« The Jericho Mile » de Michael Mann : Le génie mannien de la mélancolie
Michael Mann filme la solitude d’hommes, partagés par leurs tâches à accomplir et l’impossibilité pour eux de l’allier à une existence normale. Des hommes qui apprennent le métier de vivre, disait Pavese. S’agit-il pour autant d’y voir simplement la thématique du professionnalisme malade, de personnages n’ayant plus de prises sur le monde comme insiste Jean-Baptiste Thoret, Michael Mann poussant sans doute cette thématique plus loin quand ses acteurs sembleraient sortir d’un film d’Hawks, montrant l’inanité, la vacuité de leur professionnalisme ? L’absolue maîtrise de leur art pour ne mener nulle part ? Tant de professionnalisme pour rien, Michael Mann filme sûrement le vide absolu de l’action, mais non pas pour en dire l’inutile mais la vacuité sur le plan existentiel. En Amérique, si agir n’est plus la garantie d’un épanouissement personnel, quand c’était encore le cas chez Hawks, c’est surtout le produit d’une mélancolie à l’horizon indépassable. Voici donc le programme exposé, pour partie, dès son premier film, The Jericho Mile, en 1979 : la mélancolie, c’est la maladie du fait d’être homme.
« The Jericho Mile », un film de Michael Mann (1979)
The Jericho Mile de Michael Mann est un drôle de téléfilm. Un téléfilm qui se prendrait pour un film. Un téléfilm qui serait le premier véritable film de Michael Mann. Un soupçon vient à l’esprit. The Jericho Mile serait-il au cinéma ce que Canada Dry est au Whisky, qui en aurait la couleur comme le goût, sans avoir à connaître les désagréments de l’ivresse des profondeurs ? The Jericho Mile est en effet un téléfilm sorti sur petit écran aux États-Unis, mais introduit en salle en Europe comme un film. Un téléfilm dont les critiques nord-américains ont considéré lors de sa diffusion qu’il avait tout du grand, pas simplement du mineur incapable mais un majeur congru, qui aurait mérité sa salle comme ses spectateurs. The Jericho Mile serait donc le Duel de Michael Mann, qui dit déjà la méprise, le retard d’un homme venu d’une autre époque, celle du Nouvel Hollywood en période du reborn again du cinéma US, quand Hollywood, las des atermoiements du cinéma dépressif de la fin des années 60/des années 70 (pour le dire trop vite), s’efforce à la ressaisie de son rêve.
Voici toute la problématique de Michael Mann : être le cinéaste d’un Nouvel Hollywood déjà terminé lorsqu’il débute sa carrière. On est en 1979 pour Michael Mann avec The Jericho Mile quand Star Wars et Rocky premier du nom, cinéma de la seconde chance, sont déjà sortis respectivement en 1975 et 1977 (Rocky II sortira la même année que The Jericho Mile) : un cinéma qui dit que tout est encore possible, à portée d’épées lasers comme de ses poings, quand Michael Mann débute sa carrière à la manière du crabe, à travers/de travers, avec l’histoire d’un coureur, rejouant la morale du lièvre et de la tortue : il ne suffit pas de courir pour Murphy, principal protagoniste du film de Michael Mann, encore faudrait-il faire le point ; le point parce que plus rien ne sert de courir en Amérique. Le territoire est bouclé comme Murphy court dans l’enceinte cerclée de miradors depuis sa prison. Dans le cinéma de Michael Mann, on ne repart pas, sauf, et c’est notable, dans le dernier plan de son dernier film, peut-être le dernier de sa filmographie, Hacker, où les deux amoureux du film, Nicholas (Chris Hemsworth) et Lien (Tang Wei), après qu’un terroriste ait été éliminé par Chris au couteau, trouvent une issue favorable, s’enfuient ensemble, depuis un aéroport, s’échappant du flux des images : la plupart du temps, au contraire, chez Michael Mann, on s’agite, on va, de droite à gauche, de haut en bas, on circule en réseau, on est performant, on est professionnel : le professionnel de la mise en boîte quand on fait péter des coffres (Frank [James Caan], dans Le solitaire, 1981 ; Neil Mc Cauley [De Niro] dans Heat, 1995) ou des destinées (le lieutenant Hanna [Al Pacino], dans Heat ; Vincent [Tom Cruise], dans Collateral, 2004), les pros des pompes funèbre de leurs vies.
Ce premier film/téléfilm de Michael Mann n’est pas une anomalie dans sa filmographie, mais en montre les interactions quand, trop souvent, se rejoue le débat cinéma versus télévision. Michael Mann vient en effet historiquement du téléfilm. Il a d’abord débuté sa carrière en écrivant plusieurs épisodes de VegaS et Starsky et Hutch. Il y retournera ensuite, d’abord entre Manhunter, en 1986, et Le dernier des Mohicans, en 1992, avec L.A. Takedown (1989), sorte de brouillon de Heat (1996), mais aussi plus tard, participant à la marque de fabrique stylistique des années 80 dans la série Deux Flics à Miami (en en devenant le producteur, en n’écrivant toutefois qu’un seul épisode, Golden Triangle…), marque qu’il déconstruira plus tard, en 2006, dans le film éponyme (Miami Vice – Deux flics à Miami, 2006), que Friedkin aurait lâchement plagié, selon Michael Mann, dans son Police Fédérale L.A. (1985). Il y finira, peut-être, sa carrière, en ayant récemment tourné d’abord l’épisode pilote de la série Luck (2011), série abandonnée depuis lors, mais aussi celui de Tokyo Vice, toujours à venir, Michael Mann étant revenu à la télévision depuis l’échec de son dernier film Hacker, en 2015.
Le premier film/téléfilm de Michael Mann, The Jericho Mile est donc sans aucun doute possible essentiel, au sens où il configurerait dans une certaine mesure, dès le départ, la trajectoire cinématographique de Michael Mann, mais aussi et surtout en ce qu’il s’agirait d’un film patrimoine de son cinéma. En effet, pour qui n’a pas vu lors de sa sortie en salle chacun de ces premiers films, il n’en connaîtra souvent qu’une version remaniée par Michael Mann lui-même à l’occasion d’une ressortie (via les director’s cut aussi), ce qui sera par exemple le cas avec son deuxième film, Le Solitaire, ou bien encore avec Le dernier des Mohicans et Ali (2002), mais aussi légèrement avec Heat (lors de sa remasterisation en 4K) ou encore avec Miami Vice, Michael Mann retravaillant le montage essentiellement (ce qu’il ne fera pas avec Révélations, en 1999), remettant sans cesse sur le chantier ce qui n’aurait pas fonctionné, ne cessant pas de se questionner (ou bien encore à la demande des studios, pour Miami Vice, échec commercial à sa sortie), lissant son esthétique comme d’autres le font avec leur prêt bancaire. Mais Michael Mann n’a pas laissé de dettes mais un héritage avec son premier film/téléfilm. The Jericho Mile, il lui a laissé les stigmates du temps, que l’on peut encore voir comme lors de sa sortie, qui montre que ce qui viendra ultérieurement dans son cinéma est accompli dans une certaine mesure dans ce premier véritable geste cinématographique. Et puisqu’il s’agit de filmer la prison, allons-y, acclimatons-nous, rudoyons le lecteur d’emblée !
Oui, toi, lecteur intelligent, spectateur pratiquant, parlant du film de Michael Mann, on te dit Jéricho, The Jericho Mile, parce qu’il s’agit du titre original du film de Michael Mann, et sans doute te transportes-tu aussitôt vers le lointain, imagines-tu l’illustre comme l’épopée, la cité Antique, la Jéricho de la Bible comme les trompettes qui en feront écrouler les murs. Voilà sans doute ce qui te vient immédiatement à l’esprit, ou bien si tu manques encore un peu d’endurance, te feras-tu les neurones autrement, musclant tes doigts sur le clavier, googleriseras Jéricho pour reprendre tes marques/tes manques. Et te dire dans la foulée qu’à force de courir, ce type, Murphy, dans le film/téléfilm de Michael Mann, incarcéré pour avoir tué son propre père, il va les faire trembler ses murs, qu’ il va la gagner sa liberté, on se trouve au pays de l’Oncle Sam, inutile de souligner, comme l’indique pourtant si méchamment le titre du film en français : Comme un Homme libre. Oui, comme, pas tout à fait libre, donc, car Murphy, cette histoire de Jéricho et de murs qui tombent, il ne la connaît pas, il n’a pas encore Google sous la main, il n’en est qu’au premier stade de l’humanité, à ses balbutiements d’homme, s’en tient encore à la seule station verticale, debout, lui qui n’a que ses pieds : lorsqu’un entraîneur d’athlétisme digne de ce nom, alerté par les temps records de ses courses de fond depuis sa prison viendra le préparer pour le qualifier possiblement pour les J.O. à venir, lui offrant pour l’occasion un chronomètre, portant inscription au dos : The Jericho Mile, manière de lui dire Fais-les tomber, tes murs, Mur-phy ! il n’en comprend pas la signification. Alors, non, il aura beau courir, produire un effort constant de chaque instant, les murs ne feront pas caisse de résonance dans le film de Michael Mann. Le vrai mur, il est dans ce chronomètre pour Murphy/Mann, la flèche du temps que Murphy voudrait bien refroidir comme il a le verbe en dedans, ce temps perdu que Mann voudrait tant rattraper impossiblement.
Voici donc l’énigme, parler d’un film dont le personnage central ne parle pas, ou si peu. Non pas un taiseux, mais un autiste, d’un autisme léger. Comment parler donc d’un retard, comme celui du cinéma de Michael Mann, parler du mutisme de Murphy, qui n’est autre, au fond, que celui de Michael Mann, du retard de Michael Mann? En parler depuis l’extérieur, à partir d’un autre lieu comme des influences des autres cinéastes sur l’œuvre du cinéaste pour tenter de décrypter ce qui aurait été empêché ? Nul n’oserait le faire en entretien avec le réalisateur, qui ne s’est jamais prêté au petit jeu des confidences sur ses filiations, peut-être parce que le nom d’Hawks vient-il de si loin désormais que le contemporain ne saurait plus comprendre cette langue (et que dire, dès lors, de l’expressionnisme allemand dans Révélations, par exemple, en 1999 ?). Impossible, donc, sauf à faire mentir le film, à partir d’une lecture externe. Que faire, donc ? Se livrer simplement et sans doute follement à un exercice particulier – mais Michael Mann ne vient-il pas aussi de la littérature, dont c’est la formation ? Ne pratique-t-il pas davantage un cinéma immersif ? Proposer dès lors une analyse personnelle et hautement subjective dans un registre qui se voudrait pourtant idéalement impersonnel (l’analyse), tenter de faire parler Murphy depuis Murphy, c’est-à-dire, pour le signifier en rhétorique, procéder à une sermocination : faire parler un absent (réel ou fictif, Murphy, donc), en lieu et place de lui-même, en s’efforçant de lui attribuer une voix comme une parole, autant dire un discours, qui lui ressemble et le sert. Ou bien, pour le dire autrement encore, en en revenant à une distinction faite par l’avant-garde entre critique analytique et critique synthétique, ou comment un film, en l’occurrence celui de Michael Mann, peut devenir l’occasion d’une « expérimentation », dirait nos amis Des nouvelles du front, l’occasion d’un poème pour Benjamin Fondane : être inspiré par un film et produire à son tour une œuvre poétique, de la même manière que Poe disait que la meilleure façon de critiquer un tableau serait sans doute de faire un sonnet. Dans le cas de The Jericho Mile de Michael Mann, non pas faire œuvre, mais écrire à partir d’une œuvre, à partir d’un de ses effets comme d’une intuition à son égard. Approche donc l’oreille à présent, lecteur, pour écouter Murphy, l’histoire comme la folie de celui qui voudrait s’efforcer de la rendre.
Murphy Unchained ?
Faute commise, faute due. Voilà où m’ont attiré mes sorcières. Va falloir payer maintenant. Attiré par la pente, à courir vers l’illicite, la prison est devenue mon point de côté. C’est ce que tu vois, spectateur, dès les premières images de The Jericho Mile, la prison. Et tu ne verras rien d’autre. J’y ai été placé en garde à vie. La sentence est tombée un jour. Perpétuité. Apparemment, mes juges ne voulaient plus me laisser sortir. Pour en être certain, m’ont repoussé dans mes ruines et mes plâtras. Ne pas désespérer est la première des trêves. Le premier geste de survie. Mais perpète. Mes jours dans les jours, Matriochkas de plus en plus petits. J’ai fait les cent coups. Je ferai les quatre cents pas. J’ai buté mon père, un jour. Terminé. À partir de cet instant, pour le reste des jours à venir, moi, Murphy enfermé. De différentes façons, mais cloîtré, comme tous les autres personnages qui viendront dans le cinéma de mon réalisateur. Ma vie, celle des miens que je ne veux plus voir, aucun parloir, la vie de ceux dont j’ignore tout, modifiée à jamais. Tant de choses dans ma tête. Il faudrait que mon cerveau pleure. Qu’il ait son sanglot propre. Que le sang lui coule enfin par les narines. Mais rien. Autiste qu’ils disent. Juste bon à courir. « Un cinglé, il tourne en rond », « Il parle à personne, il court », oui, c’est ça, je garde mon souffle pour aller plus vite, autiste dira encore ce journaliste venu nous rendre visite dans l’enceinte de la prison, au début du film, comme le National Geographic ferait un reportage sur des animaux sauvages, jeux du cirque contemporain, à travers notre pratique du sport.
Qui suis-je, te demandes-tu, puisque Michael Mann ne cesse pas de me montrer dans ma vérité quand mes juges voudraient l’écraser sur la surface plane de ton écran tristement plat ? Aucune joie ni manifestation de quoi que ce soit ne peut se lire sur mon visage. Ma gueule prise entre Kubrick et Tristes tropiques. Comme lorsque j’étais entré dans cette prison, dans ma poitrine, il n’y a rien, sinon la claudication du monde. Le cœur qui boîte. Avec le crâne indifférent qui fait l’éloge funèbre de chaque nouveau jour qui claque. Je transpire en courant mais incapable de rendre cette énergie du jour qui brille. Mon autisme, comme tous les autres personnages des films de Mann ? Je suis un bloc informe d’où ils s’efforcent de tout retirer comme toi le psy. Qu’espères-tu ? Une pierre qui se sculpterait du dedans comme les murs de ta prison ? Je ne te dirai rien, ou pas grand-chose, même si on se rencontre souvent dans le film. Depuis l’enfance, sans doute, en moi la parole déparle, la primitive force de détruire l’emportant toujours plus facilement sur celle de créer. Avec le temps, ça ne s’est pas amélioré. Il ne me reste pas même un peu de fermeté, comme des assises. Je baisse la tête. N’écoute même pas. Je ne te regarde pas dans les yeux quand tu parles, le psy. Je ne peux pas. Je suis dans un drame somnambulique. Devant l’immensité de tes questions, que devrais-je répondre ? L’enfance difficile ? Un soûlard de père qui bat la mesure sur ma demi-sœur, qui n’est même pas un mauvais père, travailleur et tout ça, mais qui a le cœur dans les poings ? Alors ça cogne. Mais à quoi bon répondre à tes questions, le psy ? Ce serait dresser un mur couvert de formules, pire d’enluminures, comme ce mur de Jéricho peint dans l’enceinte de ta prison, graffiti représentant ce serpent pris entre les mains d’un démon. Et puis je ne veux pas faire joli. Je ne veux pas faire dans la psychologie. On est chez Michael Mann, ne l’oublie pas. Rien n’est défendable. Pas besoin de juges. Je suis responsable et je ferai mon temps ici.
Autiste, qu’ils disent donc. Je ne sais pas. Pourquoi pas. Je souffre, mais d’une souffrance sans point d’imputation, une souffrance blanche, échouée dans sa propre pénurie : une détresse sans objet. Je suis malade, c’est sûr. Mais un malade particulier, un malade en bonne santé, ce dont attestera mon encéphalogramme dans le film. Un malade sans remèdes. Que rien ne pourra entraver. Ça s’appelle la mélancolie chez mon réalisateur, j’y reviendrai à la fin. Un malade de l’intérieur. Chez Mann, il ne s’agit pas d’entrer en réparation avec le monde mais avec soi-même.
Qui pourra donc bien me comprendre, moi qui vis d’une autre langue ? On n’est pas chez Ken Loach, même si ça filme les destins par le bas chez Mann. Non, la mélancolie, ça ne s’explique pas. Il y a pourtant toi, le psy, dans la prison, que je fréquente. Tu voudrais me défaire moi par moi, avec la sincérité de ta main droite. Me piller. Encore faudrait-il pouvoir trouver quelque chose dans mon ventre. Un centre où j’habite durablement. Mais je ne te dirai rien. Ou alors, quand je te parlerai enfin, à l’extrémité du film, pour te dire que j’ai simplement buté un père qui frappait ma demi-sœur, rien ne servira d’explication : c’est fait, c’est tout. Es Muss seins ? Muss es sein ! disait Beethoven. Cela doit-il être ? Cela est ! Pas de justification chez Mann. Aucune plainte sur mes conditions d’incarcération comme sur mon existence. Pas traduisible en langage commun. Je suis là. Vous êtes ailleurs. C’est tout. Entre ceux que j’ai quitté et celui que je vais devenir, je vais demeurer en suspens. Je n’aurai plus d’âge, plus de qualités, ni de défauts conscients… Je serai le frère de toute solitude. Je n’aurai plus que le visage des départs.
Le trou
Moi, je n’ai rien demandé comme Mann ne t’explique ni ne démontre rien mais montre simplement ma vie en prison. Expliquer, étymologiquement, donner les causes de…, n’aurait pas de sens dans un cinéma qui ne croit plus au conséquencialisme, qui en abrutit en permanence la courbe exponentielle. Alors Mann te montre ma vie dans cette cellule, sans fenêtre, comme si tu y étais. Pas besoin de barreaux. Ma cage avec vue sur mur. Non, pas encore de plan océanique, dirait Thoret. Aucune perspective, même si on est en Amérique. Reste la promenade. Avoir la tête dans les nuages, que mon réalisateur te montre caméra en contre-plongée, à espérer un vide libérateur, le salut digne de l’écume. Moi, doux rêveur en lévitation, qui n’a plus les pieds sur terre, c’est ce que tu crois spectateur lorsque tu me vois courir dans The Jericho Mile. Ai-je seulement eu un jour des pieds ? C’est important d’avoir des pieds, on est au pays de la conquête de l’Ouest et du jogging. Alors j’essaie de les retrouver, bon pied bon œil qu’ils disent, reconfigurer l’horizon, trouver de la direction, parce qu’en haut, c’est sûr, j’ai beau regarder le ciel, il ne donne sur rien. Un couvercle de plus. Il n’y aura jamais de couloir aérien au-dessus de ma tête, ces avions que Mann filme si souvent.
En cellule, je suis dans le mur pour longtemps. Moi pour seul décor, ma tête partout, ma tête qui occupe tout l’espace : aucune photo accrochée sur les murs, rien que moi et moi en face à face, pas comme mon ami (Stiles [Richard Lawson]), le seul que je n’aurai jamais dans cette prison, qui possède son imagerie personnelle. Pas celle à laquelle tu t’attendais, spectateur : femmes Playboy et du même acabit. Non, rien que des photos de ce qu’il ne connaîtra plus : sa femme, la grossesse, l’enfant à venir. Ces photos dans le cinéma de Mann, comme cette carte postale qui se trouve dans l’habitacle de ce chauffeur de taxi (Max [Jamie Foxx]), dans Collateral, photo édénique d’un paradis à jamais perdu, ces photographies présentes également dans Le solitaire, ne sont jamais une évasion mais une prison dans la prison, qui capitonnent les murs de la prison, les redoublent comme elles renforcent l’habitacle de la voiture de Max. Alors, question, le spectateur : est-ce qu’on souffre plus de ce qu’on n’a pas encore connu ou de ce qu’on a perdu ? Prends ton temps pour répondre l’ami, tout ce temps que j’ai pour devenir enfin responsable et, peut-être, tu verras plus tard, regretter mon crime. Mais comment renverser la balance à mon profit, m’agrandir du contenu successif des heures, ces montres que tu vois partout chez mon réalisateur ? S’il faut se vaincre aussi, faudra-t-il que je continue jusqu’à ce que « le mur devienne une porte », comme dit Emerson ? La prendre, cette porte, large comme le ciel ? Je vais avoir tout le temps d’y penser. Mais plus les jours vont passer, plus les chances de réponse vont s’amenuiser. C’est ainsi. En prison, le jour est un salaud. Juste avant l’aube, il prend chaque matin un songe. Du lundi au dimanche, les jours te brisent les membres. Ils n’ont pas d’idole. Et moi j’attends. Seul. L’absence. L’absence des autres. L’absence de soi. L’absence est un amoncellement de choses tuées chez Mann. Je suis mort dedans depuis longtemps. Dans ce bâtiment décati. Je vais vivre dans cette cache. Au centre de ce monde. Dormir en son nombril.
Dans cette prison, je suis seul parmi le monde, tête au milieu d’une orgie. Mon havre de paix tient dans ce neuf mètres carrés. Faut de l’espace pour être roi. J’ai le privilège d’être seul. Dans ma cellule, j’essaie d’arranger le quotidien. En faire une garçonnière. Un appartement de célibataire. La pièce mérite chaque jour son coup de balai. Ce n’est pas tant qu’il y aura des invités, mais cette sale impression de marcher sur du gravier. Des années déjà que je suis là, des années plus tard et le sentiment que je viens de faire mon déménagement. De rares objets ici et là. Même à vouloir y mettre de l’ordre, rien ne sera jamais vraiment rangé. C’est tout le bâtiment qu’il faudrait vider. Faute d’avoir de quoi donner à la vie, ou lui opposer, je lui présente sans me lasser une forme sans contour et une substance sans matière. Ma cellule de prison, ma cellule de vie.
Au bout du compte, plus rien dans la tête, plus rien dans les espoirs, seul le légiste pourra dire ce que j’ai dans le ventre. Je terminerai dans un linceul. J’ai toujours rêvé de finir dans de beaux draps comme Dilinger. Mais comment rêver large quand ton monde régresse ? C’est ça le cinéma de Mann, des types qui agissent, mais qui au lieu de s’agrandir s’amenuisent, en guise de liberté s’atrophient. Il faudrait, pour ma part, de mes espoirs, que je batte le fer. Taille pour ces songes des manteaux à leur mesure. Essaie de contenir quelque chose de plus vaste que moi, un havre où loger ce qui n’existe pas. Mais comment clouer tout ce désordre ? À quel mur ? Il y en a trop.
Les poings contre les murs
La prison est un monde étrange, spectateur. Ne rien avoir fait des envieux. Et on est bien nombreux à n’avoir rien à se partager. Un monde des condamnés qui se partage souvent en deux, les petites et les grandes peines. Mais dans ma prison, il n’y a pas de petites peines. Non, les petites peines sont trop bavardes. Toujours à se défendre. Personne n’a jamais rien fait. Ils finiront lapidés à tous se jeter la pierre. Ici, que des grandes peines comme chacun porte son chagrin sur soi chez Mann. Car les grandes peines se taisent. Trop lourdes à porter. Elles ont du plomb dans la salive. Et quand il leur arrive de causer, les mecs baissent la tête. La grêle de leur silence, qui vient rompre les trêves entre deux bagarres. Moi, j’évite les bastons. Les bagarres dans la promenade, ces respirations dans les poings. La peur au ventre, reste plus qu’à faire la forte tête. Tête caillou, dure, de la pierre. Être fort, Achille sans talon. J’évolue en parallèle ici, comme l’économie que font tenir les suprémacistes blancs dans la prison, sans doute un archétype du capitalisme malade des États-Unis. Un univers carcéral qui reconduit les hiérarchies, les structures sociales, où chacun cherche à s’accorder les faveurs de ceux qui occupent des positions stratégiques, dans les ateliers, les cuisines, un univers qui a son économie politique. Au fond, comme les enfants, chacun imite dans leurs jeux les adultes qu’ils ne sont plus. Avec l’âme élastique pour vivre dans une telle tension.
Pour le reste, au quotidien, c’est coupe une ou deux lamelles. Ça parle langue taillée. Tête tondue, barbe poussée, pas la gueule L’Oréal. Ça balance du pointu si tu veux cirer des pompes. Une coalition de pouacres, à l’intérieur de laquelle les esprits saints sont rares comme les danseurs noirs dans Grease. De la mauvaise herbe. C’est pas nous qu’on rumine. Pas nous qu’on mettra en gerbe. De la mauvaise graine, on ne fera jamais de bouture. On est les ignorés d’Aphrodite.
On finit sans doute tous pareil, au trou, un jour, toi comme moi, spectateur. Pas de tri sélectif chez les vers. Mais ça ne se mélange pas dans la prison. Au pays du melting pot, couleurs de peaux, blancs, noirs, chicanos, chacun reconfigure en permanence les pôles. Je fais ma part. Je n’ai pas été si mal élevé que ça. Je refais société, version communautarisme, comme les autres, mais section intimiste : je suis une bande de jeunes à moi tout seul. En lisière. J’ai ce seul pote, je te l’ai dit, jusqu’à ce que les suprémacistes blancs me le prennent, un noir comme ils disent, un noir et un blanc ensemble, Ebony and Ivory, l’anthracite comme seule ligne lisible. Trop tard pour devenir pote d’enfance. Je voulais juste lui proposer d’être seul ensemble. Ils me l’ont pris. Il n’y aura plus que dans mes rêves érotiques que je marcherai en bande. J’en viendrai aux mains pour défendre son honneur. Je n’ai jamais eu de poings en commun avec qui que ce soit, blancs, noirs. J’enverrai en fumée le butin de la dope des blancs comme leurs dollars, eux qui l’ont sacrifié, lui faisant croire qu’il allait pouvoir retrouver sa femme enceinte de leur enfant lors d’un parloir tandis qu’un rendez-vous était organisé traîtreusement avec une mule ; je me battrai autant contre le chef du gang des noirs qui pensait que je l’avais ainsi donné aux blancs. C’est pour ça qu’il y a les matons, spectateur. Pour espérer que ça tienne. Mais, chez les matons, aucune chaleur humaine, leurs cœurs sont des sacs isothermes. Ils ont le QI d’un cup cake. Parmi eux, que des Jivaros, vu le nombre de têtes réduites. Leur expérience de la rue ? Avoir chopé un rhume.
La grande évasion
L’extérieur, justement, en prison, c’est cinéma en plein air continuellement. La promenade, tu nous y verras souvent, spectateur. Des miradors, il y en a partout. Silence. On tourne ; ça tourne. Non-stop. On tourne en rond. Les promenades. Nos pas y fusent ou déferlent, pareils à des exutoires : la promenade devient une inconnue qui a perdu son équation. Les promenades, on ne les décide pas. On ne part pas en promenade. La promenade n’est pas une invite à la déambulation. C’est une prison de plus dans la cache, comme le coffre-fort chez Mann. On va dans la promenade. Tout y est réglé. Dans ses pas, on reste enfermé. À force de promenades, on n’y marche plus. On tourne. À vide jusqu’à être craché. Un linge rincé. Séché soir et matin. Malgré soi, on se met à tourner indéfiniment. Curieuse danse de derviche tourneur. Sans le savoir, on devient soufi. Il y a un mystère à nous voir tourner autant. Quelque chose de métaphysique se joue dans la cour. Entés à notre univers dirait Merleau-Ponty. Greffés aux murs de la promenade. À croire que dans ce micro-univers, on tourne sans fin pour se changer en torche. Que l’on brûle enfin. Et disparaisse définitivement.
Selon Spinoza, Dieu est un brin d’herbe. Je marche dessus. Mais il n’y en a pas. Pas d’arbres non plus. Rien dans les promenades de ma prison. Pourquoi le spectateur ? Pour nous sauvegarder. Nous préserver de leurs bras tendus. Qui appellent. Appellent les cordes et les nœuds coulants. Les Hommes font comme la Terre en prison, tournent en rond. Moi, en carré. Mes Poteaux d’angles ne sont pas ceux de Michaux. Ils sont hauts perchés. Beaux comme un rapace qui surveille ses proies. Mais comment a-t-on pu donner aussi belle consonance à un objet tellement laid : Mirador.
Dans la promenade, si tu es seul, spectateur, tu n’as aucune chance, et pourtant je n’y renoncerai pas comme Mann face aux studios. Un obèse dans un speed dating. Frazier contre un ninja Kid (mais Ali, chez Mann, refera le match en 2002). Faut s’équiper. Sinon, tu es bouffé aussi vite qu’une banane sur la planète des singes. Les règlements de compte. Frapper le premier. Prendre la ligne directe. Aller d’un point A vers ta gueule. Sinon tu tombes de haut, façon Marcel Cerdan. Et quand éclate une bagarre, tout le monde est sur ses gardes. Quand un deal se trame, respect des conventions et usages, on ne s’en mêle pas. Dans le désordre, on est tous à notre place.
J’en vois qui soulèvent de la fonte. Du sport everywear, comme on voudrait porter vêtement chaud, base-ball, basket-ball, boxe, hand-ball...chacun sa spécialité, selon ta couleur de peau, en prison. Ça s’agite de partout. Chacun pousse les murs à sa façon. Moi, chaque jour, à faire des pompes. Avec tractions à la barre ensuite entre les murs de ma cellule. Je pousse. Je pousse. Je voudrais rejouer L’évadé d’Alcatraz. Repousser le sol. Soulever le ciel. M’enfuir. Mais rien ne bouge d’autre que mes membres. Je muscle le vent. Rien que de l’air où ne souffle aucune aubaine. J’inspire comme le printemps se gonfle d’exaspération avant l’été.
Quand je rentre de la promenade, mes murs me causent de l’état du monde. J’observe. J’ai le temps. C’est le mois d’août toute l’année. À me faire du mauvais sang, un hémophile. À ne vivre que de chocs, au centre de cloches. Mon amour propre qui se réduit comme le territoire de la Palestine. Je m’adapte. Je maigris. Le ténia du temps.
Alors les murs de la prison me remplissent à perte, me bondent sans fin, espérant combler le vide qui réside en moi, que se génère un semblant d’âme au centre de ma machinerie. Le placebo de chaque matin. Char anti-émeute dans mon crâne. Veulent me mettre au calme, l’aube penchée sur mon épaule. Brisé, plus d’os ni de contours, un corps sans nerfs, une tête sans sang, un état flasque. Seul comme les pôles. Seul. Je suis tout seul. Mes mains sont vides. Il me faudrait les joindre, pour mieux sentir ce vide : qu’elles lui prêtent leur contour. Un geste nul qui ressemblerait à la prière. Dans cette prison, je jurerai qu’ils ne veulent plus reconnaître ce qui me caractérisait. Ce qui me faisait moi. Une résistance sauvage à tout ce qui m’empêchait, à ce qui en tenait lieu, d’être nu, dans l’éternel recommencement de l’aventure. M’inventer. Aller chercher mon lieu de dépliement. Ils ne veulent plus de ça. Mais me tenir droit, debout dans un bloc. Emmuré dans un moi qui n’ouvre plus, toute lézarde refermée, sur l’ailleurs. C’est ça l’Amérique de Mann, un corps prostré qui croit tenir debout, qui pense se maintenir ferme sur un sol meuble, qui s’échine et qui, à force de courir, tend à l’horizontalité la plus parfaite, se rigidifie, en une momie plastique.
Les bâtiments, les corps, les espaces entre les corps, le ciel, le sol, tout est rempli, bourré d’un épais silence, villes fantômes à venir chez Mann. Je m’en aperçois chaque jour à observer mes camarades de jeu. Plus personne ne vit vraiment, ne vivra, n’a jamais vécu. Ça s’agite, mais aucun enfant ne s’est jamais échappé de soi. C’est trop vrai. Trop réaliste ce cinéma immersif de Mann, tout ce temps passé par mon réalisateur à repérer les lieux comme il le fera dans tout son cinéma urbain, à figurer des microcosmes. Chacun de ces personnages, c’est lui, ces professionnels, non pas de l’inutile mais de la vacuité de l’être. Mann qui filme la dépense énergétique de toute l’Amérique, ces personnages qui font, qui ne cessent jamais d’agir comme pour se vider, un cinéma qui annonce la fin du personnage ? Voire… Mais un pays comme un cinéma qui se définit par l’accumulation de son énergie transmutée en circulation d’argent, de crime, de sang, aussi fluide que devient parfois la loi, un capital que Mann s’efforce à la dépense autant que ses personnages. Oui, autant de précisions, chez les personnages comme dans la retranscription de lieux, confinent à la peinture de nature morte. Quand le centre devient vide, ne restent que les contours. Des murs (La forteresse noire, 1983), bâtiments (Heat, Collateral), halls, cellule, chambre (Révélations), ring (Ali), ordinateur (Hacker, 2015), voiture (Public Enemies, 2009, Collateral)... qui donnent son tour de taille à un homme. J’ai celle d’une guêpe. Il le faut bien, l’évadé, chez Mann, finit toujours sa course dans un autre trou. Alors, moi, je cours.
Les chariots de feu Murphy
Sans repères dans ma vie, chaque jour, je répète les mêmes mouvements. Fais les mêmes gestes. Aux mêmes heures. Invariablement. Je me mécanise. Me standardise. Me Fordise (tellement fordisé que le projet de Mann sur Enzo Ferrari, The Man, The Car, The Races, dans la foulé de Public Enemies, ne verra peut-être jamais le jour, ou comment un projet est dépassé par la vitesse des studios). Une vie de machine ? Je me crée une mémoire. Défibre mes nerfs pour ne plus entendre leur plainte. L’aptitude à dévier d’un comportement programmé est due au souvenir d’événements récurrents. Dans ma machinerie s’inventent mes lendemains. La répétition permet l’improvisation. D’elle naît la variation (il faut revoir le joueur de jazz, dans Collateral, spectateur). À me répéter, me voici au seuil d’un changement. Il le faut bien, tout est routinier entre ces murs, pour éviter de penser. Mais je vis encore. Je le sens bien. Quelques soubresauts dans mes mouvements déchirent parfois leur discipline. Des tics percent ici et là, comme des éclats de frustration. Dans ces mouvements cassés, il y a une sorte de sécheresse qui s’envole quand même. Un déchaînement — mais pétrifié. Quelque chose qui me retranche des airs familiers, qui s’apparente au soulèvement, et ne se mesure pas. Quelque chose de rigide qui accroche les élans, une stérilité qui hoquette au travers des zébrures des barreaux qui n’existent même pas, comme si le temps et l’espace étaient convulsés à mesure d’être comprimés dans le cinéma de Mann. Le béton a aussi ses libertés. Bouge, s’effrite, puis s’en va. Son armature parle dans mon corps. Ma vie, désormais, cette galère, sans le pied marin. Il me faut athlétiser mes forces. J’essaie de me maintenir en forme. Tous les jours, matin et après-midi, lors des promenades, je cours, mais verrou ?
Flaubert avait son gueuloir, le spectateur. À voix haute, il y disait ce qui venait de s’écrire sous sa main. J’ai mon fouloir : mes pieds. Je gueule ma foulée. Je feule ma goulée. Je martèle mon chemin. Pour m’entendre dire ce que je n’ai jamais rien décidé.
C’est que, mes vieux démons sur les talons, je n’entrerai jamais vraiment dans le nouveau monde. Même perspective pour tous les personnages de Mann. De toutes façons, c’était fichu, dès le départ, cette histoire, celle de l’Amérique. Depuis 1492 que ça dure. Il aurait fallu faire davantage attention, cette erreur d’aiguillage comme de destination ne pouvaient aboutir qu’à une méprise mutuelle. Moi, comme tous les autres personnages de Mann, on voudrait bien en être de ce voyage, mais coffre-fort impossible à ouvrir. Alors moi je cours, m’embouteille dans mon propre labyrinthe comme les personnages de Révélations se perdent dans les volutes de la fumée des cigarettes : tous à lancer des SOS indiens, départs de fumée, mais qui les verra ? Y aura-t-il vraiment un dernier Mohican pour les apercevoir ? Aujourd’hui, c’est la prison, plus tard, les villes pour Mann, réseau de circulation poussé dans ses retranchements dans Hacker, c’est-à-dire, finalement et paradoxalement, circularité toujours fermée parce que bouclée. Si le flux est permanent, il tourne en rond. Alors on fait le tour chez Mann comme je cours en prison. Je voudrais ne plus perdre de temps. Être le héros de ma liberté. Mais je n’en ai que la parole de la frustration. Rien d’ailé dans ma force, malgré ma volonté.
Pas besoin de fonte comme les autres pour que tout me pèse. Je cours. Beaucoup, pour faire connaître à mon âme chaque paroi de mon corps. De gauche à droite. De haut en bas. À courir pour qu’elle se sente moins seule. Vainement. Je me sens toujours incomplet. En mode bilboquet, j’attends toujours de combler mes trous.
La course, c’est mon régime alimentaire, matin et après-midi, à chaque promenade. Vu que la souche retient l’Homme, je passe mon temps à courir, bouffe mes pieds par la racine. À cette extrémité-là tu penses, toi spectateur, que cela en devient pathologique ? Une activité authentiquement autistique ? Ou bien au contraire penses-tu que courir m’arrime au roc du réel, à sa dure réalité, comme ce bitume que Mann filme si souvent ? Parce que je cours sur l’asphalte ou terrain meuble lors des séances d’entraînements avec cet ancien coureur de fond devenu mon entraîneur depuis, dans The Jericho Mile ? C’est ce que te disent les coureurs, cette sensation d’être en lien avec les éléments, naturels ou artificiels ? Bêtise ! Je vais te décevoir, spectateur. Je cours pour enfoncer le clou. Je suis chez Mann : je cours dans l’espoir qu’à chaque foulée, frappant le sol du pied, je rapetisse et entre en terre à tout jamais. Je cours, et de plus en plus vite, pourrai même sans doute participer à tous les J.O. de la terre, plus vite, toujours plus vite, autant d’énergie comme de vitesse pour disparaître tout à fait, exploser le compteur du temps comme j’enverrai ce chrono contre le mur de cette prison à la fin de The Jericho Mile, espérant impossiblement délier les chaînes du temps. Je voudrais aller plus vite que lui. On parle sans cesse de la vitesse de la lumière, mais la vitesse du temps ? Tu crois que j’avance au même rythme que lui ? Une fois encore, n’oublie pas que tu es chez Mann, spectateur ; ça, oui, j’avance, mais en mode moonwalker depuis que je suis petit, à l’envers de ma vie. À mesure que je cours je me marche dessus, je deviens une éclipse.
Ça se jouera au finish ta vie, qu’ils disent, tu as déjà entendu ça, toi aussi, spectateur. Dans les derniers mètres. Alors, c’est vrai, je cours. Mais reste avachi sur la ligne de départ. Le mouvement des balançoires de l’enfance, une horloge plus tard. Et rien. Ma vie sera-t-elle celle que j’espérais plus vieux ? Aurai-je fait de mon existence un beau métier comme tous les Frank (James Caan, Le Solitaire), Vincent (Tom Cruise, Collateral) et autres lieutenant Hanna (Al Pacino, Heat) ? Sache-le, spectateur : il n’y aura pas de tours de stade de plus. Rien dans cette existence ? En attendant la fin, je peux au moins courir comme tous les autres. Éviter la phlébite. Essayer d’esquiver le train où vont les choses. Fournir des calories d’effort pour fuir ce décor. Comme Marco Polo, passer un cap. Valises sous les yeux, toujours sur le départ. À courir après des fantômes comme Bill Murray. Pour n’avoir sans doute jamais connu le sol ferme et familier du quotidien, la liberté conquise et promise par l’Amérique débouchant sur l’incompréhensible et le menaçant. Alors, que tu sois flic ou criminel chez Mann, tu t’efforces à devenir le braqueur de ton existence comme il a voulu braquer l’industrie du cinéma dans Miami Vice, aménage au mieux ton quotidien en te fixant des habitudes. Espère donner de la consistance à ce qui n’en avait pas, à faire en sorte que les événements se répètent selon un cycle immuable. Pour te mettre à l’abri de l’inconnu, à tout ce qui semble irrémédiablement t’échapper, voilà la solution en forme de paradoxe chez Mann : imprimer un déterminisme au pays de l’esprit d’initiative (« Je fais ce que je sais faire, tu fais ce que tu sais faire », dit le personnage de De Niro à celui d’Al Pacino, lors de leur rencontre dans Heat). Et, les choses se présentant toujours, désormais, identiques à elles-mêmes, tu en arriverais presque à croire que tu serais à l’abri du changement. De là cette fureur, course après course, de me creuser un trou et y disparaître enfin.
Petits pas, petits pas, petits pas. Pourquoi ? Pour rétablir la connexion entre mes membres comme ce Hacker entre les réseaux ? Petits pas, petits pas, petits pas… ça sonne. Mais quelqu’un voudra-t-il bien décrocher au bout de mon corps ? De moi, ne restent plus que ces bouts de rien, étoiles en attente. Quel est donc ce cadenas que je porte en mon centre, que Frank et tous les autres braqueurs de Mann voudraient tant forcer ? Mann filmerait-il la conquête impossible de l’ouest intime ?
Parti de nulle part, je compte bien y retourner. À tourner ainsi en rond, mon histoire comme celle de l’Amérique se vide de sa narration. Pourtant, toi, spectateur, tu te dis que je devrais m’efforcer d’aller de l’avant. Mais c’est quoi aller de l’avant ? Plus j’avance, plus je m’évanouis. Avec une cadence de pas névrotique. Je cours même, je cours des heures, sans jamais m’aboutir dans un destin. Une course, comme chacun des gestes produit par ces personnages de professionnels maniaques chez Mann, qui, gestes à coups de répétitions, s’abrutissent dans leur signification. Une vie à laquelle nulle promesse ne peut être faite. Moi, au pays d’Hollywood, je me sens comme un acteur participant à un film qui n’aura pas lieu. Dont la colle du montage ne prendra pas comme dans certains films de Malick, un éternel ressassement. Un départ interminable pour nulle part. Et dans l’attente, vient sans cesse le jugement des hommes, parce que même une vie inutile mérite sans doute son serment.
Le juge et l’assassin
Comme si ça ne suffisait pas, chez Mann la sanction tombe plusieurs fois. Jugé une première fois pour mon crime, je vais l’être une seconde par cette commission des sports comme son juge dans The Jericho Mile, l’O.U.A., organisation dont l’acronyme dit la bonté. Vont me soumettre à la question : pourrai-je ou non participer aux qualifications pour les J.O. ? Dois-je m’en inquiéter ? Je me suis entraîné comme il fallait. Rocky me l’a dit, il l’a fait, j’ai le droit a une seconde chance. Représenter l’Amérique. Mais l’heure est grave, vais-je expier mes fautes, qu’il me demande ce juge qui n’en est pas un véritable ? Suis-je désormais intégré ? Vais-je demander pardon pour mon crime ? Le referai-je aujourd’hui ? Mais pourrais-je simplement faire appel de ma vie ? Rien à faire de leur code pédale. Faut pacifier, c’est à ça que servent les tribunaux. Faut pas s’y fier, répondent en chœur les gars dans la promenade. Moi, je le jure sur le Dalloz (je m’adapte à mon public francophone), je lève haut et bien droit le majeur, je n’ai rien à dire. Ils m’observent dans ce prétoire. Aucune émotion, qu’ils pensent. Figé dans mes expressions. Ils attendent quoi ? Des regrets ? Je ne vais pas me mettre à chialer comme De Niro dans Mafia Blues. Je le préfère dans Taxi Driver. Déclame du punk quand ils espèrent violons. Et puisque j’ai déjà pris perpète, au moins ma vie est déjà faite. Tout ça ne sert à rien. Se faire pardonner. On s’excuse seulement pour pouvoir recommencer. Je suis un visage veuf depuis si longtemps. J’ai perdu un jour quelque chose entre ici et là. J’attends mais toujours pas de signes, hélas! Et ils voudraient que je le leur dise. Que je leur parle de ce qui s’est perdu. Pour ça, il faudrait que je puisse me deviner dans l’inconnu. Douter de ma propre nécessité et, malgré tout, me dire. Me dire à eux, qui espèrent la lumière d’un illuminé comme toi tu l’attends, spectateur. Dans une parole de failli : extraire une certaine vérité de mon passé qui s’insurgerait contre ses propres commandements sitôt formulés. Est-ce une parole seulement dicible ? Alors, je les écoute parler comme on a toujours parlé à ma place. Leur litanie. La longue et ennuyeuse énumération des reproches. Ils m’analysent. À les entendre, ils ont inventé la poudre. M’ont enfin décrypté. Avec leurs faits, qu’ils présentent comme vérité. Oui, j’ai buté mon père, et alors ? La vérité, c’est qu’ils m’enferment dans un réseau de significations. Et font feu de tout bois. Tout fait sens, selon eux, dans ma vie, pour aboutir à ce crime. Et par quelque bout que l’on prenne le problème, je suis fait comme le rat. Je n’échapperai pas à la fatalité de la parole formulée dans ce prétoire.
Alors toi, juge de cette commission, tu as repris le dossier dans l’ordre. Tu as été consciencieux. Mais, contrairement à mes premiers juges, tu n’as pas tenu compte du serment de juré. Car mes juges, avant de me juger, ont juré de ne jamais juger un individu mais un acte. Ils ont juré de ne jamais réduire cet individu à son acte : moi=mon crime. Comment ? Tu n’es pas tenu par ce foutu serment ? C’est une plaisanterie ? Bien plus que ce serment, le sens même de ta fonction c’est de faire la part des choses. Te montrer pondéré. Un individu n’est jamais la somme de ses actes. Il y a toujours en lui un arrière-pays, qu’il s’agit de découvrir. Foutaises, même si on est en Amérique ! Tout le monde, depuis toujours, s’est efforcé de me faire parler, moi qui ai sans cesse parlé à partir de mes seuls lapsus. Tout le monde a toujours voulu se prendre pour moi tellement je n’y suis pas. Même dans sa bienveillance, ce type qui se fait appeler Michael Mann, qui fait ce film sur moi, me met des mots dans la bouche que je ne connais pas. Croit réparer un tort, le dol permanent qui se lit sur mon visage, mais continue de saccager mes bouts de bras. Le moi ne s’additionne pas plus que les mots mis bout à bout ne font la phrase. Tu as commencé, achève-moi, toi comme les autres !
Tu questionnes mon existence pour statuer sur mon rôle dans cette histoire de crime. Toutes ces pellicules de film pour savoir si, coupable, je n’ai pas des circonstances atténuantes, comme ils disent. Mais je crois bien que la question est tranchée pour toi depuis longtemps. Je ne suis pas seulement responsable de ce crime, parce que je l’aurais désiré. À égrener ainsi mon existence, mon crime aurait été prémédité avant même de le penser. Mon crime serait préparé dès le départ. Ma vie n’aurait été que la mise en scène de mon crime. Moi, donc, responsable tout de suite.
Mais voilà ce que tu fais le juge : plus tu cherches des causes à mon crime, plutôt que de le grossir, de le surdimensionner pour en faire éclater l’horreur, tu en diminues l’importance comme la réalité finalement. À tant d’explications, tu le normalises. Ce qui en faisait tout le caractère extraordinaire devient ordinaire. Tu me neutralises finalement. Tout ce qui faisait l’épaisseur de mon existence est aplati. Plus tu cherches à en savoir sur moi, plus tu m’annules dans ma singularité. À la fin, je ne serai plus rien, tu verras. Tu pourras me liquider enfin. Car à force de chercher des explications à mon crime, tu m’ossifies. Me retranche la vie. Ou plutôt si, je deviens une plante. Car seule la parole végétative peut encore m’exprimer aux autres, comme à moi-même. Tu fais de moi un type qui se cherche sans se trouver, qui appartient aux heures chrysanthèmes, aux lignes nettes dans l’étirement des vases : je deviens purement décoratif. Dans ton discours, tel que je m’y trouve pris, jamais je ne dirai quoi que ce soit qui me révèle dans ma singularité, nuage ténu qui flotte vaguement au-dessus de rien, comme une cachette. Avec tes mots en froid. Dans tes bottes, avec ce ton caporal de celui qui sait, sans jamais s’efforcer de retenir l’extraordinaire galop de ton manège. Tu parles à couper le sifflet d’une pie. Mâchoire jamais fatiguée, saturée, mais quel râtelier à ta mesure ? Tu parles dans mes trous, dans mes blancs, dans les silences de mes inconsciences. Me prends en charge comme si tu étais responsables d’un mystère. Et déverses ainsi tes charretées de mots en espérant le combler. Tu voudrais tellement que je me laisse prendre aux harmoniques de ton chant. Mais ça n’envoûte pas, ça embrigade. Il y a dans ta prose comme un cliquetis d’armes, une phrase chargée qui voudrait soudain me faire craquer comme le dégel un étang. Consumé par ton feu, je reste en place, cendreux, poussiéreux, décalcifié, désossifié. Dans ton discours, aucune chance n’est laissée à la respiration. Tu n’essaies même pas de me rendre à mes impuissances. Être l’acteur de l’absent que je suis. Ne cesse pas de questionner mon identité. Ma fiche de futur dégringolé. À m’ensaigner qui je suis. Étrange torsade de bruits et de signes autour d’une syntaxe obnubilée de se réduire à un code servile. Tu es à la solde d’une transmission univoque et donc tautologique des contenus de la réalité : jouer ton rôle. Un bluff au noir de fumée. Tous ces nonces et légats aux coudes soudés, oui, chacun de mes juges, incapables de reconsidérer leur suffisance face aux grandes souffleries du néant qui auraient vite fait à disperser toutes choses. Vous vous épuisez, mais il n’y a rien à dire. Levez les écrous ! Laissez-moi partir. Vous n’y pouvez rien. On ne déchiffre pas un abîme. Vous ne parviendrez même pas à glisser mon corps dans sa nervure. Il vous faudrait toute l’école du regard pour me déchiffrer les signes. Je vous affirme une vérité, mais j’ai bien le sentiment que je parle d’un lieu où la perspective n’est pas étendue pour vous. Réduite à sa plus simple expression. Pas davantage de profondeur. Vous ne me voyez pas. Ne m’entendez pas. Je suis à ras d’homme. Je suis un rat d’homme.
Une vie, la mienne, celle de chacun, est pleine de péripéties, nul n’en achèvera la chronique, et ça, Mann l’a compris. Mais toi le juge tu voudrais ramasser en quelques minutes des morceaux d’existence qui, ensemble, dans ton sermon, ne ferait que l’épaisseur d’une paupière tirée. Tu ne comprends pas que ce qui est beau, c’est ce qui échappe à un homme, à partir d’une élimination. D’accepter d’être l’esclave attentif de ce qui le dépasse. Tout ce professionnalisme dans les films de mon réalisateur, cette obsession à poursuivre ce qui échappe, cette incapacité à s’installer durablement malgré tout le génie du monde : un dernier coup pour Frank le cambrioleur avant de s’installer en couple comme il rêvait de se mettre en boîte dans un coffre, en vain (Le Solitaire) ; une force inconnue que des nazis laissent échapper par erreur des murs d’une vieille forteresse romaine comme l’enceinte de ma prison, énergie sombre qui gagnerait l’humanité : il y a les mélomanes, il y aura les mélancolimann (La Forteresse Noire) ; un agent fédéral en retrait après un traumatisme qui s’efforce d’entrer dans la tête d’un tueur en série, le Dragon rouge (Manhunter), s’y enfermer à double-tours ; ces Indiens à qui l’on demande de choisir leur camp, enfin, anglais, français, eux qui ne sont d’aucun territoire mais de la frontière (Le dernier des Mohicans) ; ce flic de haut vol comme l’autre a du talent à mettre en échec le monde le cambriolant, qui vont s’évertuer à entrer dans la tête de l’autre par enquêtes interposées, se pourchassant (Heat) ; ce type, lanceur d’alerte, qui dénonce un scandale lié à l’usage de la nicotine, un journaliste (Al Pacino), accompagné de ce scientifique-lanceur-d’alerte, Jeffrey Wigland (Russell Crowe), qui s’efforce de dissiper ce nuage de fumée qui le contient, duquel il ne s’échappera pas, une tempête dans un crâne, personnage écrasé par le pathos, les trois quarts du film tenant dans la chambre de ce scientifique qui, peu à peu, disparaît dans sa mélancolie, Mann filmant une personne en phase de destruction intérieure, sans doute son plus beau film (Révélations) ; Ali qui se termine sur sa grande victoire comme l’Amérique quitte le Vietnam, triomphe qui annonce l’ère des défaites, Ali entrant dans la maladie, les États-Unis reprenant la main sur le monde pour le bonheur que l’on connaît ; cette course poursuite entre un tueur à gages sans failles et un taxi de nuit, autant d’espaces parcourus pour n’aboutir sur rien d’autre qu’un vide (Collateral) ; Sonny le mélancolique, qui voudrait tellement solder la dette de son existence poursuivant une organisation criminelle sans fin ni début comme il tombe éperdument amoureux de sa tête, incarnée par Gong Li (où comment Mann déjoue la série quand Sonny Crockett [Don Johnson] était un tombeur devient un amoureux transi dans le film), mais Hydre de Lerne à cent têtes/sans tête finalement, quête aussi vaine qu’il faut bien du talent pour la conduire à son extrême pointe absurde dans ce polar tactique où les polices, pour combattre un même ennemi, se combattent d’abord entre elles, où la coolitude glamourisée et l’action à tout crin de la série se font briser les membres par un naturalisme narratif et visuel sévère (Miami Vice, 2006) ; toute l’intelligence du monde contenue dans le cerveau de John Dillinger, plus grand cambrioleur des années 30 poursuivi par le FBI de Hoover, tant de talent pour s’abîmer dans un poème d’asphalte et d’acier, par où les expérimentations de Mann pour capter une ambiance s’efforcent d’éviter les évidences – filmer John Dillinger comme la première rock-star du crime qu’il était mais, réversibilité oblige chez Mann, le chic et le choc faisant toc, la superstar devenant aussitôt jetable, un produit de consommation, où ce ne sont plus tant les actes qui comptent mais l’image qui en demeure – comme il montre la difficulté/l’impossibilité pour un individu à se conformer à son monde, trouver sa place (Public Enemies, 2009) ; un célèbre hacker, incarcéré dans une prison états-unienne, appelé à la rescousse pour sauver le monde de cyber-attaques terroristes, volatilité du monde et diaphanéité insaisissable, ou comment espérer devenir un fantôme quand Mann opte pour la tactique du cheval de Troie, défait Hollywood de l’intérieur, en optant pour une fin déceptive, le grand méchant, figure du Mal absolu, défait en quelques secondes au couteau (Hacker, 2015) : tout ce cinéma, chacun de ces individus qui, les meilleurs dans leur domaine d’expertise, du crime à la loi, de la loi au crime, de son opposition à sa réversibilité, chacun sur leurs rails, moi sur ma piste d’athlétisme, qui voudraient tellement fuir leur trame/leur drame qui est pourtant leur seul écosystème. Alors, moi, je te le dis, juge, je ne te parlerai plus. Je ne parlerai pas. Je vais simplement faire ce que j’ai à faire, comme tous les autres personnages de Mann qui viendront, je vais courir. Le mot de Bernanos : « je ne peux pas vous répondre. Je suis prisonnier du grand effort que j’ai toujours fait pour vous rejoindre tous. »
Que je demande pardon, finalement, toi le juge qui me le demande ? Vivre à l’ombre ne préserve pas des brûlures. Mais je ne renierai pas ce que j’abhorre. Chaque jour, je repense à mon crime. Chaque soir, à me poser les mêmes questions, pendant que les moutons me proposent leur réflexion : bêle ou crève. Tu crois le juge que je pourrais ainsi, face à ce spectacle, me trahir en me dénonçant, reconnaissant le mal que j’ai commis ? Que je répète dans ma tête la transgression de l’interdit pour refonder celui-ci ? Laisse-moi sortir, et je te montrerai. Je le referai. Parce que c’est sa faute, à mon père. Il a empêché mon happy end comme il en existe rarement chez Mann. Le tragique tient précisément à l’impossibilité de faire récit. M’en sortir pour autant ? Redevenir le chef, le grand Indien de quelque chose d’essentiel qui me travaillerait ? Mann, son dernier projet cinématographique, qui ne sortira peut-être jamais sur écran, reprenant The Searchers de John Ford (1956), s’appelle Comanche : tenir la paume de l’horizon, avec l’ivresse d’y boire un peu pour ne pas rendre gorge, refuser pour une captive d’Indiens de retourner dans sa communauté d’origine (blanche), ou comment la libre disposition de soi aboutit chez Mann à l’enfermement comme lieu de résistance ? Offrir la paume d’une main vide, une promesse dont chacun sait qu’elle ne sera pas tenue ? Reprendre goût à bricoler la démesure, ici, en prison, pour ma part ? Il y a bien des fleurs qui poussent dans le sable. Je m’étais promis de réussir. J’avais croisé les doigts. Mais plutôt que de faire un vœu, suis allé toiser l’étoile. Les rêves ont souvent des têtes d’impasse chez Mann. Est-ce que la chance est domestique ? Je n’attends plus rien, et même ça, met trop longtemps. Le ciel est la limite des gens qui ne rêvent pas. Ils m’ont abaissé le plafond, en attendant.
Alors, la fin de l’histoire, spectateur, que tu demandes ? Ils n’ont pas voulu de moi pour leur fichu J.O. parce que je n’ai pas la gueule de l’emploi comme ils ne voudront pas, plus tard, de Frank Le solitaire quand il voudra se ranger des voitures. Une tragédie ne dévie jamais sa course. Mais, bien malgré moi, je vais devenir un modèle pour les autres prisonniers. Ils vont me la faire ma piste d’athlétisme, ils vont me l’aménager, latinos et noirs ensemble contre les blancs qui voulaient m’en empêcher, en mesure de représailles après avoir liquidé leur butin comme leur dope. Et le jour de la qualification des J.O., en parallèle, au son d’un poste radio retransmettant la course officielle de laquelle j’ai été exclu, je vais y participer fictivement, avec ce chrono en main, je vais le battre leur champion. Leur fichu record, je vais l’écraser. Mais je ne le partagerai pas. Cet honneur, je ne le rendrai pas public. Personne d’autre que les prisonniers ne le connaîtra. Il n’aura aucune valeur dans votre monde où tout s’échange et se monnaie en permanence, ignoré comme le geste de l’artiste Mann qu’on ne reconnaîtrait pas. Je vais l’éclater contre le mur de la prison ce chronomètre. Recommencer ? Me libérer ? Mais pour quoi ? Pour quelle destination ? Autre gare même train. Aimant sur un chemin de fer. Prendre le train en marche. Rester à quai. Attendre le suivant. Ils en ont des expressions qui filent, métaphores à grande vitesse. Pendant ce temps, à réfléchir, je vais plutôt rester à moisir avec mon bout du monde. Sans vraiment croire que tout sera un jour possible. « Commun m’est là d’où je pars. Car j’y reviendrai de nouveau », dit Parménide. Je goutte trop l’isolement. Suis le roi de Defoe. Est-ce si grave, spectateur ? Je suis toujours en vie comme un type attendant sur des rails, mes lignes blanches sur la piste d’athlétisme que je ne cesse de parcourir. De mon vivant, suis un défunt. Ça fait longtemps que je m’ai tué. Que ça ne respire plus dedans.
Un prophète
Alors quoi, un cinéma déprimant, celui de Mann ? Je ne sais pas. Je ne trancherai pas. C’est peut-être notre rôle, non, de commencer, simplement commencer, même si l’échec est plus dans l’ordre des choses que la réussite (Manhunter, Révélations, Ali, Miami Vice, Hacker, échecs commerciaux lors de leur sortie) ? Alors vivre. Vivre ! filmait Kurosawa. Tout simplement vivre ! Vivre comme ces braqueurs que ne cessent pas de filmer Mann, qui ne sont autres que lui-même s’efforçant sans cesse de braquer le cinéma hollywoodien comme les genres, ces personnages de résistants, solitaires et laissés-pour-compte comme il s’est efforcé à la désobéissance. Finalement, spectateur, mon histoire, parce qu’il faut bien finir, c’est le récit d’un type qui essaie de tenir debout depuis toujours. C’est-à-dire, dans la suite de son existence, un mort-vivant, qui traîne sa vie après lui. Un chien qui la piste. Le regard enfoncé, pris, perdu, étouffé dans la matière de son quotidien. Qui cherche à sortir. À créer le trou. À incarner un mouvement d’expulsion. À s’évader de la fatalité. Avec une respiration de noyé, toute cette mer représentée dans ces plans tellement manniens.
Alors, toute cette flotte dans le corps, faudrait bien pouvoir l’expulser, qui me provoque tant de douleurs au ventre, je t’assure, et j’en ai encore, et tous les jours. Mais il n’y aura pas de reflux. Ce sont les contractions d’un accouchement qui ne trouvera jamais son enfant. Est-ce qu’on peut simplement accoucher d’un abîme ? Spectateur, je t’en conjure, laisse-moi plutôt me dissoudre dans la rumeur du rien. Que tout s’annule enfin, que moi-même je ne sois rien participant au rien. Cellule morte de l’univers, je veux mes acariens ! Bouffez-moi enfin, par les pieds ou par la tête, mais prenez-moi par les extrémités, par où ça pousse, de haut en bas, par où ça sent la volonté de s’en tirer ! La victoire, finalement, ce chrono que j’explose, une libération ? Pour ajouter, non pas à l’inutile et au superfétatoire, plutôt à la vacuité de l’existence qui définit mon être ! Ma victoire ? Ce que j’espère vraiment, au fond ? Espérer abattre un jour ce nécrophile qui se tient encore en moi pour refroidir tout ce qui bouge ?
Pour tenter une réponse, ouvre-toi l’ami à l’horizon de ce fameux plan mannien, plan océanique dit encore Thoret, où tu les vois tous, ces personnages paraissant s’échapper un instant, face à un lac, face à la mer, une carte postale la figurant ou bien mentalement, la possibilité d’une île, les Fidji pour l’inspecteur Hanna dans Heat... Erreur de perspective. Mann te montre la lune, tu regardes son doigt. Il n’y a pas d’échappée possible. Rien. Alors, plutôt que de chercher une issue, dans les films de Mann, chacun s’installe dans son mur. Chacun entre en mélancolie. Chacun n’a rien de plus profond à offrir que ce gouffre qui est en lui. L’horizon est ce gouffre mélancolique, le ventre de toute solitude, exposé nu. Mais Mann ne te montre pas la mauvaise mélancolie – la nostalgie –, l’abreuvoir de l’apitoiement sur soi. Il n’y a pas cette complaisance pour soi dans son cinéma. De même que son professionnalisme malade ne puisse pas tout expliquer, autant que d’être, chacun, individus, États, inféodés à des logiques et puissances sans bornes qui nous démantèleraient, celle du grand capital, j’entends dire. Car si logique du grand capital il y a, si extorsion de la plus-value prolifère, c’est à l’extorsion de sa propre plus-value existentielle que chacun travaille chez Mann. Tous stakhanovistes, visant à la dépense folle de leur propre capital. Logique du grand capital ? Oui, mais logique du grand capital d’abord et avant tout à l’égard de soi-même, qui est une dépense énergétique en pure perte, car il n’y a pas de véritable raison à la mélancolie mannienne. Ou alors, cette mélancolie a un effet plus vaste que ce qui l’a engendrée.
La mélancolie mannienne, comme toute mélancolie peut-être, est à sa cause ce qu’une série de cercles majestueux est au petit caillou qui les a portés sur l’eau. Une porte entrebâillée sur un univers perdu : tous ces murs, finalement, les murs de ma prison, ceux de Max dans sa voiture, de la ville prise dans ses lignes (poteaux, autoroutes, bâtiments, lumières...), autant de lieux sans solution de fuite ni lieu de rencontre. Tous ces murs où, pour ma part, je deviens hors-jeu. Où je me cache, non pas pour fuir les gens, mais « m’anéantir en paix » (Kafka). Je suis malade de mon humanité. En phase terminale depuis ma naissance. Mais une drôle de maladie. Une maladie sans remède. Bien inutile, alors, spectateur, de faire simplement le décompte de ce qui m’est arrivé dans The Jericho Mile pour en conclure ceci plutôt que cela sur moi. Ce que je suis n’est pas le produit d’une arithmétique. Ma mélancolie surpasse en nombre et en genre la somme de ce qui m’est arrivé. Elle n’est pas l’addition de tous ces faits isolés. C’est une maladie du sens. Je ne guérirai jamais de cette mélancolie. Voilà la seule porte de sortie. Ma mélancolie, c’est moi. Mon trou. Elle ne m’est pas étrangère. Je ne pourrai jamais m’en extirper, sauf à renoncer à mon être. C’est une cause perdue, puisqu’elle ne connaît pas d’adversaire, tous ces flics et criminels se pourchassant chez Mann, à la poursuite de leur propre gouffre. La soigner, ce serait me tuer. Ma mélancolie, je te le disais, spectateur, c’est la maladie du fait d’être homme. »
Votre bataille de Jéricho
(une courte lettre en guise de retour de lecture) par Des Nouvelles du Front
Cher David,
Nous sortons de notre torpeur et reprenons notre souffle après avoir expérimenté la touffeur tropicale de vos débordements à propos de The Jericho Mile de Michael Mann.
D'abord nous aimons cela. Que vous sachiez dans le portrait que vous brossez de Larry Murphy tenir à la distinction entre l'existence normale qui s'impose à nous et le métier de vivre que nous construisons en secret dans ses intervalles. Car cela n'est pas la même chose en effet. Le distinguo que vous introduisez avec subtilité a valeur heuristique en recoupant aussi, si loin si près, la différence ontologique, heideggerienne s’il en est, entre l'être, avec le retrait qui en garantit l'ouverture et la réouverture, et la facticité ontique caractérisant nos existences réalisées sans pour autant que leur facture n’épuise d’autres potentialités dont l'être est la promesse recommencée.
Larry en tant qu'il court s'expose mais sa course est aussi la manifestation d'un retrait, sa guise. Si, pour le coureur, courir est une manière existentielle, la course tient surtout de l'analytique existentiale : moins une modalité d'existence spécifique qu’une pensée faite corps du fait d'exister.
En vous lisant, on le perçoit mieux en le disant ainsi : les techniciens manniens sont définitivement des athlètes métaphysiciens. Ils sont les praticiens d'une pensée de l'être qui les oblige à épuiser le matériau circonstancié de leurs exploits, eux qui se tiennent prêts pour le grand saut, non pas celui du néant des exploits inutiles mais dans le vide même de l'être, au-delà toute idée d’utilité.
La mélancolie du héros mannien s'épanche après la fin des fauconneries héroïques enseignées par Howard Hawks, parangon du classicisme hollywoodien, dès lors que le professionnalisme, en ses tropes et ses tics, tournent et retournent autour de son écorce de rien pour en délivrer le fruit, moyen pur, gestes qui ne communiquent rien d'autre que la communicabilité elle-même, usage de soi.
Et puis l’Amérique
(le solitaire, le communautaire de lui-même)
Et puis l'Amérique, forcément l'Amérique, on n'écrit pas sur un cinéaste sans parler du pays qu'il habite et qui l’habite, le pays dont la carte se déplie autant comme territoire réel et quadrillé que comme espace imaginaire et atopique, l’universalité de son idée déliée de tout attachement territorial. La grandeur de tels cinéastes consiste pour eux en effet à repenser les mutations « épokhales » du cinéma (Nouvel Hollywood, télévision, numérique) à partir des métamorphoses des États-Unis, mythologiques aussi, qui en ont accueilli l'industrie pour projeter sur la toile-cerveau du monde de terribles rêves de grandeur qui sont également de toutes petites choses très localisées.
Chez Michael Mann, et l’on vous suit parfaitement sur ce point, le communautarisme n'est authentiquement intéressant qu'en étant celui des solitudes, l’appareillement des dépareillés. Peu d'appétence pour les groupes, c'est là une différence majeure et significative par rapport au modèle hawksien et l’on ne parle même pas des communautés organiques de John Ford. Le solitaire s'y présente comme le communautaire de lui-même. La solitude des figures se voit peuplée de communautés qui, au dehors, fragmentent et décomposent le fantasme molaire du creuset national selon une ligne de segmentarité classiquement sociale et raciale, sexuelle aussi bien (l'homo-érotisme risque toujours de court-circuiter la balise du straight). Ce qu'il reste alors de l'utopie originaire de l'Amérique ouverte à la camaraderie des rencontres ? La prison d'un corps qui tourne en rond en substituant au néant saturé d'une existence sous tutelle carcérale le vide même de l'être. Ce vide qui n’est pas abondée par une volonté de néant peut alors faire hospitalité à l'usage propre du corps en tant qu’il est abandonné à l'impropriété radicale, et livrée à la mélancolie de l'irréalisé.
Avec le train de retard pris par Mann sur la locomotive du Nouvelle Hollywood qu'il aura désiré rejoindre alors que la séquence est précisément en train de se terminer, on saisit mieux pourquoi il lui aura fallu courir vite, si vite. Courir vite pour appréhender dans le même mouvement que rien ne sert de courir quand on n'est pas parti à point. Restent alors les poings à mettre sur les i pour Achille qui, s'il ne rejoindra jamais la tortue, vole comme un papillon et pique comme une abeille. Achille ressemble alors furieusement à Cassius Clay, le boxeur qui est devenu ce qu’il est en changeant de nom, passant d’une fiction nominale héritée à l’identité nouvelle de Mohammed Ali désormais.
Le mouvement en question, course existentielle et courir existential, est celui d'un contretemps nécessaire à la mélancolie des mélomanes dont les humeurs baignent votre propre mélancolimannie.
Écrire ainsi, c’est herboriser aussi
Tout ceci expliquerait beaucoup de la forme même que vous auriez moins décidé d'adopter qu'elle se serait imposée à vous en vous forçant un peu la main. L'écriture est sauvage et bigarrée, elle tire à hue et à dia, tutoiement au spectateur qui se révèle progressivement juge et même bourreau de qui se rend coupable en écrivant ainsi, sermocination qui est un masque rhétorique servant à la mise et remise en bouche de vos propres ruminations et ratiocinations, discours indirect libre qui branche l'expérience du film sur autre chose que l'interprétation mais sur l'expérimentation même, avec le sentiment fort du live, d'un vivre dont le métier jamais professionnalisé passe aussi dans ces écritures-là.
Herbes folles, rhizome et radicelles, une prolifération tous azimuts de rayons verts – l'herbe est dieu a dit Giorgio Agamben en pensant peut-être à Walt Whitman, comme vous sûrement à Spinoza.
Votre essai tient du gueuloir pas sage qui, fidèlement, répondrait au fouloir du personnage, Larry, l’homme qui court en faisant de ses courses d’imperceptibles herbiers dont la meilleure part est impersonnelle. Ce serait là comme le chapitre foutraque d'un roman en cours et impossible dont les saillies stylistiques marquent des bandaisons qui font craquer la couture du pantalon de l'analyse critique. L'héroïsme d'une voix qui se divise en tirant de ses lignes de segmentation les masques de pudeur d'une étonnante exhibition court cependant un possible danger, celui de tomber du coté où elle penche, la forteresse noire du texte virant abscons dans la tentation d'être libre et imprenable.
Écrire ainsi, c’est herboriser aussi. Et les feuillets de s’apparenter alors à des feuilles d’herbes.
La prodigalité, celle du boxeur Ali, est une générosité dépensière, une jactance qui est aussi jaculance dirait l’ami Lacan. Autrement dit c’est une jouissance textuelle qui vole comme un papillon et pique comme une abeille, qui enivre en pouvant aussi fatiguer quand elle requiert, quelquefois véhémentement, l'épuisement extatique de son objet. La stratégie n'est cependant pas incohérente, loin de là. Ali à l'instar des grands héros manniens, songeons entre autres et encore à Dillinger, est aussi un dandy. Il faut pour le coupable qui se fiche à poil en se vêtant d'autant de peaux de bêtes qu'il rudoie jusqu'à épuisement son lecteur – « Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère ! » – afin de désœuvrer son envie irrésistible de se faire son juge comme son bourreau.
Ce qui au fond réussirait à emporter le morceau ce sont justement les morceaux, bas et gras, tout ce fatras organique et lovecraftien, tout ce côté un peu obscène, tout cet aspect vraiment monstrueux : il y a de La Chose dans votre bataille de Jéricho (il est vrai aussi que John Carpenter est un autre hawksien mélancolique). C’est en réalité une grande bataille qui se livre dans le ciel de vos possibilités, ciel mêlé des pistes et des carrefours, ciel des aveux déguisés et puis l'inavouable qui résiste, restance après toute signifiance, ce reste qui résiste en en appelant à toutes les survivances.
Vous aussi êtes, après tout, prisonnier du grand effort que vous avez toujours fait pour nous rejoindre tous. Et nous le sommes aussi, nous qui tentons de vous suivre en remontant vos pistes.
Zéro : le nombre d'or, votre nombril arabe
Vous n'interprétez jamais en effet. Follement vous préférez expérimenter une manière de dépersonnalisation de soi, vous retrouvant vous-même après vous être tant éloigné de vous-même, différant comme l'étranger qui a toujours une coudée d'avance au moins sur les paranos de l'identité, écrivant au fond (du trou) comme Larry Murphy court en rond dans le sien, tournant et retournant pour brûler dans la nuit du cinéma et y épuiser interprétations et significations, épuisant même les herméneutes patentés de Michael Mann et l'Amérique elle-même, qui n'est à la fin rien sinon le nom d'un recommencement à zéro plutôt que celui d'une seconde chance.
Zéro : nombre d'or, le nombril de l'écriture - votre omphalos arabe.
Tant d'épanchements pour quoi ? Surtout qu'il y a à se méfier aujourd'hui des ruissellements promis. L'épanchement serait davantage celui des poches de synovie qui dégorgent des espaces articulaires du texte. Les épanchements circulaires sont alors les boucles nécessaires à ce que vous ne la boucliez pas. C'est que vous avez bien compris - ce bien est un mal qui vous en a pris - qu'un critique est toujours le dernier Mohican d'une guerre gagnée par d'autres que soi. C'est là le foyer de votre mélancolimannie. Larry Murphy emblématise ainsi votre labilité, dont la coulée synoviale renvoie tant de demi-habiles à la marinade de leur bile.
Le mur, la porte, la vitre
Que le mur devienne une porte, dites-vous en citant Emerson justement. Nous vous suivons fidèlement en vous répondant avec le sous-commandant Marcos en éclaireur et stalker, un frère de votre coureur (un frère américain, mais celui-là du Mexique) : que le miroir devienne vitre pour être brisée, et permettre ainsi de passer de l'autre côté.
Pantin-Paris-Saint-Denis, 22 février 2021-16 avril 2022
Poursuivre la lecture autour du cinéma de Michael Mann
- David Fonseca, « Michael Mann : Mirages du contemporain de Jean-Baptiste Thoret : Leurre de la critique », Le Rayon Vert, 2 février 2022.
- Des Nouvelles du Front, « Le Dernier des Mohicans de Michael Mann : Amerindian Runner », Le Rayon Vert, 13 janvier 2021.