclectisme des sujets, avec la figure de l’usurpateur (Héros malgré lui, Tamara Drewe) et celle du profane engagé dans une aventure de la reconnaissance (Lady Vegas, Florence Foster Jenkins).
Vertus et trésors cachés de la proximité
Il y a plus, il y a mieux. On n’oublie pas que Stephen Frears, s’il a commencé en travaillant comme assistant de Karel Reisz, vient surtout de la télévision et qu’il n’a en cinquante ans de carrière jamais cessé d’y revenir (The Lost King est d’ailleurs une production BBC). Il en a tiré une leçon, cruciale : avec l’avènement de la télévision, les distances n’ont peut-être pas été abolies mais, pour le moins, amplement raccourcies. Son seul objet, transversal à la variété de tous les sujets traités, serait ainsi la proximité, avec l’idée que le loin se révèle dans les faits tout près, caché juste à côté. La propension pour les petites choses et les genres mineurs ne s’expliquerait pas autrement. On apprécie ainsi son goût des lieux micro (la laverie de My Beautiful Laundrette, la camionnette de The Van, le magasin de disques de High Fidelity), des grandes histoires racontées avec la lorgnette de la domesticité (Mary Reilly, Confident Royal), des petites gens qui ne se laissent pas faire face aux gardiens des traditions distinctives et des hiérarchies culturelles (la plupart des films cités).
Deux des meilleurs films de Stephen Frears sont autrement édifiants en instruisant des raccourcis imposés par la télévision, qui n’induisent pas seulement le raccourcissement des existences mais aussi un renouvellement des rapports du proche et du lointain, quelquefois surprenant. The Snapper (1993) est l’histoire d’une ado irlandaise qui raconte avoir été mise enceinte par un marin de télévision alors qu’il s’agit en réalité du voisin. The Queen (2006) a pour récit la décision de la reine Elizabeth, conseillée par ce prince en communication qu’est Tony Blair, de consentir à passer à la télévision pour participer à la communion nationale après la mort de Lady Diana, qu’elle détestait pourtant. Même un film moins réussi comme The Program (2015) portant sur le coureur cycliste Lance Armstrong intéresse moins sur la question du faussaire que sur celle de la machine médiatique truquée à laquelle le champion aura contribué, dopé aussi à l’addiction télévisuelle.
Que montre alors The Lost King dans cette optique télé-visuelle ? Un double déplacement, du lointain au proche et de ce qui se cache en ses bords. La découverte des restes de la dépouille du roi Richard III sous un parking de services sociaux (c’est le premier déplacement) est le fait d’une femme forcée à la relégation dans les marges d’une reconnaissance accaparée par les savants (c’est le second déplacement). Le générique-début mime pourtant, avec son graphisme et la musique d’Alexandre Desplat, l’ouverture de La Mort aux trousses mais ce n’est que pour retenir le motif de la grille, avec la lettre R qui croise la place réservée des parkings et celle du roi caché. Pour le reste, on penserait un peu à Tintin, avec le trésor de Rackham le Rouge qui n’est pas caché à l’autre bout du monde mais dans le château de Moulinsart et, avant lui, à La Lettre volée d’Edgar Allan Poe.
La proximité a donc des trésors cachés, l’objet d’un redoublement qui enfonce le coin des reconnaissances partagées du roi maudit et de sa reine mal vue. Les vertus de la proximité caractérisent la vérité du cinéma de Stephen Frears, dont le souci de justice est celui de la modestie.