Logo du Rayon Vert Revue de cinéma en ligne

Chantal Akerman : Des chambres dans la nuit

I don't belong anywhere est le titre du documentaire qu'a réalisé Marianne Lambert en 2015 sur Chantal Akerman. Mais cette dernière appartient-elle vraiment « à nulle part » ? Est-elle véritablement une cinéaste nomade ? Oui, si on retrace l'itinéraire de sa filmographie qui n'a jamais cessé d'arpenter le monde pour porter un regard sur les lieux où règnent encore la division et les aliénations. Non, car Chantal Akerman n'a pas toujours été en exil même si, effectivement, elle n'a peut-être jamais trouvé sa propre maison. Car en effet, dans les nuits solitaires de ses films, il reste aujourd'hui des chambres. C'est le lieu où s'est accompli pour elle ce qu'il y a de plus important : l'amour (Je, tu, il, elle, entre autres), les rencontres et, surtout, à la fin de sa vie, il y a ces images de Natalia, sa mère, dans No Home Movie. Il y a donc la nuit du dehors et le bouillonnement affectif des chambres qui offrent malgré tout un refuge, ou du moins un lieu où se joue toujours quelque chose (on pense aussi à Jeanne Dielman, bien évidemment).

Ce cycle de textes, appelé à évoluer constamment, entend restituer ce double mouvement d'exil et de recherche de refuge(s), tout en brisant certains clichés qui entourent le cinéma de Chantal Akerman. Une fois redécouverts, sa grandeur et son génie (désolé pour le gros mot) brillent de mille feux : il apparaît évident que Chantal Akerman transformait tout ce qu'elle touchait en or, peu importe le genre et la nature du film (documentaire, comédie, portrait, installation, art vidéo...). Peu de cinéastes peuvent revendiquer une telle hétérogénéité.

(Guillaume Richard)

Aurore Clément dans Toute une nuit de Chantal Akerman
Rayon vert

« Toute une nuit » de Chantal Akerman : Symphonie cinétique

14 octobre 2024
Dans Toute une nuit, la nuit n’est pas qu’une simple toile de fond, elle est une matrice de laquelle surgissent les gestes mélodramatiques des anonymes. Ces gestes sont le centre de gravité du film, tandis que les personnages sans nom et les mini-récits discontinus ne sont que des instruments qui permettent à Chantal Akerman de réaliser le mouvement.
La mère de Chantal Akerman dans sa maison à Bruxelles dans No Home Movie
Rayon vert

« No Home Movie » de Chantal Akerman : Si loin, si proche

14 octobre 2024
No Home Movie, le dernier film de Chantal Akerman, est traversé par un mouvement qui oscille entre les forces contraires de l’éloignement et du rapprochement. Car la distance semble être au cœur de bien des images, une distance à entendre d’un point de vue spatial, corporel comme émotionnel. Une distance sans cesse à reconfigurer pour arriver à être connectées l’une avec l’autre et pour enfin libérer les mots qui sont les plus difficiles à sortir, ceux du cœur.
Chantal Akerman dans sa chambre dans Je, tu, il, elle
Rayon vert

« Je, tu, il, elle » de Chantal Akerman : L'autre sans quoi

14 octobre 2024
La mise à nu est une franchise quand le franchissement des seuils du visible a ainsi valeur d'affranchissement. Avec Je, tu, il, elle, Chantal Akerman âgée de 24 ans seulement se constitue à l'image en sujet qui s'expose moins comme une personne que comme personne. La subjectivation ouvre chez elle à l'impersonnelle. D'abord dire je pour suivre avec tu, ensuite passer par il pour finir avec elle : elle qui est l'autre, elle qui est moi, elle qu'il y a entre les autres et moi – un on peuplé d'elles. La frontalité s'y fait dénudement et le désœuvrement de tout narcissisme l'est de toute pornographie, souverainement. Parce qu'il y a de l'autre qui manque et dont le manque est une addiction avec ses compulsions. Parce que l'autre est tout autre, c'est le secret, et qu'il est toute autre, c'est le secret des secrets. L'autre ne sera donc pas un « il » dont la débandade est avérée, mais une « elle » dont les retrouvailles sont océaniques. La politique de la chambre à coucher est une tabula rasa, un désert repeuplé, avec ses ritournelles et son repos bien mérité. Shabbat n'advient qu'à seule fin de tout recommencer.
Pina Bausch sur scène dans Un jour Pina a demandé...
Rayon vert

« Un jour Pina a demandé... » de Chantal Akerman : L’esprit qui danse

14 octobre 2024
Un jour Pina a demandé... consiste à reprendre à la scène ce qui appartient au film : Chantal Akerman veut puiser dans le travail de Pina Bausch ce qu’il y a de cinématographique pour le faire passer de l’art de la danse à son art à elle, le cinéma.
La frontière mexicaine aux USA dans De l'autre côté
Esthétique

« De l'autre côté » de Chantal Akerman : Sur-réalisme

14 octobre 2024
Un lien existe-t-il entre De l’autre côté et la peinture de René Magritte ? Si c'est le cas, il faudrait alors qualifier certains films de Chantal Akerman de sur-réalistes, puisqu'elle cherche toujours à capter ce qui, dans l'image, s'y loge et la déborde, ce qui la hante et s'y dissémine. Chaque récit que livrent les mexicains face à la caméra rappelle à la vie un fantôme, en l’occurrence un être aimé qui a disparu depuis son passage par-delà la frontière. Le titre du film témoigne ainsi parfaitement de cette volonté de rendre présent l’absence, de faire revenir ceux qui sont passés « de l’autre côté ».
Sylvie Testud et Stanislas Merhar à l'arrière d'une voiture dans La Captive de Chantal Akerman
Rayon vert

« La Captive » de Chantal Akerman : La privation du regard

14 octobre 2024
Dans La Captive, le corps d’Ariane est l’objet d’une traque continue. Chantal Akerman entreprend ainsi de donner à voir ce qu’est un personnage qui disparaît, vivant écrasé par le poids du contrôle et des dispositifs de pouvoir qui pèsent sur lui.
Une vue d'une rue de New York dans News from home
Rayon vert

« News From Home » de Chantal Akerman : Dialectique urbaine

16 mai 2024
Au début des années septante, Chantal Akerman s’installe pendant plusieurs mois à New York. Là-bas, la jeune réalisatrice fréquente l’avant-garde du cinéma expérimental et réalise plusieurs courts et moyens-métrages. En 1976, elle revient à New York pour y tourner les images de la ville qui viendront accueillir la lecture des lettres que sa mère lui envoyait quelques années plus tôt. Ainsi nait News From Home, d’un premier décalage temporel qui place le film sous le signe de l’écart. Tout le film s’articule ainsi autour de forces antagoniques qui se font l’écho du conflit interne qu’expérimente la cinéaste à cette époque et qu’elle transmet aux spectateurs sous la forme d’une œuvre physique et éreintante.
Un photo de l'exposition Chantal Akerman Travelling à Bozar et au Jeu de Paume.
Histoires de spectateurs

Exposition « Chantal Akerman. Travelling » : Bifurquer entre les mondes

13 avril 2024
L'exposition « Chantal Akerman. Travelling » est une invitation à bifurquer et à se mouvoir dans les mondes où Chantal Akerman nous emmène. Bifurquer physiquement, avec notre corps et nos affects, mais aussi pour rencontrer ses mots, sa pensée. Bifurquer, comme à l'entrée de l'exposition au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, du chemin tout tracé vers le sentier dissimulé sur le bas-côté, pour ressortir plus loin, après avoir voyagé dans des temps racontés par la cinéaste, en arpentant seulement quelques couloirs et une dizaine de salles.
Delphine Seyrig épluche des pommes de terre dans sa cuisine dans Jeanne Dielman
Rayon vert

« Jeanne Dielman » de Chantal Akerman : La prisonnière de son désert

26 mai 2023
Elle a dit une fois qu'il lui est arrivé comme ça, le film comme tombé d'un coup, calme bloc ici-bas chu d'un désastre obscur à l'instar de son jumeau, La Maman et la putain (1973) de Jean Eustache. Comment l'éclair a pu déchirer et quelque peu éclaircir une nuit agitée, encore une parmi mille et une autres, toutes les nuits blanches et atrabilaires qui ont fini par la dévorer toute entière. Jeanne Dielman de Chantal Akerman n'est pas la radiographie, clinique et critique, des aliénations de la vie quotidienne et domestique, mais la rigoureuse cartographie d'un désir féminin dont la machine s'expose dans la singularité radicale de son architectonie. Et son autrice s'y est mise à nu en dépliant la carte de son désir comme jamais.