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Rayons Verts

Rayon vert, Histoires de spectateurs, Majeur en crise et Chambre verte : découvrez les catégories les plus singulières du Rayon Vert.

Rayon vert

« La Dernière Piste » de Kelly Reichardt : Les voix oubliées du western

15 octobre 2021
Dans La Dernière Piste, l’Ouest mythique existe d'abord par la voix éloquente de Meek, guidant en vain trois familles dans l’Oregon le jour, conteur d’exploits probablement faux ou mythifiés la nuit. Face à cette parole hégémonique du trappeur qui a façonné la légende, Kelly Reichardt propose un contrepoint en plusieurs voix oubliées dans le grand récit du Far West : celles des femmes, de l’Indien et de la terre. Surtout, La Dernière Piste est un film qui se tait, la meilleure réponse à Meek restant le silence.
Tralala joue du banjo dans la rue dans Tralala
La Chambre Verte

« Tralala » d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu : La Grâce de ne pas être soi-même

14 octobre 2021
Au départ d’une forme de comédie musicale, d’une maxime qui donne son impulsion au film (« Ne soyez pas vous-même ») et d’un décor faisant cohabiter le mystique et le kitsch, à savoir la ville de Lourdes, Tralala des frères Larrieu développe une réflexion sur l’acteur tout en triturant les références religieuses, la musique et les conditions même de son tournage.
Simon et les enfants dansant au camping dans La Vraie famille
FIFF

« La Vraie famille » de Fabien Gorgeart : Le paradis perdu des familles de cœur

8 octobre 2021
La Vraie famille raconte l'histoire déchirante d'une séparation en utilisant, pour le meilleur et pour le pire, les grandes ficelles du mélo. Mais grâce à son honnêteté et ses choix narratifs, le film de Fabien Gorgeart s'impose comme une tentative honorable du genre.
Jane Birkin et Charlotte Gainsbourg devant la maison (musée) de Serge Gainsbourg à Paris dans Jane par Charlotte
FIFF

« Jane par Charlotte » de Charlotte Gainsbourg : Toucher ou muséifier

4 octobre 2021
Jusqu’à quel point peut-on prétendre toucher à une icône, l’approcher dans sa réalité, dans son authenticité, à partir du moment où cela se fait par l’entremise d’une caméra et d’une mise en scène orchestrée par une fille actrice à la gloire de sa mère ? Telle est la grande question de Jane par Charlotte qui ne cessera de l'explorer sous différentes formes, jusqu'à visiter un "musée" — l'ancienne maison de Serge Gainsbourg restée dans l'état — où il est interdit de toucher aux reliques du passé.
Billy (David Bradley) avec son faucon dans les champs dans Kes
Rayon vert

« Kes » de Ken Loach : Enfances politiques (1/3)

22 septembre 2021
La traversée critique de trois films de Ken Loach au prisme de l’enfance permet d’interroger la place singulière que sa cinématographie accorde à cet âge de la vie, au carrefour des déterminismes qu’il dénonce et de la quête radicale de liberté qu’il appelle de ses vœux. Dans Kes (1969), le cinéaste britannique – qui signe son film sous le prénom de Kenneth pour la dernière fois –, fort du succès de Cathy Come Home (1968) sur le petit écran, retrace la trajectoire de Billy, enfant à problème d’une famille minière du Yorkshire qui va entreprendre de dresser un jeune faucon. Estampillé « classique » du cinéma social traitant de l’enfance, ce film, loin de s’enfermer dans les pesanteurs du réalisme, fait plutôt montre d’une incroyable liberté formelle, et révèle les ferments de la vision politique de son auteur.
Les enfants de l'école dans Devoirs du soir
Rayon vert

« Hommage aux professeurs » et « Devoirs du soir » d'Abbas Kiarostami : Le mal au ventre des enfants

19 septembre 2021
Quand l'éloge consensuel ouvre sur l'os des paroles hétérodoxes, la fonction de témoignage et d'intervention débouche quant à elle sur la critique générale d'une institution pilier de la révolution iranienne. Si la maltraitance scolaire est un motif partagé, c'est en se déclinant au pluriel. Le courage de la vérité est alors ce qui rassemble élèves et enseignants victimes de la même schizophrénie qui célèbre l'école tout en la rabattant sur le modèle de la caserne.
Un enfant monte une colline typique de Kiarostami dans Au travers des oliviers
Rayon vert

« Au travers des oliviers » d’Abbas Kiarostami : Gigogne et vergogne

19 septembre 2021
Le labyrinthe est un tapis persan et son motif central dans Au travers des oliviers est le tournage d’une séquence issue du film précédent, Et la vie continue. C’est un jeu et l’on n’en finirait jamais de jouer : toute séquence d’un film d’Abbas Kiarostami serait comme un tiroir et en ouvrir la boîte ferait découvrir, avec la possibilité d’une nouvelle bifurcation, la promesse d’un autre film. Au travers des oliviers est un film gigogne pour autant qu’il a la vergogne de faire proliférer la fiction comme un voile tissé pour recouvrir les réels secrets avec lesquels joue la représentation qui tourne autour sans avoir la volonté de les mettre au jour.
Lucie (Lucie Debay) en armure et sur son cheval dans les montagnes dans Lucie perd son cheval
BRIFF

« Lucie perd son cheval » de Claude Schmitz : Faut pas perdre le film

15 septembre 2021
Dans ce film coupé en deux, chamboulé et disparate, Claude Schmitz, tout comme son personnage Lucie, s’en tient néanmoins à une devise qui semble devoir présider à la construction de sa filmographie en devenir : « Faut pas perdre le fil ». Aux nombreuses questions qui restent en suspens chez le spectateur à la fin de Lucie perd son cheval, Claude Schmitz répond sans tergiverser, tout en promettant une suite qui permettra peut-être d’y répondre encore un peu mieux ou, au contraire, de les prolonger et de les complexifier.
La gérante du kiosque dans Le Kiosque
BRIFF

« Le Kiosque » d’Alexandra Pianelli : L’Art de la miniature

12 septembre 2021
Dans l’espace cloisonné d’un kiosque, derrière son comptoir, Alexandra Pianelli s’adonne à un art de la miniature qui, par l’accumulation de ses petites touches et la juxtaposition de ses petites couches, tend à une ampleur et une densité au départ insoupçonnée. Quand le « tout petit » peut prétendre sans le vouloir et sans s’en rendre compte au « grand ».
Arnaud dans la forêt dans Soy Libre
BRIFF

« Soy Libre » de Laure Portier : Se libérer du film

5 septembre 2021
En filmant son frère Arnaud dans une quête de liberté après un enfermement forcé, Laure Portier lui donne également la possibilité de se libérer d’un carcan filmique qu’elle aura mis en place avec le concours du premier intéressé. Soy Libre montre au final une libération, à la fois réelle et cinématographique, en donnant l’occasion à un « personnage » de cinéma de se libérer de son film.
Clarisse (Vicky Krieps) au volant de sa voiture dans Serre moi fort
BRIFF

« Serre moi fort » de Mathieu Amalric : La projectionniste et son film intérieur

4 septembre 2021
Serre moi fort est-il un film (trop) cérébral ? Renferme-t-il un mystère trop opaque ? Le film de Mathieu Amalric interroge en tout cas la projection mentale en la mettant en parallèle avec la projection cinématographique tout en invoquant des fantômes. Si la recherche de l’explication prime sur l’immédiateté de l’émotion, il s’agit malgré tout d’un film qui hante autant qu’il est hanté.
Le candyman dans le mirroir dans Candyman
Histoires de spectateurs

« Candyman » de Bernard Rose : Le spectateur et le monstre face au miroir

29 août 2021
Si Candyman peut prétendre au statut de mythe contemporain, il reste intéressant d’interroger encore ces images, au-delà du discours bien connu de ce film indépendant devenu culte, conjuguant film d’horreur et métaphore des souffrances de la communauté afro-américaine. En retournant devant le miroir pour invoquer son souvenir, un autre chemin apparait : celui de la mise en abyme de notre statut de spectateur face au cinéma fantastique et d’horreur et, surtout, face à la force effrayante de nos croyances. De quoi cet autre Candyman est-il le nom ?
L'enfant et le chien dans Le Pain et la rue
Rayon vert

« Le Pain et la rue » et « Expérience » d'Abbas Kiarostami : L'exemple des enfants

26 août 2021
Chercher à l'intérieur de soi ou bien faire avec ce qu'il y a à portée de main de quoi bricoler des petites machines de résistance, voilà ce qu'il faut pour tenter un rapport nouveau entre le réel et la réalité qui ne soit plus d'opposition statique mais de composition dynamique. C'est ce que les premiers enfants du cinéma d'Abbas Kiarostami expérimentent en rappelant qu'à l'épreuve de chaque situation nouvelle il y a la possibilité héroïque d'en goûter l'éternel matin.
La conductrice (Mania Akbari) au volant de la voiture dans Ten
Rayon vert

« Ten » d'Abbas Kiarostami : Rond-point et sens unique

25 août 2021
Ten c'est le cinéma d'Abbas Kiarostami qui, comme un coup de dé à l'heure de la révolution numérique, rejoue dix fois de suite la non opposition des contraires, fiction et documentaire, pellicule et numérique, cinéma et art contemporain, dans l'expression renouvelée des frictions du féminin et du masculin. Ten qui mise tout sur la disparition de la mise en scène y substitue pourtant une conception volontariste du dispositif bénéficiant davantage à l'artiste contemporain désormais appelé par les musées qu'au cinéaste formé hier à la pédagogie.
M. Badii (Homayun Ershadi) dans Le Goût de la cerise
Rayon vert

« Le Goût de la cerise » d'Abbas Kiarostami : La terre jusqu'au ciel

25 août 2021
Après le tremblement de terre du 21 juin 1990 qui a ruiné le nord du pays et dont les territoires abritent pourtant les reconstructions verdoyantes de Et la vie continue et Au travers des oliviers, c'est un autre tremblement de terre que filme Abbas Kiarostami dans Le Goût de la cerise. Cette dévastation est celle-là l'œuvre du travail humain et l'un de ses secrets serait pour le stoïque M. Badii la secrète volonté de disparaître dans un champ qui est celui de ses ruines en trouvant l'ami qui l'y aiderait mais le trahirait aussi en lui redonnant paradoxalement le goût de la vie.
Tous les personnages de la série Friends lors des retrouvailles dans Friends : The Reunion
La Chambre Verte

« Friends : The Reunion » : La grande communion

22 août 2021
Dix-sept ans après la fin de la série Friends, une réunion entre les six membres de son casting a été organisée, créant un trouble de réception auprès des fans de la première heure. Entre produit commercial conçu pour faire plaisir aux afficionados, objet nostalgique laissant parfois filtrer une vraie mélancolie, et grande communion spirituelle rassemblant dans un geste « méta », voire métaphysique, les acteurs, les personnages et les spectateurs, Friends : The Reunion a en tout cas réactivé la chambre verte de beaucoup de spectateurs en sortant les "vieux jouets" du placard.
Mehdi (Soufiane Guerrab) avec le bébé dans ses bras dans De bas étage
Rayon vert

« De bas étage » de Yassine Qnia : La malédiction des forgerons

4 août 2021
De bas étage est un petit film qui raconte une vieille, une très vieille histoire, vieille comme Gilgamesh et l'Odyssée, l'Énéide et la Divine Comédie, entre le Mythe d'Er de Platon et Voyage au centre de la Terre de Jules Verne : De bas étage est l'histoire d'une catabase. Descendre dans le souterrain consiste toujours à descendre à l'intérieur d'un monde qui est celui de son corps, le corps de ses organes et de ses images. La jeunesse qui est si puissante et si impuissante a, avec ses démons, le génie de ses blessures.
Cassandre (Adèle Exarchopoulos) marchant seule en Espagne dans Rien à foutre
La Chambre Verte

« Rien à foutre » d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre : La nouvelle vie d’Adèle

11 juillet 2021
Présenté lors de la Semaine de la Critique à Cannes, le premier long métrage de fiction d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre fait de la présence de son actrice principale, Adèle Exarchopoulos, un véritable sujet à part entière, un enjeu théorique et de mise en scène, qui le fait dépasser les terres pourtant arpentées du psychologisme et du récit de l’acceptation. Huit ans après La Vie d’Adèle, la présence et le jeu de l’actrice trouvent dans Rien à foutre un autre écrin à partir duquel la fascination peut à nouveau opérer et l’attachement se créer.
Casey Affleck et Lucas Hedges durant l'enterrement dans Manchester by the sea
Rayon vert

« Manchester by the Sea » de Kenneth Lonergan : Il a plu cette vie

1 juillet 2021
Que faire face aux drames de la vie ? Éviter la compassion, vivre dans la clandestinité son chagrin, espérer endiguer autant que possible la sinistre contagion des pleurs, l’émulation bouffonne du malheur où chacun, malgré soi, rivalise dans l’expression emphatique de la douleur ? Mais, à bien y réfléchir, l’inverse ne serait-il pas moins risible : la comédie stoïque de l’horreur surplombée, maîtrisée, l’effacement pseudo-héroïque de tous les signes du désespoir ? Manchester by the Sea de Kenneth Lonergan (2016) ne joue pas l’une de ces postures contre l’autre, autant dire qu’il n’est pas qu’un simple drame, mais offre une dimension cinématographique au tragique de l’existence, un tragique qui, s’il est bien compris, peut être paradoxalement dans le film source de joie, qui le rend irremplaçable.
Jackie Chan dans la scène d'ouverture de Police Story
La Chambre Verte

« Police Story » : Jackie Chan face à la douleur

25 juin 2021
La douleur fait partie intégrante de la mythologie créée par Jackie Chan : il réalise ses cascades lui-même et se blesse régulièrement durant ce processus. Dans ce contexte, Police Story tient toutes ses promesses de spectacle mais le héros ne subira pas tout à fait ses douleurs de la manière attendue. Pour une fois, ses blessures ne se referment pas totalement, et ses plaies laissées ouvertes posent des questionnements stimulants.
L'Avenue des Champs-Élysées lors de la victoire de la France en Coupe du Monde dans Les misérables
Le Majeur en crise

« Les misérables » de Ladj Ly : Les saigneurs du stade

16 juin 2021
Comme l’équipe de France de football revient faire son coup de 1998 en 2018, la France jouant son destin sur tapis vert vingt-ans plus tard pour gagner sa deuxième étoile, la finale de la coupe du monde sert de contexte footballistique au film de Ladj Ly, qui, pour sa part, rejoue dans la foulée la finale du cinéma français-de-banlieue, celle de La Haine, dans son film Les misérables, en 2019. Sous haute tension, une analyse footballistique du film s’imposait donc.
Un papillon du film Pyrale
BRIFF

« Pyrale » de Roxanne Gaucherand : Vers la lumière

8 juin 2021
Moyen métrage mêlant documentaire et fiction, Pyrale fait se rencontrer la réalité documentaire d’une invasion de papillons asiatiques dans le sud de la France et la fiction d’une histoire d’amour adolescente. Le film questionne cette rencontre à travers les figures allégoriques du papillon et de la lumière.
Les parents portant leur jeune enfant dans So Long, My Son
Rayon vert

« So Long, My Son » de Wang Xiaoshuai : Les figures de l’absence

3 juin 2021
So Long, My Son, treizième film du réalisateur chinois Wang Xiaoshuai, est une ample fresque historique qui s’ancre dans la Chine communiste des années 1980 jusqu’à nos jours. Elle épouse les destins singuliers de Yaojun (Wang Jing-Chun) et Liyun (Yong Mei), couple endeuillé par la perte accidentelle de leur enfant. À rebours du mélodrame sans nuance ou de la seule critique de la politique de l’enfant unique et de ses conséquences sociales dramatiques, Wang Xiaoshuai choisit d’interroger, avec subtilité et pudeur, la profondeur mystérieuse des liens qui, sur le long terme, unissent une communauté d’êtres traversés par la même violence indicible.
Guy Gilles sur le tournage de l'amour à la mer
Le Majeur en crise

Trois films de Guy Gilles : Ruines sentimentales

26 mai 2021
La noyade est partout et, pourtant, il faut tenter d'y survivre. La mémoire est le radeau quand la vie est un naufrage. Entre le soleil et la mer, entre le flux et le reflux, un cinéaste icarien désire sauver et l'instant éternisé et la vie sans arrêt. Chez Guy Gilles, la naïveté des sentiments touche avec la fébrilité du trait au nerf d'une fragilité existentielle, d’une hyper-sensibilité. Quand l’intermittence des plans est un battement de paupière, le montage est un vent soufflant que rien n’est plus beau qu’un amour, sinon son souvenir – l'éternité retrouvée.
Laura (Scarlett Johansson) au volant de sa voiture dans Under the skin
La Chambre Verte

« Under The Skin » de Jonathan Glazer : L'insoutenable gravité de Scarlett Johansson

20 mai 2021
Mettre sa peau sur la table, disait Céline. Bouffer dessus ajoute Jonathan Glazer dans son film Under the Skin (2013). Bouffer dessus, puis renverser la table cinéma comme il retourne la peau de son actrice fétiche Scarlett Johansson comme un célèbre gant. En l’exposant nue comme jamais dans cet OCNI, objet cinématographique non identifié, Jonathan Glazer pense le monde médiatisé par le cinéma, son esthétique devenant proprement politique, c’est-à-dire intégralement cinématographique.
Les deux personnages principaux assis sur un banc dans Extro
BIFFF

« Extro » de Naoki Murahashi : L’émotion du second plan

13 mai 2021
« Mockumentaire » classique charriant à la fois un humour absurde et des saillies drolatiques au premier degré, Extro de Naoki Murahashi, en organisant la rencontre imprévue entre des figurants en quête de leur moment de gloire et un monstre mythologique créé de toutes pièces, fait surgir l’émotion là où on ne l’attend pas.
Hideko Takamine et Masayuki Mori parlent dans un bar dans
Rayon vert

« Quand une femme monte l'escalier » de Mikio Naruse : Trois montées des marches

7 mai 2021
Keiko est hôtesse dans un bar du quartier de Ginza à Tokyo et celle que l'on surnomme « Mama » supporte de moins en moins de monter l'escalier qui la mène à son lieu de travail. Cet escalier qui donne son titre au film en y associant le destin d'une femme, Mikio Naruse le filme trois fois et chaque reprise marque une différence indiquant la singularité quelconque qu’incarne Keiko. Singulière et quelconque parce qu’elle est parfaitement définie socialement mais sans autre identité que l’exemple qu’elle expose pudiquement. Comme toutes les héroïnes narusiennes, en particulier celles génialement interprétées par Hideko Takamine, Keiko est une singularité quelconque et c’est pour cela qu’elle se tient face à l’irréparable en étant et restant aimable, telle qu’elle nous importe de toutes les façons – à sa manière.
Mati Diop et Alex Descas dans 35 rhums
Rayon vert

« 35 Rhums » de Claire Denis : Musique du déraillement

29 avril 2021
Dans « 35 Rhums », le mouvement existe d’abord par lui-même, il précède sa caractérisation, son origine et sa destination, bref : il précède son sens. Les personnages de Claire Denis naissent au spectateur à l’intérieur de ces mouvements pendant de longues minutes, avant que le récit ne donne quelques (incomplètes) explications sur leur identité et leurs relations.
Bill Murray et Scarlett Johansson lors de leur virée nocturne dans Tokyo dans Lost in Translation
Rayon vert

« Lost in Translation » de Sofia Coppola : Orange mélancolique

22 mars 2021
Le deuxième long-métrage de Sofia Coppola, Lost in Translation (2004), à travers la rencontre d’un quinquagénaire fatigué de sa vie comme de son mariage, acteur sur la fin, Bob (Bill Murray), avec une à peine ex-étudiante et jeune mariée désillusionnée, Charlotte (Scarlett Johansson), dans un hôtel au Japon, interroge le sens de leur existence. Une quête qui, toutefois, se termine paradoxalement dans le film, à l’instant de son dernier soupir, sans aucun Graal ni lot de consolation distribué, mais par le partage d’un secret, Bob le dévoilant/le murmurant à l’oreille de Charlotte, en un sens qui sera pour toujours dérobé au spectateur, demeurant une énigme inaudible pour lui. Lost in Translation n’offre donc pas de magic box, mais un film sous forme de « boîte noire », une interrogation sur le sens de la vie à laquelle cherche à répondre Sofia Coppola par une énigme sous forme d’absence de solution, sans doute parce que les véritables questions ne s’épuisent jamais dans les réponses.
Randall Patrick McMurphy (Jack Nicholson) dans les bras de « Chef » Bromden (Will Sampson) dans Vol au-dessus d’un nid de coucou
Le Majeur en crise

« Vol au-dessus d’un nid de coucou » de Milos Forman : L’empire des droits, la main du fou

3 mars 2021
Quand passent les cigognes, de 57 à 75 à bond d’oiseau, en un Vol au-dessus d’un nid de coucou, Forman est prêt à jouer dans son film sa pièce maîtresse, en une diagonale du fou assumée, au cours d’une partie d’échecs symbolique entre McMurphy l’interné et Miss Ratched l’infirmière psychiatrique, chacun rejouant les codes comme les valeurs libérales de l’Amérique, où Forman propose rien de moins qu’une forme inédite de gouvernement démocratique dans son film.
Margaret Waverton (Gloria Stuart) et Morgan (Boris Karloff) dans La Maison de la Mort
Le Majeur en crise

« La Maison de la mort » de James Whale : Un fou rire de baleine

23 février 2021
The Old Dark House est électrisé d'un rire qui appartient pleinement à son auteur, James Whale. Un rire de baleine, son nom bien sûr s'y prête. Le film est monstrueux en soumettant son paysage gothique, partagé entre une nature apocalyptique et une vieille bâtisse lourde en inavouables secrets, aux pressions marines d'un humour scatologique qui tire de l'arrière-plan psychanalytique un grand fou rire. Rire immense en brouillant les lignes du genre comme de fouetter l'ordre des sexualités (le verbe to whale signifie rosser, flageller). Rire immense dédié à un amour fou et tabou dont la noyade de James Whale est une ponctuation finale comme une image de vérité pour qui s'est appelé Baleine en lâchant le mot de la fin : « c'est assez ».
Les quatre soldats plantent le drapeau dans Mémoires de nos pères
Le Majeur en crise

« Mémoires de nos pères » de Clint Eastwood : L’Amérique en quête d’auteur

8 février 2021
En 2006, Clint Eastwood, au mitan de sa vie bien passée comme les couleurs ont perdu leur éclat, fait le bilan. Il revient ainsi dans Mémoires de nos pères, sur un fait d’arme – la prise du Mont Suribachi lors de la bataille d’Iwo Jiwa contre les Japonais, immortalisée par une photographie célèbre. Trois des six marines qui y figurent, acceptant de porter la bonne parole à travers les États-Unis, vont dès lors aller comme on part à la recherche de ses souvenirs, à la conquête de l’Histoire de l’Amérique quand on père la mémoire.
Une salle de cinéma
Histoires de spectateurs

Sociologie et économie du cinéma belge et de la cinéphilie en Belgique

20 janvier 2021
Dans cette étude à la fois sociologique et économique, nous nous intéressons dans un premier temps à la place qu'occupe la cinéphilie (au sens parisien du terme) en Belgique et au nombre d'entrées que réalisent les films d'auteur. Sur base des données récoltées, nous verrons que cette pratique semble bien marginale et que même certains des plus grands réalisateurs ne rencontrent pas leur public en Belgique. Ensuite, nous chercherons à savoir si le cinéma belge francophone trouve grâce aux yeux de ce type de cinéphilie mais aussi d'un point de vue global. Si certaines réponses sont déjà bien connues (échecs publics, etc.), nous en profiterons pour décortiquer, chiffres en mains, la communication qui accompagne aujourd'hui la production et la circulation du cinéma belge francophone.
Charles Winninger, Arleen Whelan et John Russell dans Le Soleil brille pour tout le monde
Le Majeur en crise

« Le Soleil brille pour tout le monde » de John Ford : Old Mister Priest

18 janvier 2021
Dans Le Soleil brille pour tout le monde de John Ford, le soleil aura en effet donné en rayonnant pour tout un chacun, démocratiquement. Y compris en éclairant les foyers obscurs de la violence communautaire, raciale et sexuelle. Mais le temps est venu aussi pour le soleil de commencer à se coucher en laissant au spectateur le souvenir intense d'un inoubliable occident.
Daniel Plainview (Daniel Day-Lewis) assis devant un puit de pétrole en feu dans There Will Be Blood
Le Majeur en crise

« There Will Be Blood » de Paul Thomas Anderson : L’Ouest américain a-t-il perdu le Nord ?

11 janvier 2021
There Will Be Blood montre que, aussi profonde, aussi humaine, aussi spirituelle soit-elle, l’Amérique sera toujours en retard sur son rêve. Que la nature véritable de l’Amérique, c’est donc de ne pas en avoir, c’est-à-dire encore d’avoir toujours été désenchantée. La crise du rêve américain n’est donc pas son supplément, son appendice. Elle ne lui vient pas de dehors, n’est pas son extérieur. Elle est ce qui structure l’Amérique. Elle lui est consubstantielle. Sa crise, c’est sa normalité, sinon le film n’aurait jamais débuté dans les tréfonds de la terre.
Le vieux balayeur et les projections de Jessie et Jesse dans le couloir de l'école dans Je veux juste en finir
Rayon vert

Épiphanies 2020 : Tentative de ne pas faire un Top Cinéma Annuel

5 janvier 2021
Les épiphanies sont pour nous autant d'occasions de ne pas faire de top cinéma 2020 : ni hiérarchie, ni jugement de goût, rien que le passage d'affects quelque part entre les écrans de cinéma et les pensées et les corps des spectateurs.
Beth Harmon (Anya Taylor-Joy) avec une revue sur les échec dans la librairie dans The Queen's Gambit (Le jeu de la Dame)
La Chambre Verte

« Le Jeu de la dame » : Le visage royaume d'Anya Taylor-Joy

29 décembre 2020
Au-delà du singulier et brillant parcours de la joueuse d'échecs surdouée qu'elle interprète dans Le Jeu de la dame, Anya Taylor-Joy a mis son visage au centre de tous les regards. Et si la mini-série de Scott Frank était une œuvre entièrement orientée vers cet unique visage ?
Les quatre soeurs Lisbon (Andrea Joy Cook, Kirsten Dunst, Leslie Hayman et Chelse Swain) dans Virgin Suicides
Rayon vert

« Virgin Suicides » de Sofia Coppola : Soleil noir de la mélancolie ?

27 décembre 2020
Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. On était aux États-Unis, plein focus sur sa middle-class, au milieu des années 70. L’Amérique rayonnait, jusqu’à ce qu’elle fasse sa crise d’adolescence, lorsque cinq sœurs, les Virgin Suicides filmées par Sofia Coppola, théorie des dominos oblige, tombent les unes après les autres. Un suicide sans raison ni pourquoi, qui sera l’objet d’une enquête approfondie vingt-cinq ans durant, afin de tenter d’en élucider le mystère.
Rob (Marlon Morton) croise et regarde la fille du supermarché (Madi Ortiz) dans The Myth of the American Sleepover
Rayon vert

« The Myth of the American Sleepover » de David Robert Mitchell : Hanter et désirer

4 décembre 2020
En regard de « It Follows » (2014) et « Under the Silver Lake » (2018), « The Myth of the American Sleepover » peut lui aussi être abordé par le prisme de la hantise. En transposant les codes du film de genre pour que hanter et désirer coïncident dans une nouvelle alchimie, le premier film de David Robert Mitchell permet d'affirmer définitivement que son cinéma se construit sur une hantologie protéiforme.
Oyu Kayukawa (Kinuyo Tanaka) dans la forêt avec ses amis dans Miss Oyu
Rayon vert

« Miss Oyu » de Kenji Mizoguchi : Bizarre Love Triangle

20 novembre 2020
Le cinéma de Kenji Mizoguchi est d'une lucidité étourdissante et confondante. Son art est sorcellaire en ceci qu'il fait lever d'une matière extrêmement précise et documentée des paysages impersonnels dont la vérité, toujours cruelle, a la force expressive de défier les époques – la force de l'éternité. C'est le cas de Miss Oyu où l'amour est une onde solitaire comme un soliton accouchant au milieu des décombres d'un enfant dont le don est comme un trésor de légende dans le Japon de l'après-guerre.
Anne-Marie Stretter (Delphine Seyring) et le reflet dans le mirroir du vice-consul (Michael Lonsdale) dans India Song
Rayons Verts

« India Song » de Marguerite Duras : Amour océan

30 octobre 2020
India Song, air éternel, ritournelle océanique. La bourgeoisie occidentale n'a pas d'autre avenir que celui de son ravissement – cri de la bête dans la jungle à un bord et à l'autre chant de rire et de folie de la mendiante indifférente. Soleil cou coupé (selon l'expression d'Aimé Césaire) à l'horizon de la dislocation des bandes image et son en pointant vers l'aurore et l'orient. Occidental dans le film de Marguerite Duras qualifie ainsi un bal en boucle pour les fantômes inconscients d'un cinéma permanent.
Liz (Noée Abita) dans Slalom
FIFF

Interview de Noée Abita, apprentie sorcière

5 octobre 2020
Cette rencontre avec Noée Abita est une nouvelle occasion d'ouvrir les portes de notre Chambre Verte. Le travail de cette jeune actrice de 21 ans, par la cohérence de sa filmographie, permet en effet déjà de tisser des liens entre ses différents rôles et de raconter une double histoire : celle d'une adolescence sombre et sans tabous et celle de corps qui ne cessent d'affirmer leur puissance et leurs désirs en évitant les étiquettes et toute forme de surdétermination.
Benoît Poelvoorde avec son pistolet dans C'est arrivé près de chez vous
Le Majeur en crise

« C’est arrivé près de chez vous » : Le Verbe tueur

22 septembre 2020
« C’est arrivé près de chez vous » repose sur une confiance absolue dans le pouvoir des mots qui font de Ben (Benoît Poelvoorde) un démiurge. Dans ce monde de création et d'éloquence, un cocktail peut tout à fait se substituer à un être humain. Cette maîtrise buttera cependant sur ses propres limites, et le film finira par condamner les personnages, mais toujours par les mots, qui perdent alors leurs pouvoirs.
Jackie (Nathalie Portman) à la maison blanche dans Jackie
Le Majeur en crise

« Neruda » et « Jackie » de Pablo Larraín : Camelot et camelots

28 août 2020
« Neruda » et « Jackie » forment un passionnant diptyque, nom et prénom pour une Amérique expérimentée comme le nom divisé de plus d'un antagonisme au temps de la guerre froide : nord et sud, hommes et femmes, chambre froide et royaume mythique – de face et de dos.
Tetsuo en moto dans Akira
Rayon vert

« Akira » de Katsuhiro Ôtomo : Les enfants du chaos

24 août 2020
« Akira » pose, pense et panse la jonction cyborg de plus d'un spectre : spectres de Marx et de Hamlet ; spectres de l'histoire japonaise d'hier, d'avant-hier et de demain ; spectres de la culture cyberpunk et de l'Armée rouge japonaise. C'est leur conjonction organique et cybernétique organisée dans un mélange de furia et de maestria sans équivalent par l'un des plus grands films d'animation japonais qui soit, qui est aussi l'un des plus grands films de science-fiction qui soit. Tant et si bien qu'« Akira » demeure un grand contemporain éclairé par le sourire énigmatique d'Akira en nous rappelant à cette enfance devenue une énigme pour une humanité qui manque à elle-même d'avoir abandonné ses enfants. Les films qui regardent notre enfance sont toujours ceux qui savent en prendre soin.
Le mont dans Séjour dans les monts Fuchun
Rayon vert

« Séjour dans les Monts Fuchun » de Xiaogang Gu : Le mouvement et l'apaisement

6 août 2020
« Séjour dans les monts Fuchun » de Xiaogang Gu est composé de plans-séquences en mouvement (réalisés en travelling ou en panoramique) qui viennent briser l'économie formelle et narrative du récit où les relations entre les personnages sont dénaturées par l'argent et le respect des coutumes. La notion de « montage interdit » théorisée par André Bazin prend ici tout son sens. Grâce au plan-séquence final, c'est même la possibilité d'un apaisement qui est offert aux personnages.
Kyle MacLachlan, Laura Dern et David Lynch près de la Black Lodge dans Twin Peaks
Rayon vert

« Twin Peaks » de David Lynch et Mark Frost : Les forces de la Black Lodge

29 juillet 2020
Dans la saison 3 de « Twin Peaks », David Lynch et Mark Frost font de la Black Lodge le poumon de leur univers. Comment s'effectue le passage entre les différents mondes ? Quel rôle joue dans la série la rose bleue et le motif de la rose en général ? Pourquoi Hollywood et Los Angeles n'apparaissent-ils pas ? Et qu'est-ce que Judy, sinon le nom de ce champ de forces exercé par la Black Lodge ? Autant de questions à partir desquelles nous allons nous aventurer dans l'opacité des mystères de « Twin Peaks ». Ce texte est construit en dyade avec cinq « Missing Pieces » écrites par Des Nouvelles du Front, tel le sol des loges, qui est tantôt noir zébré de blanc, tantôt blanc zébré de noir. La lecture des deux textes peut ainsi se faire chronologiquement ou en suivant les renvois vers les « Missing Pieces ».
Elias Koteas et Rosanna Arquette font l'amour dans Crash
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« Crash » de David Cronenberg : Au volant du monde

21 juillet 2020
Revenir au monde déserté par le désir, c'est vouloir tirer de la rengaine de la production industrielle du crash la ritournelle de l'accident originaire. Retrouver le sens de l'événement dans d’insensés cabossages et d’incessants télescopages. Circulez il n'y a rien à voir ni à désirer parce que plus rien n'arrive, c'est la rengaine postmoderne qui a mis Pornos à la place d'Éros. Avec « Crash » agencer les machines expérimentales du désir et en être les artistes sans œuvre répond au désir qui ne revient que par accident. Plus de statistique : une érotique machinique. Avec le sens naissanciel de l'accident, on peut alors machiner une vie nouvelle au milieu du champ d'épaves accumulées par les autoroutes de la modernité occidentée.
Sandrine Bonnaire errant dans la nature dans Sans toit ni loi
Rayon vert

« Sans toit ni loi » d'Agnès Varda : À quoi marche le refus sans relève

16 juillet 2020
En parallèle à notre interview de Saad Chakali autour du n°66 de la revue Éclipses consacré à Agnès Varda, Des Nouvelles du Front revient sur Sans toit ni loi. Varda y suit le tracé discontinu de la trajectoire de vie erratique d'une vagabonde météorique qui s'appelle Mona. Trouvé dans le fossé, l'astre mort d'une jeunesse chue d'un désastre obscur irradie cependant encore. Sa lumière fossile est une marche à contre-courant éclairant comment le froid des années d'hiver aura médusé les itinérances contestataires et pétrifié les fugues libertaires héritées de la décennie précédente.
Les deux Jeremy Irons et Geneviève Bujold dans Faux-Semblants (Dead Ringers)
Le Majeur en crise

« Faux-Semblants » de David Cronenberg : Fusion incestueuse

29 juin 2020
Le tabou de l'inceste apparaît, de manière sous-jacente, dans de nombreux films de David Cronenberg. Dans « Faux-Semblants », il unit spécifiquement les membres d'une même fratrie et se présente même comme la possibilité de fusionner avec un autre soi-même. Par là, Cronenberg pose la question de l'identité sexuelle et de l'identité tout court. Sauf que cet idéal de fusion ne peut pas s'incarner.
La scène du feu de camp dans Gènese
Rayon vert

« Genèse » de Philippe Lesage : Une histoire intemporelle du désir

24 juin 2020
Avec « Genèse », Philippe Lesage rend au désir ce qui fait sa nature et toute sa force. Il en restitue la beauté dans sa forme enfantine la plus renversante en même temps que le trouble et le tourment. Mariant la violence extrême à la douceur la plus tendre, le réalisateur plonge au cœur des émotions, dans ses eaux troubles et ambiguës de la puberté où un désir mystérieux saisit les personnages.