Analyse du cinéma de Bruno Dumont, de son naturalisme poreux et extra-ordinaire à sa portée métaphysique en passant par sa veine iconoclaste et burlesque. Bruno Dumont, dans sa mystique, se montre a priori levinasien. Nul ne peut s'exempter d'un crime qui ramène l'homme à sa condition morale. C'est que le crime n'est pas l'envers de l'humanité. Le naturalisme de Bruno Dumont ne sera donc jamais zolien. Les attaches de ses personnages dans un contexte singulier s'inspire de formes d'existence qui résistent à toute enquête psychologique et sociologique. Toutefois, cette mystique n'a pas besoin du Père, du Fils comme du Saint Esprit pour penser sa réponse morale au mal absolu. S'il s'agit d'aller vers Dieu, ce qu'affrontera Hadejwich, il s'agit toujours d'en retourner aux hommes. Pour vivre dans le monde abîmé qui est le nôtre, il faut trouver des manières d'exercer notre responsabilité dans un monde troublé par le mal. Un monde qui, chez Bruno Dumont, est pris entre le trouble et la tourbe, dont il faudrait percer le sens pour en comprendre la portée.
On ne le répétera jamais assez : Bruno Dumont n'est pas un réalisateur réaliste mais le cinéaste qui en exaspère le régime de vraisemblance à coup de blocs de réel, de soustraction psychologique et de forçages scénaristiques. Le réalisme est l'ennemi juré du cinéma de Bruno Dumont qui en violente les assurances mimétiques dans la préférence du réel à la réalité : le réel qui est toujours naturellement duel se divise entre le mal perpétré par la bête humaine et le bien garanti par l'ange imperceptible en se confondant avec l'idiot. L'appareillage de la pulsion (c'est la part naturaliste du cinéma de Dumont) et de sa rédemption (c'est sa part spiritualiste) est une machine de guerre contre les médiocres raccourcis sociologiques et psychologiques du réalisme.