« Tenet » : La croix de Christopher Nolan
« Tenet » est l'opéra de Christopher Nolan, son chef-d'œuvre pour autant que son architecture de béton est un piège pour ses spectateurs, une croix pour sa représentation. Sacrifier un film à la monumentalisation du nom de son auteur équivaut à la bétonisation du cinéma. Les abstractions nolaniennes sont devenues l'or massif du blockbuster mais son extraction a un coût élevé, celui d'un cinéma bétonné.
Le pachyderme et la porcelaine
C'est une injonction impérative, un commandement quasi-mosaïque : Tenet tu iras voir. Spectateur tu le dois, il le faut parce qu'ainsi tu sauveras une industrie du cinéma sévèrement frappée par les effets économiques de la crise sanitaire provoquée par le Covid-19, qui souffre en effet d'une baisse de 70% de fréquentation quand on compare à la même date les chiffres actuels avec ceux de l'année dernière. La place du spectateur n'aura jamais été aussi bétonnée par son identité fonctionnelle d'agent économique sommé de faire un effort pour sauver du naufrage son loisir culturel préféré. On le sait, l'économisme est une réductionnisme et le rabattement du spectateur sur sa fonction économique est non seulement un appauvrissement symbolique, mais aussi une disqualification pure et simple de son expérience. Une liquidation avouée de sa subjectivité.
La vocation péniblement messianique attribuée par les médias au nouveau blockbuster de Christopher Nolan alourdit un film qui l'est déjà tellement. C'est un destin d'autant plus pesant quand on considère ses effets pervers et ils ne manquent pas en révélant le caractère problématique d'une stratégie de concentration du choix des exploitants qui ne peut pas ne pas réduire considérablement la marge de manœuvre restante pour les autres films distribués au même moment. 800 copies pour un parc qui comprend en France 2.184 salles, cela signifie donc que Tenet couvre plus de 35% de la place existante. La propension monopoliste du capital produit massivement des comportements grégaires et adaptatifs. L'affaire est si sérieuse que, sur la base d'un accord entre le producteur-distributeur Warner Bros. et l'entreprise ComScore dont les activités consistent rien moins qu'en l'analyse marketing des spectateurs, décision a été prise de ne pas communiquer les chiffres d'exploitation lors de la première semaine de la sortie de Tenet.
Voilà où se tient aujourd'hui l'expérience du pauvre spectateur : à la niche dans le carré d'un capitalisme culturel dont le spectacle est également celui de sa concentration monopolistique. C'est aussi cela le carré de Tenet et il n'est pas si magique.
Ce qui demeure symptomatique est que le onzième long-métrage de Christopher Nolan prend beaucoup de place en s'apparentant à un pachyderme qu'il est en fait toujours déjà, conçu comme tel bien avant la crise sanitaire quand on sait que son budget représente rien moins qu'un quart de milliard de dollars. La question est alors de savoir si le gros animal sait danser et balancer. Le blockbuster monumental est-il donc capable, outre la satisfaction de son mandat messianique, des habiles contorsions lui évitant de saccager le magasin de porcelaine où se faufile la petite souris de nos subjectivités ?
Le monument
et son plafond de béton
Une fois que l'on a fait un sort à l'analyste économique que le spectateur se doit désormais d'être aussi, on regarde enfin Tenet en reconnaissant dans son ouverture sa dimension programmatique. C'est un fait devenu quasiment un poncif : le premier plan des grands films en expose l'idée générale. La fin est toujours déjà contenue dans le début, le quasi-poncif relève de l'hégélianisme pour débutants. Christopher Nolan y souscrit avec l'application corsetée et la marmoréenne concentration qui le caractérisent, et vise une nouvelle fois le monument en le confondant toujours plus bruyamment avec la monumentalisation de sa signature d'auteur.
Quel est le premier plan de Tenet ? Il s'agit d'un travelling arrière conduit depuis un couloir de l'opéra de Kiev et il s'effectue de telle sorte qu'il amorce un effet d'optique donnant à voir l'écrasement de la scène où se trouve l'orchestre par le plafond qui s'abat dessus comme une mâchoire de béton. Musiciens et spectateurs se retrouvent ainsi comme écrabouillés par un mouvement qui tire de l'architecture dédiée à la grande culture la forme d'un piège que prolongent immédiatement l'assaut du site par un commando et sa neutralisation par l'équipe dirigée par le héros chargé de l'exfiltration de la cible d'un attentat.
On voudrait bien penser à la fin de L'Homme qui en savait trop (1956) d'Alfred Hitchcock quand l'exercice du suspense se tient dans le mouchoir de poche de la synchronisation d'un passage de la partition jouée par l'orchestre du Royal Albert Hall dirigé par Bernard Hermann avec l'instant de l'exécution par balle d'un ambassadeur. Mais l'effet d'optique l'emporte dramatiquement sur toute autre considération cinéphile : Tenet est l'opéra de Christopher Nolan, son chef-d'œuvre pour autant que son architecture de béton est un piège pour ses spectateurs comme une croix pour la représentation. Sacrifier un film à la monumentalisation du nom de son auteur n'équivaut qu'à la bétonisation de la possibilité que le cinéma soit un art et non seulement une industrie.
Les éditions de L'Échappée sortiront en novembre prochain le nouvel ouvrage d'Anselm Jappe qui aura pour titre Béton, arme de construction massive du capitalisme. « Le Béton incarne la logique capitaliste. Il est le concret de l'abstraction marchande » peut-on lire en ouverture de sa quatrième de couverture. Les abstractions nolaniennes sont l'or massif du blockbuster mais son extraction a un coût élevé, celui d'un cinéma bétonné.
L'inversion de l'antigravitation
L'équation parfaite d'un film de Christopher Nolan consiste en l'ajointement huilé du blockbuster et de la politique des auteurs, la conjonction designée des effets spéciaux à l'ancienne et d'un scénario en forme de casse-tête. L'équation savante est lourdement chargée mais le monument visé l'est en étant également au service d'une machine de production d'antigravitation. On ne s'étonnera pas de voir de nombreuses figures nolaniennes s'armer des dispositifs et autres gadgets leur permettant de quitter le sol pour s’envoler, s'élever dans les airs et traverser les nuages. L'homme-chauve-souris de la trilogie The Dark Knight (2005-2008-2012) précède ainsi l'astronaute de Interstellar (2014) et les aviateurs de Dunkirk (2017), sans oublier le couloir d'hôtel et ses effets antigravitationnels de Inception (2010) en reprise au carré d'une scène fameuse de Mariage royal (1951) de Stanley Donen, la comédie musicale où Fred Astaire dansait en défiant avec une souveraine élégance les lois de la pesanteur.
Christopher Nolan sait ce que n'ont pas ignoré les grands démiurges et maîtres artificiers avant lui, Orson Welles et Federico Fellini, Andreï Tarkovski, Hayao Myazaki, ce que sait Bong Joon-ho encore aujourd'hui : l'antigravitation désirée engage pratiquement le paradoxe de la lourdeur des dispositifs et leur allègement dialectique à partir de ce qui nécessairement les appesantit. Et plus ils sont dotés et pesants, plus grands doit être alors l'enlèvement recherché du spectateur, son soulèvement désiré par ravissement. Danser dans un magasin de porcelaine est une réelle gageure et Tenet ne se prive pas de le vouloir en le faisant savoir tapageusement quand il fait de son duo de super-espions des temps hyper-modernes des monte-en-l'air munis de câbles montés sur ressort le temps d'une séquence nocturne à Mumbai.
Puisque Tenet tourne autour du motif de l'inversion temporelle, c'est-à-dire du présent que l'on peut vivre à rebrousse-poil en traçant un cercle reliant futur et passé, l'inversion en tournant sur son axe comme le moyeu d'une roue finit cependant par se retourner contre elle-même en produisant le contraire de l'antigravitation. À la place du vide de l'être dans la vision taoïste défendue par Confucius qui usait à dessein de la métaphore du vide central du moyeu de la roue, s'impose ici l'inversion de l'antigravitation. Autrement dit la lourdeur d'une forme qui précipite les lieux et mobilise les figures en volatilisant la possibilité même d'être en habitant quelque part. Soit la pesanteur d'une expression qui multiplie les coups de force visuels et narratifs à seule fin d'illustrer l'intelligence démiurgique du maître d'œuvre en surenchérissant sur les effets d'intimidation de son autorité. Ce serait un autre paradoxe que celui de l'alliage du lourd et du volatil sauf qu'il est vite levé par la fausse contradiction de l'abstraction marchande et du béton concret.
Un destin sûr pour Tenet est la diffusion vidéo pour les clients des compagnies aériennes et les sept années exigées par l’écriture et la réécriture du scénario paraissent de toute évidence avoir été nourries des heures d’attente dans les aéroports internationaux fréquentés par son auteur.
L'antigravitation anéantie par l'esprit de gravité du maître artificier devrait être une tragédie. On relève pourtant au moins trois occasions de rire : face à Robert Pattinson qui ne démérite pas mais, comme il est affublé de la réplique exacte de la coupe de cheveux de Christopher Nolan, on se demande ce qu’il se serait passé si Eric Rohmer avait cédé au même réflexe capillaire avec Melvil Poupaud avant le tournage de Conte d’été (1996) ; devant Kenneth Branagh qui roule les R en surjouant grotesquement l'accent russe du méchant qui terrorise sa compagne en se comparant à un tigre de la Taïga ; en réaction aux vrombissements agglomérés de la musique (Hans Zimmer a été remplacé par Ludwig Göransson mais le remplacement n'est que d'intérim tant la différence est nulle) dont les rouleaux compresseurs techno donnent l'impression d'indiquer la proximité d'une boîte de nuit. De la musique de film qui fait trébucher notre intérêt pour le film tant elle sonne comme une fraiseuse de chaussée. On se dit alors que le rire tient toujours du sursaut vital quand l'esprit de sérieux commande à une entreprise de travaux publics.
La chorée du deus ex machina
Au fait, que raconte Tenet ? Fonctionnant en surrégime et trouvant la peine encore de le démontrer, le film de Christopher Nolan est nébuleux par volontarisme à force de compression narrative et d'accélération sans variation ni décélération. La narration y est de fait sacrifiée par le surnombre des informations dispensées alternant avec le tirage des feux d'artifices distribués sur sept pays. Une scène symptomatique : le héros commande dans un restaurant huppé de Londres, le temps qu'on la lui prépare, il s'est déjà taillé à l'autre bout de la planète et le pauvre Michael Caine n'a même pas le temps de lui conseiller un bon tailleur. On pense aussi au sort d’un dessin de Goya qui, même faux, a à peine droit à un regard digne de ce nom. Chez Christopher Nolan, l'ellipse cinématographique est concrètement grevée par la plus lourde des empreintes écologiques.
Une fois dégraissés de ses effets de manche, Tenet ne raconte rien d'autre que l'histoire d'un homme comprenant après coup qu'il est le sujet d'une mise en scène qu'il a lui-même arrangée depuis le futur. C'est énorme et en même temps cela ne l'est pas vraiment. D'un côté, Tenet propose une version de l'anamnèse platonicienne mais en la conjuguant au futur antérieur. Se souvenir du futur, La Jetée (1962) de Chris. Marker y arrivait déjà, sans tapage ni esbroufe, avec un minimum de moyens et une radicalité qui fait toujours vaciller notre regard. De l'autre, Christopher Nolan raconte la nouvelle version de la même histoire qui l'obsède, la même fiction paranoïaque du récit à la perspective faussée quand on comprend qu'il est en fait raconté du point de vue de l'autre. C'est déjà le fait de Following (1998) et Memento (2000), cela l'est encore avec The Dark Knight Rises (2012). Le faussement des perspectives se précise cependant quand l'autre se retourne sur lui-même pour se révéler être le même. Être pour soi-même sa propre énigme est au cœur de Memento comme du troisième court-métrage du réalisateur, Doodlebug (1997). Tenet s'oppose cependant à eux comme à The Dark Knight Rises en rejoignant Interstellar puisque la voix parlée est moins celle de l'autre (le méchant Bane est parlé par Miranda Tate qui l'est elle-même par le spectre de son père, Ra's al Ghul) que son fil est tiré à l'autre bout de la pelote par le même (l'astronaute perdu dans la cinquième dimension traverse un trou de ver et joue à la théorie des cordes en comprenant après coup qu'il était le fantôme dont lui parlait sa fille quand elle était enfant).
L'autre n'est personne d'autre que le même. Je est un autre pour autant qu'il est le même. L'altérité est un leurre pour l'identité : Je = Je. L'équation est lourdement traitée, son résultat simple jusqu'au simplisme. Le film de Christopher Nolan voudrait être un objet paradoxal comme un ruban de Möbius quand il donne à l'identique la perspective biaisée de l'hétérogène. Avant Tenet, Lost Highway (1996) de David Lynch s'y était puissamment essayé mais en ne cédant jamais sur l'enfer circulaire de l'identité et la fêlure nécessaire pour s'y soustraire. Rien de tel dans Tenet dont le titre en palindrome dit bien qu'il n'y a aucun moyen de sortir de l'identité du même, ni dans un sens ni dans un autre.
La flèche du signifiant relie futur et passé pour circonscrire le présent et l'infléchir en l'enfermant dans la boucle du même. Tenet va du pareil pour arriver au même, réciproquement et il y va littéralement. Le héros découvre alors qu'il est à lui-même son propre deus ex machina. La revoyure est programmatique en impliquant le repérage aux limites du traçage de ses apparitions subreptices qui se vérifient d'emblée lors de la séquence introductive à l'opéra de Kiev. Cette découverte tardive aura été scandée par ces moments réellement spectaculaires où les images sont soumises à un double mouvement contradictoire, forward (vers l’avant) et rewind (retour en arrière). Comme si les assaillants qui s'affrontent par exemple au corps à corps étaient mus par une forme d'hystérie partagée, une sorte de chorée commune qui brouille leurs paroles en compliquant le rythme et l'articulation de leurs actions. Le double-bind affectant l'image-action devrait davantage troubler mais le temps presse, la narration est comprimée par le lot d'informations à dispenser, il n'y a pas le temps pour cela. Pas la peine alors de développer une durée qui donnerait un peu de chance et de consistance à ce trouble à peine amorcé des rythmes et des temporalités. La comparaison avec David Lynch s'arrête là, en touchant vite au nerf de ses limites.
La chorée du héros découvrant qu'il est son propre deus ex machina est le symptôme d'un réalisateur qui voudrait échapper à son melon en consentant qu’il n’y parviendra jamais. Doodlebug le montre encore : en dessous de lui c'est encore lui et c'est toujours lui au-dessus de lui. Mise en abyme autotélique : le méta renvoie au moi. L'auteurisme est un cercle ouroborique. Tenet c'est la croix de Nolan dans sa dernière expression attitrée. Pourquoi dès lors attribuer un nom et une biographie au « protagoniste » interprété par John David Washington, qui n'a en effet rien d'autre à jouer qu'une fonction abstraite au nom de l'opération bétonnée de monumentalisation du nom de son fonctionnaire ?
Le carré magique et sa fumisterie
Avec Tenet, le genre de l'espionnage exemplifié par James Bond et Mission : Impossible se voit apparié à un argument de science-fiction casse-tête (l'inversion temporelle en raison de technologies de combat exportées depuis le futur). La guerre à venir et à prévenir n'a pas d'autre enjeu que la fin du monde, argument apocalyptique bateau. Quant aux effets d'influence du futur sur le présent, ils ne sont franchement pas d'un ordre si différent que ceux déjà mis en scène et en récit dans Terminator et Retour vers le futur, bâtards hollywoodiens et pas toujours illégitmes de La Jetée. Avec la prescription programmatique du futur sur le passé, le présent se voit encodé de telle sorte que rien d'inconnu ne puisse survenir. Ce qui arrive est que l'imprévisible ne peut plus arriver. Abolition du réel dont l'autre est le garant. Le futur dans Tenet est le contraire de l'avenir.
Rien de plus pathétique qu'un réalisateur doublement forcené, qui force le spectateur à comprendre ce qu'il s'est forcé à rendre incompréhensible. C'est pourquoi le démiurge a besoin d'une notice qui contiendrait sous une forme fractale l'image de vérité de son film, en l'espèce donné par le fameux carré Sator. Le carré magique de lettres répété dans plusieurs inscriptions latines, dont la plus ancienne a été trouvée à Pompéi aux environs de 79 après JC, a fait bouillir l'esprit de plusieurs épigraphes et latinistes. Composé de cinq mots, le carré les donne à lire horizontalement et verticalement, en acrostiche, mésostiche et téléstiche, lisibles encore en boustrophédon : SATOR AREPO TENET OPERA ROTAS. Que signifient-ils ? Sator c'est le semeur, le laboureur, plus généralement le père, le créateur ; Tenet signifie en latin « il tient », par extension « il maintient en son pouvoir »; Opera dit le travail accompli, l'œuvre ; Rotas ce sont les roues, les cycles ; Arepo, enfin, est un hapax en tant qu'il n'apparaît qu'une seule fois dans toute la littérature latine (le mot a probablement été inventé pour faire fonctionner le carré magique et peut alors valoir comme nom propre).
Tenet s'évertue ainsi à distribuer les cinq mots partout dans son récit et, en dépit de sa nébulosité narrative, leur combinaison forme aisément la phrase suivante : le créateur (sator) maintient en son pouvoir (tenet) qui tient dans les roues (rotas) de son œuvre (opera) un spectateur qui pourrait s'appeler n'importe comment (comme Arepo). Si le verbe latin « Tenet » induit le symbole cryptique de la croix chrétienne, Tenet est la croix du cinéma de Christopher Nolan.
Le carré Sator s'apparente à un jeu de société comme le Boogle dont les lettres à chaque fois mélangées ne donneraient qu'un seul nom, systématiquement : NOLAN. Un bon film de Christopher Nolan, Le Prestige (2006), raconte à partir de la rivalité épique et mimétique de ses deux magiciens le passage significatif de la magie de son vieil âge artisanal à son nouvel âge industriel, avec l'arrivée de l'électricité (incarnée par Nikola Tesla) et l'hypothèse SF du clonage (l'enfer du même, toujours). Il en profite aussi pour rappeler la constance de la vérité d'un tour de magie, à savoir qu'il se joue en trois temps qui se composent de la promesse, du tour proprement dit et du prestige. À l'âge hyper-industriel du cinéma, la promesse qui annonce tant déçoit grandement dans l'inflation des moyens nécessaires au tour et la drastique réduction du prestige à la monumentalisation du nom du magicien. Beaucoup de bruit pour rien est forcément ce qui advient quand le magicien abolit le mystère de la magie dans un son et lumière qui se confond en cuistrerie en fondant l'esprit de sérieux dans les fumigènes de la fumisterie.
Post-scriptum : une fable russe
Avec son oligarque russe qui se souvient de sa jeunesse dans un goulag de l'âge atomique dont le site s'appelle Stalsk-12, Tenet pense peut-être à Stalker (1979) d'Andreï Tarkovski. On songe pour notre part à l'épisode du fondeur de cloche de Andreï Roublev (1969), mais c’est pour en proposer la variante suivante.
Au milieu du 15ème siècle, une communauté paysanne durement éprouvée par la guerre et les exactions des seigneurs féodaux a besoin d'un acte de foi. Puisque le clocher de son église orthodoxe a été détruit, elle demande au fils du fondeur de cloche décédé de diriger la fonte d'une nouvelle cloche dont le son fera ainsi retentir le plus loin possible la foi retrouvée. Puisque le fils dit avoir été instruit du secret nécessaire à la fabrication de la cloche, il peut alors diriger une vaste entreprise qui mobilise toute la population, tous les savoirs et tous les moyens disponibles afin d'arracher des lourdeurs de la terre le symbole céleste d'un retour au bercail de la foi. La cloche sonne. Son retentissement devrait avérer le triomphe de son sonneur mais la cloche sonne si fort qu'elle perce les tympans de la foule rassemblée avant de tomber sur la tête de son fondeur.
Certains racontent depuis que la cloche est restée comme le monument dédié à son auteur dont le nom est un tombeau pour lui et une surdité pour ses admirateurs.
Poursuivre la lecture autour du cinéma de Christopher Nolan
- Des Nouvelles du Front, « Oppenheimer de Christopher Nolan : Proche de zéro », Le Rayon Vert, 23 juillet 2023.
- Guillaume Richard, « Inception de Christopher Nolan : Le Moulin à vent et la Poétique du rosebud », Le Rayon Vert, 17 décembre 2019.
- Jérémy Quicke, « Batman Begins de Christopher Nolan : Le Masque aux deux Visages », Le Rayon Vert, 10 mai 2019.