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Rayon vert, Histoires de spectateurs, Majeur en crise et Chambre verte : découvrez les catégories les plus singulières du Rayon Vert.

Issiaka Kane (Nianankoro) donne l’œuf dans le désert dans Yeelen de Souleymane Cissé
Rayon vert

« Yeelen » de Souleymane Cissé : Duel au soleil

27 mars 2025
Yeelen ne conte pas seulement le récit incandescent de générations d’initiés qui, de pères en fils, se font la guerre au nom d’obscures rivalités sorcellaires, il se montre lui-même comme une initiation en vérifiant ainsi la charge transgressive qui lui est fondamentalement associée. En se proposant d’instruire ses spectateurs aux savoirs et rituels secrets du Komo, le film de Souleymane Cissé réussit à tenir les deux bouts du mystère dont il est le fascinant relais : l’initiation (la connaissance élève, elle est transformatrice) et la transgression (la connaissance tue, elle est destructrice), l’aile du Kôrê (le sceptre qui élève et protège) et le Kolonkalanni (le pilon magique qui abat et punit). L’histoire de Yeelen est millénaire et le film date du milieu des années 80, il est d’avant-hier et d’après-demain. Yeelen est un film merveilleux, d’aventures et d’hallucinations, gorgé d’un animisme dont le cinéma redéploie les puissances dans les mélanges de la fable et du documentaire, la captation du réel et son insufflation par des récits en deçà et au-delà de l’Histoire, promises à rayonner encore mille nouvelles années.
La fille dans Den Muso de Souleymane Cissé
Rayon vert

« Den Muso » de Souleymane Cissé : Le silence que la parole outrage

27 mars 2025
Dans les sociétés où règne l'oralité, la parole fait lien et loi et son instrument est la voix. Y vivre sans voix dans le cantonnement de la parole qui manque, c'est être alors sans pouvoir en étant la proie des lions qui s'en disputent la part. Le cinéma est fait pour cela quand il montre que le monde se partage entre des parlants et des muets et si les premiers exercent un pouvoir sur les seconds, ces derniers ne sont pas seulement des êtres d'impuissance, mais les sujets d'une autre puissance en contestant au verbe sa domination. Quand l'œil se met à écouter, le regard se trouve dès lors disposé à voir l'inouï coincé au fond de la gorge tout en participant à faire des bouchons d'oreilles. L'inouï est un non (la voix qui manque n'a pas droit au chapitre), c'est un oui aussi (ce qui se tait est une pensée dont le silence résiste aux moyens de la verbaliser). Avec la fluidité de l'eau que le vent doucement remue, Den Muso La Fille mêle ainsi les registres entre l'éloge et l'élégie, l'observation documentaire et le drame social, la critique politique et la tragédie antique, le cas particulier et son exemplarité générique, son universalité transculturelle et sa singularité quelconque. La plainte de Ténin, la sans-voix, est la complainte de la jeune femme violée par tous ceux qui auront parlé à sa place, et dont la puissance de mort est l'énigme incendiaire d'un désaveu collectif. Le silence que la parole outrage, dans ses droits qui oublient ses devoirs à son égard, déchaîne alors la rage, ses coups de sang asphyxiant les parlants et ses coups de soleil incendiaires. Le cinéma en répond en prenant son parti – celui de Souleymane Cissé, au nom du mystère de son enfance impartie.
Andrés Roca Rey dans l'arène dans Tardes de soledad de Albert Serra
Rayon vert

« Tardes de soledad » d'Albert Serra : La vie ne pèse rien

27 mars 2025
Tardes de soledad d’Albert Serra, ou « Après-midi de solitude » si l’on traduisait mot-à-mot, est un documentaire suivant le matador Andrés Roca Rey au cours de plusieurs combats successifs. Cherchant à représenter ce qu’il y a de plus essentiel dans la corrida, le réalisateur nous propose de nous immerger au cœur de l’arène où, comme le dira l’un des personnages, « la vie ne pèse rien ».
Isabelle Huppert dans La voyageuse de Hong Sang-soo
Rayon vert

« La Voyageuse » de Hong Sang-soo : No workbook !

22 mars 2025
La Voyageuse d’Hong Sang-soo, produit d’une nouvelle collaboration entre le réalisateur coréen et d’Isabelle Huppert (Iris dans le film), se présente comme une étrange promenade de l’actrice. Professeure de français, puis confidente d’un poète-compagnon, le personnage d’Iris erre à l’écran pour nous raconter ce qu’est véritablement le voyage proposé par le cinéma d’Hong Sang-soo.
Paul Newman et Burt Lancaster dans Buffalo Bill et les indiens de Robert Altman
Rayon vert

« Buffalo Bill et les indiens » de Robert Altman : Les bruyants et le muet

22 mars 2025
Tout spectacle n’aurait peut-être pas d’autre message à communiquer que le bruit qu’il fait, le tintamarre de la représentation exprimant la vérité des mensonges tapageurs du représenté. Si les films de Robert Altman sont bruyants, particulièrement Buffalo Bill et les Indiens, c’est pour y donner à entendre le bruit du spectacle par quoi s’instruit sa critique. Le mythologue à l’œil d’aigle sait tendre aussi l’oreille à ce que taisent haut et fort les mythes. Ce qui s’appelait hier démythification et se qualifie de déconstruction aujourd’hui ne suffit pas à comprendre comment la critique du spectacle reste encore du spectacle – à cette différence près, toutefois, qu’elle sait de quoi elle hérite, quels sont les impensés qui en font les limites, quelle tragédie dont l’os perce la croûte des railleries.
Mickey 17 et Mickey 18 côte à côte dans le film de Bong Joon-ho
Le Majeur en crise

« Mickey 17 » de Bong Joon-ho : Théorie de l'assassinat politique

15 mars 2025
Mickey 17, à lire une bonne partie de la critique, serait un film raté. S'il est raté, c'est qu'il s'agissait de penser l'Amérique d'un dératé qui voudrait aujourd'hui conquérir le monde jusqu'à plus souffle, comme un perdu ; penser encore l'Amérique à partir de ses rats comme de ses souris Mickey, qui se demandent chez Bong Joo-ho comment se débarrasser de ce piège à ratons qui a pour nom Trump ? Mickey 17, dans son ratage, ne manque pas sa cible. Il explose ses propres lignes de démarcation pour théoriser un nouveau type d'assassinat politique, le présicide, soit commettre un attentat contre son président en un acte qui ne sera pas manqué. Un film pour réimprimer le rêve de l'Amérique.
Michael Fassbender et Cate Blanchett s'embrassent dans The Insider de Steven Soderbergh
Rayon vert

« The Insider » de Steven Soderbergh : Polygraphe éclairé

13 mars 2025
Il y a une séquence absolument irrésistible dans The Insider, celle du polygraphe, autrement dit le détecteur de mensonge auquel se plie l'entourage professionnel d'un espion pour savoir si un menteur s'y cache. Le polygraphe est un terme polysémique. Le détecteur de mensonge y côtoie en effet une espèce de papillon, ainsi qu'un auteur qui multiplie les domaines d'écriture. Le terme est idoine pour Steven Soderbergh comme pour son scénariste, David Koepp, avec qui il vient d'enchaîner trois films en deux ans : KIMI, Presence et The Insider. L'éclectisme dans la variété des sujets qu'ils aiment tous deux privilégier, au risque de la dispersion et la frivolité, aurait ainsi trouvé dans le polygraphe son meilleur dispositif. Avec le polygraphe, le papillonnage élit sa machine en touchant à sa raison d'être : la lecture paranoïaque des signes redoublée par sa manipulation ludique dès lors que l'on sait tenir à son point de concentration le plus intime. Dans ce monde de séduction vitreuse qu'est l'espionnage où la maîtrise des apparences est un enjeu de luttes, la hantise des fuites a pour fondement la contraction ouvrant les surfaces sur leur point de capiton. À l'ombre de l'OTAN, les relations de bureau ressemblent au fond à toutes les autres, sinon qu'elles y sont plus létales. Les surfaces vitrifiées ne sont désirables qu'à se rendre lisibles grâce aux polygraphes qui, seuls, savent indiquer où se tient le point le plus intime de concentration empêchant alors qu'elles nous frigorifient.
Nicolas Cage et Laura Dern s'embrassent dans Sailor et Lula de David Lynch.
La Chambre Verte

« Sailor et Lula » de David Lynch : Les forces du désir

6 mars 2025
L’art de l’acteur est employé dans Sailor et Lula de façon à donner une certaine idée du désir. Là, le désir-souffrance produit par une insigne perversité, ici, le désir-bonheur qu’inspire l’amour le plus simple ; l’un et l’autre se reflètent intensément ou monstrueusement dans le corps des comédiens.
Betty et Rita dans le rêve de Diane, dans "Mulholland Drive"
Rayon vert

« Mulholland Drive » de David Lynch : Un rêve peut en cacher un autre

6 mars 2025
Malgré les apparences, Mulholland Drive est peut-être le film le plus explicatif et rationnel de David Lynch, par-delà sa lecture onirique. Néanmoins, l'auteur y a laissé quelques éléments hétérogènes et fluctuants qui permettent encore d'entretenir le mystère et le potentiel hypnotique du film. Parmi ceux-ci, il y a le clochard du Winkie's, démiurge maléfique ou incarnation du destin, qui continue d'intriguer. Par sa construction en poupée russe et ses rêves enchâssés, le film ne cesse de faire cogiter son spectateur et de le faire participer à ses énigmes ludiques, disséminées par un Lynch plus joueur que jamais.
David Lynch au travail dans David Lynch : The Art Life
Rayon vert

« David Lynch : The Art Life » : Le marin et la sirène

6 mars 2025
Au milieu des années 2010 et après l’expérience radicale d’INLAND EMPIRE, on croyait David Lynch perdu, son nom d’artiste figé en marque déposée des industries du luxe, de la méditation transcendantale et de la musique. Avec David Lynch : The Art Life, on le retrouve en toute simplicité comme il a toujours été, double : habitant (le monde matérialisé de ses fantasmes, celui que présente son atelier) et habité (par des visions surgies d’une enfance où le rêve américain pourtant figuré dans la gentillesse exemplaire de ses parents n’aura jamais cessé d’être retourné sur des envers effrayants). Deux fois habité, donc (comme corps actif et silencieux et comme voix relayant des récits et des visions en off ou au micro). Mais deux fois habitant également (notre monde au sein duquel il se sera constitué le sien propre et ses œuvres représenteraient autant d’accès permettant à n’importe qui d’y entrer). Accompagné de son dernier enfant, la petite Lula qui est sa sirène d’enfance, David Lynch s’y montre en vieux marin qui s’apprête alors à reprendre la mer en repartant du milieu, tout le cosmos et ses océans intersidéraux, tout l’univers qui enflera et s’embrasera à nouveau en recommençant notre sidération, une fois retrouvé l’accès au cœur de la forêt de Twin Peaks.
John Hurt sur le bateau dans Elephant Man de David Lynch
Rayon vert

« Elephant Man » de David Lynch : La déchirure dans l'ordre des choses

6 mars 2025
John Merrick est une déchirure qui parcourt le réel. Il a le pouvoir révélateur de s'infiltrer sous les apparences, et c'est de cette puissance augurale qu'Elephant Man se revendique sans concession aucune pour parler de ce qui fait l'humanité depuis l'époque victorienne comme ce qui fait société, depuis son capitalisme naissant, sa gloire impériale, qui parle encore de notre époque.
Daniel Craig et Drew Starkey au bar dans Queer de Luca Guadagnino
Rayon vert

« Queer » de Luca Guadagnino : Les larmes d’Ouroboros

28 février 2025
L’autre est la plus dure des drogues, la drogue parfaite comme un crime est parfait. L’exhibitionnisme est une pharmacie pour junkies quand le narcissisme, le piège du moi pris dans la glace de l’autre, est la maladie la plus addictive. Le pédé hystérique que William Burroughs était, qui se disait moins gay que désincarné, aura eu pour tâche immense de se faire le festin du queer dont nous sommes toutes et tous les sujets : tous les malades impuissants à renoncer à l’autre, ce remède en tant qu’il est d’abord un poison – un pharmakon. Queer de Luca Guadagnino en triture les formes comme des organes infectés, l’abondance et la débandade, les cannibalisations fantasmées et l’or dur de ses déchets. Le queer de l’être sexué fait des manières et gesticule, il se désarticule lui-même en sachant ne jamais remédier à l’autre, ce virus. Le maniériste survit ainsi à ses modèles dont il s’éprend en les malmenant puisque ceux-là le malmènent déjà comme n’importe qui survit au passage de l’autre et son désir, avec sa poche à venin au bout de l’aiguillon. Survivre à l’autre, ce cannibale innocent, cet involontaire parasite est l’affaire d’une vie et elle a en cinéma ses formes et le jeu des forces qui les déforment, poussée et contre-poussée, prolapsus cordial après les ruptures de ligament croisé. L’éclectisme suit comme si changer de peau donnait à sauver la sienne. La garde-robe habille les secrets les mieux gardés quand les larmes d’Éros sont celles d’Ouroboros.
Mahin (Lily Farhadpour) et Faramarz (Esmail Mehrabi) boivent dans la cour dans Mon gâteau préféré
Histoires de spectateurs

« Mon gâteau préféré » de Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha : Jardin suspendu

17 février 2025
Mon gâteau préféré de Maryam Moqadam et Behtash Sanaeeha permet de prendre un bon bol d'air face à la machine d'oppression politique et esthétique du cinéma iranien contemporain qui domine la production exportée chez nous. Ce cinéma est un poids lourd à la tête dure qui, paradoxalement, met KO le spectateur et broie bien souvent ses personnages. À l'exception de sa fin décevante, Mon gâteau préféré offre tout le contraire, et tisse même un lien inattendu avec Le Déjeuner, un tableau de Claude Monet.
Adrien Brody en contre-plongée dans la nuit dans The Brutalist
Rayon vert

« The Brutalist » de Brady Corbet : Biopic sinistré

15 février 2025
The Brutalist, troisième film du réalisateur américain Brady Corbet, a au premier abord de quoi rebuter. Fresque grandiloquente de 3h30 sur un artiste incompris, mangé par le capitalisme américain, du déjà-vu au carré. Et en surface c’est bien cela, mais dans son squelette seulement, que le réalisateur nous appelle à dépasser pour saisir une matière bien plus contrariée. Toutefois Corbet ne travaille pas qu’un vernis, sous lequel se cacherait à la vue de tous, la pourriture. Il rentre au cœur de la machine symbolique et la pirate de l’intérieur. Le rêve américain n’a pas été perverti, la perversion est justement ce qui le constitue.
Christopher Abbott métamorphosé face à Julia Garner dans Wolf Man
Rayon vert

« Wolf Man » de Leigh Whannell : L'Heure de l'homme

18 janvier 2025
Wolf Man n'est pas tout à fait un film de loup-garou. Ou du moins ce n'est pas le film attendu. Grâce à un travail habile sur la perception, il déplie un récit reposant sur le caractère contingent de la mort qui figure d'abord la lutte d'un homme contre l'animalité pour ne jamais lui céder le pas. Le film surprend par sa déchirante irréversibilité et son attention pour ce qui résiste avant la perte : il sonne l'heure de l'homme plutôt que celle du loup.
Victoire Song dans Cent mille milliards de Virgil Vernier
Rayon vert

« Cent mille milliards » de Virgil Vernier : À l'Avent

11 janvier 2025
Cent mille milliards est un conte diaphane sur les solitudes à qui ne revient plus que le soin de légender, un autre essai en filigrane sur la postmodernité qui est le temps de la fin des temps, indéfiniment. Le film de Virgil Vernier serait à sa façon ambivalente, de ne pas y toucher ou bien d’appuyer trop fort, un calendrier de l’Avent pour faire patienter les enfants avant la parousie qui sera leur vraie fête – le temps d’après qui sera le temps qui reste, et dont l’unique opération consistera, après tous les abattements existentiels, en un désœuvrement généralisé.
Bjorn Andresen la nuit dans Mort à Venise
Rayon vert

« Mort à Venise » de Luchino Visconti : L’incontact entre les êtres

11 janvier 2025
Adaptation de la nouvelle de Thomas Mann, Mort à Venise (Luchino Visconti, 1971) concentre dans l’intensité du regard toute la complexité de cette relation à la fois subversive et prude, sensuelle mais sans contact, entre un jeune adolescent et un compositeur mourant. Par là, il laisse entrevoir des horizons spirituels qui dépassent les barrières sociales et morales entre les individus et les générations.
La fin du film Los Delincuentes de Rodrigo Moreno.
Rayon vert

Les Épiphanies : Tentative de ne pas faire un Top Cinéma 2024

5 janvier 2025
Les épiphanies sont pour nous autant d'occasions de ne pas faire de top cinéma 2024 des meilleurs films de l'année : ni hiérarchie, le moins de jugement de goût possible, que le passage d'affects quelque part entre les écrans de cinéma et les pensées et les corps des spectateurs.
Christophe Ntakabanyura dans Planque ordinaire d'Emmanuel Gomez de Araujo
Le Majeur en crise

« Planque ordinaire » d'Emmanuel Gomes de Araujo : Métaphysique de la police

15 décembre 2024
Au scénario, Bob H. B. El Khayrat, à la réalisation, Emmanuel Gomes de Araujo. À l'arrivée, prochainement diffusé sur OCS, en compétition au Festival International du Film Indépendant de Marseille (SMR13), un court-métrage, Planque ordinaire, qui en dit long sur le cinéma comme sur ce qui fait cité, soit le genre policier, le banlieue-film, l'action policière, le visage de quelques jeunes de banlieue, la société : le monde entier contenu dans un grain de silice, un météore qui fracasse le plan stellaire. En voici les retombées, quelques particules de poussières éclairées par sa lumière.
Anna Karina et son courtisan dans Vivre sa vie de Jean-Luc Godard
Rayon vert

« Vivre sa vie » de Jean-Luc Godard : Des touches sur la bouche

14 décembre 2024
Dans le générique de Vivre sa vie, le visage de Nana/Anna Karina, point nodal des douze tableaux et l’heure et demie du long-métrage, nous chuchote de prêter attention aux jeux de langage à venir : des circulations entre image et lettre, parole et silence, voix intérieure et extérieure. En d’autres mots : que peut la bouche des actrices et acteurs de cinéma ?
Edward (Sebastian Stan) après sa transformation dans "A Different Man"
La Chambre Verte

« A Different Man » d’Aaron Schimberg : L'acteur démasqué

6 décembre 2024
Convoquant des références et influences aussi nobles et éparses que David Lynch, Tsai Ming-liang, La Belle et la bête ou encore Cyrano de Bergerac, A Different Man d'Aaron Schimberg dépasse le récit psychanalytique de remplacement et son aspect autobiographique crypté pour charrier une réflexion sur l'acteur et son (sur)jeu, en regard de ce qu'impliquent aujourd'hui les performances dites "à Oscars" d'acteurs grimés à contre-emploi, en termes d'éthique et de représentativité.
Lesia (Ghjuvanna Benedetti) dans la campagne corse dans Le Royaume de Julien Colonna
Rayon vert

« Le Royaume » de Julien Colonna : À la table des morts

6 décembre 2024
Le Royaume est un fantasme qui permet de survivre à une réalité brutale : celle des règlements de comptes entre mafieux corses. En pleine cavale, un père, chef de gang (Saveriu Santucci) et sa fille intrépide (Ghjuvanna Benedetti) apprennent à se connaître et cherchent à préserver leur relation chèrement conquise. Peu de choses à voir du côté de ce domaine rebattu de l’amour filial. Mais à la marge du film de Julien Colonna, sous le regard fasciné de l’adolescente, apparaît une Cour d’hommes secrets autrement plus intéressante. Au sein de cette assemblée qui respire la mort se trouve réellement le royaume du temps suspendu qui s’affranchit d’un temps cyclique des exécutions sommaires ainsi que des passages obligés d’une histoire convenue.
Carlos Chahine sur la route dans le désert dans La Vallée de Ghassan Salhab.
Rayon vert

« La Vallée » de Ghassan Salhab : Uncivil War

30 novembre 2024
La Vallée, c'est le sommet du style de Ghassan Salhab, la pointe de la rose dont l'éclosion en signe les stigmates. Son site est pourtant évasé, trouvé dans la plaine de la Bekaa, cette antre qui met à distance deux montagnes : à l’ouest le Mont Liban, à l’est l’Anti-Liban. Deuxième volet d'un triptyque, ouvert avec La Montagne (2010) et clos avec La Rivière (2019), La Vallée s'ouvre au passage intervallaire d’un amnésique, l’ange annonciateur à son corps défendant de la catastrophe qui vient en ne cessant pas de revenir depuis l'origine. L'ange est terrible en l'étant du Neutre, déployant avec sa mémoire perdue et ses ailes de géant la désactivation de tout ce qui fait l'ordinaire du désastre en cours. La Vallée est une annonciation qui a vu l'avenir qui nous échoit comme le présent du pire, la guerre civile et ses incivilités mondiales. L'ange de l’Histoire fait pourtant tourbillonner des phénomènes originaires, ces roses de personne que tous nous sommes en ne faisant que passer sur terre, tantôt pour la cribler de roses malades ou meurtrières, tantôt pour y rejoindre le limon fertile d'un nouveau monde.
Une photo dans l'autobiographie L'Encre de Chine de Ghassan Salhab
Rayon vert

« L'Encre de Chine » de Ghassan Salhab : Dans le cœur, une lampe-tempête

30 novembre 2024
Le cœur d'un homme est une chambre obscure dont les douleurs font les alcôves d'un essai de cinéma. Ses battements marquent alors l'arythmie des grondements du monde de l'autre côté de la montagne. La poétique des assemblages à distance va jusqu'à montrer sa cordialité au point où attaquer frôle l'attaque cardiaque. L'Encre de Chine ? Un fourbis d'indices – ses osselets – pour fourbir l'indicible – le témoignage impossible, son os le plus secret. Fourbis comme les affaires d'un soldat ou un livre de Michel Leiris qui fait constellation avec d'autres, Biffures, Fibrilles, Fissures, Frêle Bruit, afin de déjouer la règle du jeu autobiographique. Le « portrait chinois » d'un cinéaste libanais fraie parmi les titres obscurs des histoires dont leur porteur sait qu'ils forment l'arrière-plan, lointain et éclatant, de ses épanouissements évanouis, la tempête de sable où les promesses et les adieux sont inséparables. Si loin sont de ces histoires ; si proche, en est leur ange gardien, le cœur meurtri mais toujours cordial. Ce qui résiste au témoignage témoigne de cette résistance dont il nous faudra savoir hériter – la résistance poétique du témoignage d'une incorporation à une politique de la résistance armée. Il n'y a de poésie qu'à fourbir ses armes depuis les porcheries qui nous obligent à y résister. Un cœur meurtri peut alors y exhiber, sans mot dire, la lampe-tempête qui en fait l'horlogerie.
Magalie Lépine-Blondeau et Pierre-Yves Cardinal dans le chalet dans Simple comme Sylvain
Le Majeur en crise

« Simple comme Sylvain » de Monia Chokri : La reproduction cliché

30 novembre 2024
Dès le titre une promesse nous est faite. Celle d’avoir conscience du poids qui pèse sur l’exploration des conflits de classe dans une relation romantique, de flirter avec les lieux communs pour les délier de leurs intimes vérités. Malheureusement elle n’est pas tenue. Simple comme Sylvain, pour un film se revendiquant à ce point du réel, se révèle fuyant, préférant, inlassablement, à chaque intersection rester sur ses rails de peur de toute collision. Pourtant, « le réel c’est quand on se cogne ».
Le personnage principal du documentaire L'Homme aux mille visages
Le Majeur en crise

« L'Homme aux mille visages » de Sonia Kronlund : Logique du cinéma roublard, sophistique du cinéma mouchard

29 novembre 2024
Dans son docu-fiction L'Homme aux mille visages, salué par la critique, Sonia Kronlund n'est ni une Mata Hari dans la vraie vie, ni un James Bond de comédie, encore moins Ethan Hunt, un Impossible missionné de pacotille. Elle est la commère du village à l'heure des réseaux sociaux, une justicière prise au jeu de sa propre comédie. Elle croyait rendre l'honneur perdu à des femmes trompées par un homme-caméléon aux identités multiples, elle les trahit en usant des moyens de l'infâme qu'il s'agissait pourtant de condamner. Un film qui devient l'agent complice du mâle. Enquête sur un film qui se voulait au-dessus de tout soupçon.
Sebastian Stan (Donald Trump) et Jeremy Strong dans la voiture dans The Apprentice
Le Majeur en crise

« The Apprentice » de Ali Abbasi : Donald Trump origins

21 novembre 2024
Les caméras du monde entier se sont récemment braquées sur le président des États-Unis reconduit. Résultat d’une élection au cours de laquelle le candidat des Républicains n’a cessé de se mettre en scène avec un tempérament fantasque et jusqu’au-boutiste (Trump au McDonald’s, Trump dans un camion-poubelle…). En comparaison avec ces hallucinantes images médiatiques, The Apprentice détonne. Évitant de sombrer dans la surenchère propre à son sujet, le film trop peu vu et commenté d’Ali Abbasi brille par son calme et sa retenue, à la mesure de l’interprétation juste de Sebastian Stan qui se garde bien de singer son modèle, une discrète bouche en cul de poule pour seule évocation flagrante. En relatant les débuts de Donald Trump dans le monde des affaires, The Apprentice parvient à faire le récit intime d’un homme qui se veut sans intimité, à la fois fossoyeur et héritier direct de l’ancienne classe dirigeante américaine.
Lucie Debay dans "Le Garage inventé" de Claude Schmitz
La Chambre Verte

« Le Garage inventé » de Claude Schmitz : L'enfer du théâtre

8 novembre 2024
Dans sa démarche de créer une œuvre continue, en constante évolution, Claude Schmitz se pique de donner une suite officielle au double opus déjà constitué par Un Royaume et Lucie perd son cheval. Il y prolonge la réflexion "méta" sur la condition de comédien, mais en la complexifiant encore par une dimension presque chamanique. Le Garage inventé qui restaure la mécanique et les rêves est en outre la plus ambiguë de ses créations, faisant étrangement cohabiter cette volonté récurrente de "poursuivre le geste" et celle d'enfermer ses œuvres, ses acteurs et ses personnages, dans un écrin protégé, à l'abri des dérives extérieures.
Agnès Jaoui dans Ma vie ma gueule de Sophie Fillières
Rayon vert

« Ma vie Ma gueule » de Sophie Fillières : Je doute donc suis-je ?

8 novembre 2024
Ma vie Ma gueule sera le dernier film de Sophie Fillières. Son destin tragique admoneste-t-il la réception du film ? Ma vie Ma gueule n'est pas un film posthume, mais un film vivant, du vivant. Il me résout, tout doucement, les grandes questions, en m'en débarrassant. Le sens de la vie, c'est le sens qu'on lui imprime, « moitié dans mes godasses, moitié à côté », dans l'espoir qu'on me dise, peut-être, un jour : « merci d'avoir tenté, merci d'avoir vécu ! »
Sandrine Kiberlain et Vincent Macaigne au musée dans Chronique d’une liaison passagère
Rayon vert

« Chronique d’une liaison passagère » d'Emmanuel Mouret : "La passion, c’est beaucoup d’air brassé pour du vide"

3 novembre 2024
Au fil de son œuvre, Emmanuel Mouret a semé les bases d’une nouvelle manière de représenter l’amour au cinéma. S’opposant aux cadres narratifs de la passion, c’est au contraire une vision refroidie des sentiments qu’il propose. Chronique d’une liaison passagère, en adoptant un dispositif narratif extrêmement restreint, radicalise cette perspective comme pour mieux démontrer l’intérêt de ne pas céder à ce que sont devenus des automatismes dans la représentation des corps amoureux, en revalorisant la pensée des sentiments contre les actes passionnés.
Nicholas Hoult et Toni Collette discutent sur un banc dans Juré n°2 de Clint Eastwood
Rayon vert

« Juré n°2 » de Clint Eastwood : Minuit moins une dans le jardin du bien et du mal

2 novembre 2024
Juré n°2 est un petit film de pas grand-chose qui n’aurait peut-être pas mérité autant d’égard s’il n’avait pas été signé par Clint Eastwood. À l’aune de l’œuvre qu’il parachève, il marque toutefois la nouvelle étape du destin du héros eastwoodien qui peut à bon droit s’apparenter à la dernière. Juré n°2 est impitoyable et son héros, Justin Kemp, un être impardonnable. Le héros qui nous paraît si proche s’est éloigné de nous au point limite où, loin de reconnaître à distance le respect de son héroïsme avant que sa révérence ne soit tirée, sa disparition est consommée. Le héros rappelle ainsi à l’exception qui fait son destin qu’elle coïncide désormais dans la préférence obscène des conforts et des intérêts. Son devenir quelconque touche à l’os de la liquidation des morales supérieures. Hier, le héros eastwoodien nous demandait de le comprendre, et même de l’aimer ; aujourd’hui, il n’est qu’un salaud désarmant de sincérité.
Le chat et la grande statue de chat au début de Flow, le chat qui n'avait plus peur de l'eau
Rayon vert

« Flow » de Gints Zilbalodis : Un abandon

23 octobre 2024
Flow s'impose comme un film d'animaux perdus mais d'abord perdus sans les hommes. C'est cette subtilité, traduite par un sentiment d'abandon, qui le rend émouvant, et plus précisément par l'humanité dont les animaux conservent la trace et le reflet. A contrario, Flow intéresse moins lorsque les animaux commencent à se comporter comme des humains : le réalisme que le film avait su recréer perd en partie sa force.
Aurore Clément dans Toute une nuit de Chantal Akerman
Rayon vert

« Toute une nuit » de Chantal Akerman : Symphonie cinétique

14 octobre 2024
Dans Toute une nuit, la nuit n’est pas qu’une simple toile de fond, elle est une matrice de laquelle surgissent les gestes mélodramatiques des anonymes. Ces gestes sont le centre de gravité du film, tandis que les personnages sans nom et les mini-récits discontinus ne sont que des instruments qui permettent à Chantal Akerman de réaliser le mouvement.
La mère de Chantal Akerman dans sa maison à Bruxelles dans No Home Movie
Rayon vert

« No Home Movie » de Chantal Akerman : Si loin, si proche

14 octobre 2024
No Home Movie, le dernier film de Chantal Akerman, est traversé par un mouvement qui oscille entre les forces contraires de l’éloignement et du rapprochement. Car la distance semble être au cœur de bien des images, une distance à entendre d’un point de vue spatial, corporel comme émotionnel. Une distance sans cesse à reconfigurer pour arriver à être connectées l’une avec l’autre et pour enfin libérer les mots qui sont les plus difficiles à sortir, ceux du cœur.
Chantal Akerman dans sa chambre dans Je, tu, il, elle
Rayon vert

« Je, tu, il, elle » de Chantal Akerman : L'autre sans quoi

14 octobre 2024
La mise à nu est une franchise quand le franchissement des seuils du visible a ainsi valeur d'affranchissement. Avec Je, tu, il, elle, Chantal Akerman âgée de 24 ans seulement se constitue à l'image en sujet qui s'expose moins comme une personne que comme personne. La subjectivation ouvre chez elle à l'impersonnelle. D'abord dire je pour suivre avec tu, ensuite passer par il pour finir avec elle : elle qui est l'autre, elle qui est moi, elle qu'il y a entre les autres et moi – un on peuplé d'elles. La frontalité s'y fait dénudement et le désœuvrement de tout narcissisme l'est de toute pornographie, souverainement. Parce qu'il y a de l'autre qui manque et dont le manque est une addiction avec ses compulsions. Parce que l'autre est tout autre, c'est le secret, et qu'il est toute autre, c'est le secret des secrets. L'autre ne sera donc pas un « il » dont la débandade est avérée, mais une « elle » dont les retrouvailles sont océaniques. La politique de la chambre à coucher est une tabula rasa, un désert repeuplé, avec ses ritournelles et son repos bien mérité. Shabbat n'advient qu'à seule fin de tout recommencer.
Pina Bausch sur scène dans Un jour Pina a demandé...
Rayon vert

« Un jour Pina a demandé... » de Chantal Akerman : L’esprit qui danse

14 octobre 2024
Un jour Pina a demandé... consiste à reprendre à la scène ce qui appartient au film : Chantal Akerman veut puiser dans le travail de Pina Bausch ce qu’il y a de cinématographique pour le faire passer de l’art de la danse à son art à elle, le cinéma.
Sylvie Testud et Stanislas Merhar à l'arrière d'une voiture dans La Captive de Chantal Akerman
Rayon vert

« La Captive » de Chantal Akerman : La privation du regard

14 octobre 2024
Dans La Captive, le corps d’Ariane est l’objet d’une traque continue. Chantal Akerman entreprend ainsi de donner à voir ce qu’est un personnage qui disparaît, vivant écrasé par le poids du contrôle et des dispositifs de pouvoir qui pèsent sur lui.
Rayon vert

« Megalopolis » de Francis Ford Coppola : Antipolitique du démiurge

9 octobre 2024
Megalopolis est un film inclassable, hanté par des morts qui font la vie, qui contient un élixir de jouvence – le Megalon – une force créatrice à nulle autre pareille qui ferait les cités, le cinéma de demain comme il débarrasserait tous les pouvoirs de la logique de toute-puissance. Une énergie faite de la rêverie des songes comme de la réalité. Coppola y expose un art subtil d’asseoir la vigilance sur le laisser-aller, un mélange de conscience et d’inconscience, qui menace toujours de s’évaporer ; une sorte d’état plasma filmique, qui n’est ni complètement gazeux ni complètement solide ; une folie douce, un entre-deux, un flou pour apercevoir ce que le sommeil permet de voir (les rêveries), mais aussi les songes de l’homme libre – ceux de Coppola –, tout en étant capable de restituer avec la lucidité de celui qui est éveillé. Une révélation, mais qui ne passe pas seulement par le bien-être, mais le malaise, un peu comme si l’on était porté par la houle : ce moment où l’on s’en remet au monde, mais où, paradoxalement, on est enfin en soi-même pour nous apprendre, finalement, à devenir les créateurs de notre propre univers, en revenir à l'enfant.
Cosmos pendant son procès dans Le Procès du chien de Lætitia Dosch
Le Majeur en crise

« Le Procès du chien » de Lætitia Dosch : Dernières nouvelles de Cosmos

5 octobre 2024
Si le premier long-métrage de Lætitia Dosch est bruyant, c'est qu'il gueule et s'il pousse une gueulante, c'est qu'il en a gros sur le ventre. Ici, l'aboiement est partout, inter-spécifiquement. Un tribunal des hommes et des bêtes comme en rêvait Franz Kafka, sensible à l'appel des forêts comme chez Jack London. Le Procès du chien est un vrai film de bâtard et sa pelisse bigarrée est le manteau formidable d'un hommage à l'espèce compagne qui nous aura fait comme nous sommes, mais remué de rage quand notre bêtise ne fait pas droit à notre part sauvage. Le griffon Cosmos y aboie pourtant les nouvelles d'un nouveau « contrat naturel ».
Un visiteur récite une parole mystérieuse devant une statue dans Dahomey
Rayon vert

« Dahomey » de Mati Diop : Les statues meurent-elles aussi ?

2 octobre 2024
Mati Diop a toujours filmé des fantômes. À l'occasion de la « restitution » par la France de vingt-six statues au Bénin, elle décide, dans Dahomey, de les faire parler pour installer un contre-récit sur la colonisation, contre la mort d'un peuple, sa culture, son histoire, cette mort qui n'a jamais cessé de faire sentir sa poigne. Une politique des fantômes pour les rendre à la vie.
Oscar Isaac, Jessica Chastain et Albert Brooks sur les quais à la fin de A Most Violent Year
Le Majeur en crise

« A Most Violent Year » de J.C. Chandor : Le Far West n’est pas si loin

2 octobre 2024
A Most Violent Year porte un coup décisif à l’idéologie diffusée par la forme hollywoodienne dominante. À travers son personnage principal d’entrepreneur obsessionnel et d’une description méticuleuse des intérêts de classes, J.C. Chandor révèle la séduction perverse d’une esthétique absorbante qui a si souvent servi à nous rendre désirable des rapports au monde nauséabonds.
Un enfant couché dans son lit dans France tour détour deux enfants
Rayon vert

« France tour détour deux enfants » de Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville : Les enfants jouent à la télévision

26 septembre 2024
Un jour, quelqu'un de la télé a dit : on aimerait bien célébrer le centenaire du Tour de la France par deux enfants (1877) d'Augustine Fouillée alias G. Bruno, classique de la pédagogie à l'époque de la toute jeune Troisième République. Une nouvelle composition à rendre après Six fois deux / Sur et sous la communication (1976). Un nouveau devoir à faire « à la rude école de la télévision ». Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville y ont répondu, tout simplement, par « un mouvement de 260 millions de centimes vers une petite fille et un petit garçon ». Être à l'écoute du discours de l'autre et son enseigne quand il est un enfant, deux enfants qui pensent, c'est montrer, après les grandes catégories politiques à l'époque du groupe Dziga-Vertov, qu'il n'y a pas de politique vraie sans qu'elle n'ait pour autre versant celui de la « micropolitique ».
Des spectateurs voyagent dans l'oeuvre VR A Conversation with the Sun d'Apichatpong Weerasethakul
Histoires de spectateurs

« A Conversation with the Sun » d'Apichatpong Weerasethakul : La grotte des rêves perdus

22 septembre 2024
A Conversation with the Sun, la première œuvre VR d'Apichatpong Weerasethakul, explore, par le rêve, la mémoire de la conscience humaine en prise avec son existence physique et le mystère de ses origines. Le visiteur plonge dans une grotte des rêves perdus où il peut se ressouvenir de ses rêves antérieurs ou, comme Oncle Boonmee, de ses vies passées, puisque notre corps garde secrètement la mémoire de son premier ancêtre.
Viggo Mortensen dans son bar dans A History of Violence
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« A History of Violence » de David Cronenberg : Le secret derrière la porte

21 septembre 2024
A History of Violence de David Cronenberg ne raconte pas simplement que la barbarie n'est jamais très loin. Elle est au plus proche. Elle fait mouche. Elle est en nous. Elle fait nous. La civilisation n'est que sa camisole de force, dont il fallait encore défaire toutes les coutures dans un film qui ébroue d'autant plus que sa facture est classique.
Mia Wasikowska couchée sur une étoile d'Hollywood Boulevard dans Maps to the Stars de David Cronenberg
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« Maps to the Stars » de David Cronenberg : Ce qui s'écrit de l'inceste

20 septembre 2024
Depuis les années 2000, le traitement clinique propre au cinéma de David Cronenberg élargit sa sphère d'analyse. Il y raffine, par concentration du style et variation dans ses objets et ses récits, le caractère monstrueux de ses nouvelles excroissances. Il étire ainsi les spires de la toile propres à ses exercices de viralisation arachnéenne. Avec Maps to the Stars, il s'agit d'infiltrer et d'assimiler un sous-genre caractéristique de l'industrie hollywoodienne, à savoir sa propre satire. En adoptant une stratégie déflationniste, le choix du minimalisme s'amuse délibérément à friser la déception en jouant de déceptivité. La distance clinique qui engage à la soustraction comme à la neutralisation des clichés déplace les enjeux comiques de la satire du côté de la représentation à froid d'une familiarité inquiétante. La force d'insinuation de Maps to the Stars, réelle bien qu'en-deçà des longs-métrages précédents, ne saurait cependant se réduire à la seule justesse sociologique de son scénario, ainsi qu'à quelques-uns de ses accents grotesques. Le clinicien frôle le cybernéticien avant que l'insinuation des conventions ne fasse apparaître une écriture autre, psychotique et cryptique. L'inceste s'y révèle moins comme la vérité monstrueuse et criminelle de l'homogamie que comme un événement inassimilable dans un monde qui a anéanti la force transgressive de l'amour. Et aboli les poètes qui en écriraient les étoilements pour en chanter les astres scellés.
James Woods face à la télévision dans la célèbre scène de Vidéodrome de David Cronenberg
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« Vidéodrome » de David Cronenberg : La grande illusion

20 septembre 2024
Série d’hallucinations érotiques et gores, Videodrome visite les profondeurs de la psyché sous le régime de la consommation insatiable des images, où l’espace intime est peuplé par ces monstres méconnus : les écrans.
Zoé Lucas sur l'île de Sable dans Geographies of Solitude
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« Geographies of Solitude » de Jacquelyn Mills : Matière et mémoire

11 septembre 2024
Toute matière affecte et est affectée. Dans Geographies of Solitude, la matière-île affecte la matière-cheval qu’elle accueille. Loin des humains, elle s’est acclimatée à ce lieu unique, elle s’est ensauvagée. Île et chevaux se confondent tout comme Zoé Lucas a fini par se fondre dans l’île. Ce rapprochement de la scientifique et de l’environnement matériel qu’elle analyse a inspiré l’un des gestes fondamentaux du film de Jacquelyn Mills : promouvoir un régime d’intelligibilité du monde qui ne distingue pas raison et sensations, mais qui postule au contraire leur salutaire association.
Larissa Corriveau seule dans la maison dans Mademoiselle Kenopsia
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« Mademoiselle Kenopsia » de Denis Côté : Découvrir le vide

31 août 2024
Denis Côté, jouant avec radicalité de l’esthétique des espaces liminaux, donne vitalité à l’expression nécrosée de l’expérience cinématographique. Celle qui, au-delà d’une narration ou d’images, s’impose et s’adresse directement à nos sens, particulièrement, ici, à ceux qui guident l’appréhension. Dans le vide qui sépare les lieux dans lesquels Mademoiselle Kenopsia se loge, le réalisateur québécois nous fait éprouver les possibles de l’attente. L’écran de projection devient alors réceptacle et vecteur de l’inconscient, le recevant après l’avoir excité dans une rétroaction continue. Et lorsque le film termine et nous accompagne au-delà du cinéma, il n’en reste que la mémoire, celle des sentiments qui se sont manifestés lors d’un ennui conscient.
Raimu dans La Femme du boulanger de Marcel Pagnol.
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« La Femme du boulanger » de Marcel Pagnol : Le fournil d'enfer du discours

25 août 2024
Le four banal de la conflictualité locale requiert un boulanger pour en pétrir la pâte avant de la faire cuire, et faire ainsi levain de toutes les bonnes pâtes qui ont fini par rassir dans son pétrin. Ce qui en sortira pourtant, crûment, c'est non seulement la question sexuelle et sa répression, c'est encore son traitement social afin que la collectivité en tire son profit. Car manger du pain du boulanger, c'est en goûter la cruauté. La boulange à la manière de Marcel Pagnol ne craint pas de mettre la main dans le pétrin de la répression des sexualités dominées. Pour son artisan, gagner son pain à la sueur de son front, c'est aussi prendre en considération que la sudation descend jusque dans le creux le plus intime de son pantalon. Si le discours est le pain blanc de qui en a besoin pour parer à la crise mimétique, la pâte à pain de certains discours est aussi plus grumeleuse, plus cruelle et crue que d'autres, farcie des rappels à l'ordre des prisons conjugales, ces rasoirs qui font verser des larmes de honte. Le pain bénit du discours a ses béni-oui-oui comme il a ses victimes émissaires, avec pour les uns ses foyers d'attention et de consécration quand, pour les autres, il vaut rien moins que d'infernal fournil.
Isabela Merced dans la lumière à l'intérieur du vaisseau dans Alien : Romulus
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« Alien : Romulus » de Fede Alvarez : Le noir de la terre

16 août 2024
L'alien est l'hôte qui n'a de pulsion qu'à l'hostilité, l'intrus que ses otages se doivent expulser. Dans Alien : Romulus, les adolescents prolongés qui en affrontent la monstrueuse multiplicité découvrent soudain qu'ils sont expulsables, eux aussi. Abonnés aux profondeurs minières de la terre même quand ils se projettent dans l'espace, ils rêvent d'une sortie vers le soleil en risquant d'être évacués dans le noir intersidéral, à l'instar de vulgaires déchets. Eux qui se voyaient en bons platoniciens à la fin comprennent qu'ils sont l'embarrassante portée des fondations romaines, sa chiée, les enfants des profondeurs obscures et des pesanteurs objectales de la terre, la plus dévoreuse d'entre toutes les mères.
Franck (Daniel Auteuil) parmi ses arnaqueurs sur La Penichette, dans "La Petite Vadrouille"
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« La Petite vadrouille » de Bruno Podalydès : La vie est une petite rivière agitée

4 août 2024
Si de prime abord, La Petite vadrouille semble être le film le plus misanthrope de Bruno Podalydès, charriant la satire sociale aussi subtilement qu'un Chatiliez dans un magasin de porcelaine, le film incite son spectateur comme ses personnages à « voir plus loin ». En utilisant la parabole du bateau naviguant à vue vers un horizon dégagé ou pas, le film utilise aussi les écluses comme vecteurs de fermeture ou d'ouverture, faisant de la dernière une véritable promesse d'avenir plus radieux.
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