« Quand tu seras grand » d’Andréa Bescond et Éric Métayer : "C’est de la merde, là…"
Après le très mauvais Les Chatouilles, film coup-de-poing manipulateur, Andréa Bescond et Éric Métayer persistent et signent avec ce Quand tu seras grand, qui avance masqué et se présente tout d'abord comme un "feel-good movie" avant de basculer irrémédiablement dans le cinéma de la "claque" et dans la monstration inévitable de fluides corporels brunâtres, sous couvert d'un gag potache qui fait s'exclamer à l'unisson le personnage principal et le spectateur du film : "C'est de la merde, là...".
« Quand tu seras grand » d’Andréa Bescond et Éric Métayer (2023)
Dans une autre vie d’écriture, il y a quelques années de cela, voici ce que nous écrivions – sous le coup de la colère – sur Les Chatouilles, le premier long-métrage d’Andréa Bescond et Éric Métayer, auteurs de Quand tu seras grand : « Voici un film d’illusionnistes, un film qui a effectivement fait illusion au dernier Festival de Cannes […]. Un film qui pousse le bouchon jusqu’à faire illusion au sein même de sa vision, nous jetant de la poudre aux yeux pour nous faire croire qu’il est autre chose qu’un règlement de compte cinglant et hystérique. Par le recours à la danse, Les Chatouilles tente dans un premier temps d’importer un dynamisme de chorégraphie dans sa mise en scène, coupant constamment dans le mouvement pour paraître vivant, pour opposer à son sujet grave et austère un traitement vif, voire cool, censé le transcender. Car le film se trouve être l’adaptation du seul-en-scène cathartique d’Andréa Bescond, dans lequel elle tendait à exorciser les actes de pédophilie dont elle fut victime dans son enfance. N’ayant pas vu ce spectacle, nous ne pouvons pas nous exprimer directement dessus, mais nous pouvons dire notre ressenti sur cette adaptation qui s’avère catastrophique, voire honteuse. Peut-on faire jouer ces personnages – l’ami pédophile de la famille et les parents aveugles – à des acteurs bankable en pleine tentative de performance ou de cassage de leur image ? Nous en doutons fortement. L’apothéose de ce dispositif foireux est atteinte lors d’un règlement de comptes final avec la mère, surjouée de manière éructante et grotesque par Karin Viard, mauvaise comme jamais. Le film a probablement atteint son but : administrer un uppercut dans le ventre de son spectateur tout en se dissimulant derrière un mur de "poésie artistique". Ceux qui aiment être traités de la sorte, se faire manipuler sur le plan psychologique et sentimental, seront ravis. »(1).
Rétrospectivement, cette notule écrite dans l’emportement et le contexte empressé du moment – le film avait été vu dans le flux tendu d’un festival de cinéma – nous apparaîtrait presque trop violente et démesurée par rapport à un film dont le souvenir que l’on en garde reste très mauvais, mais qui, comparé à Quand tu seras grand, découvert cette fois-ci dans des conditions plus apaisées, durant une séance « standard » dans une salle de cinéma, se voit presque réévalué tant il occupe un grade nettement moins élevé sur l’échelle de l’affligeant. On retrouve dans Quand tu seras grand, le film incriminé, la même volonté d’emporter dans un grand élan « virevoltant » et sentimentalo-larmoyant un spectateur traité comme un bout de chiffon, comme une marionnette dont les auteurs démiurges pourraient faire leur chose. Mais tout semble ici être fait « au carré », notamment dans un dispositif à la fois plus linéaire et plus éclaté en termes de récits – il s’agit d’un film choral – que dans Les Chatouilles, lequel se concentrait sur l’histoire d’un personnage principal dans une temporalité opportunément chamboulée.
Si Les Chatouilles apparaissait assez vite comme un film « coup-de-poing » ne serait-ce que par son sujet et par certaines scènes à l’hystérie débordante, Quand tu seras grand, par son argument de base, par son titre et par son affiche « rayonnante » – on y voit les deux stars sourire à pleines dents – se vendrait plutôt comme un feel-good movie. Il est vrai que la prémisse intergénérationnelle – les résidents d’un EHPAD et de jeunes écoliers doivent cohabiter dans les mêmes locaux, encadrés par des animateurs d’abord récalcitrants puis subjugués par la synergie qui naît de la rencontre des deux générations – est propice à tous les bons sentiments possibles et imaginables. Mais il ne faut jamais l’oublier, comme le dit Yannick (Vincent Macaigne), l’agent de nettoyage/surveillant/syndicaliste, au début du film : « Ici, il y a la mort. ». L’ombre du film coup-de-poing n’est donc jamais très loin et plane sur Quand tu seras grand dès son premier tiers, même si elle ne s’abattra véritablement sur sa proie - le spectateur - que dans sa dernière partie, effet-massue oblige. Bien évidemment les enfants s’attacheront à leurs aînés et vice-versa, et ce que tout spectateur un peu alerte peut deviner arrivera : les vieux mourront, les jeunes pleureront.
D’une certaine manière, le film est presque honnête avec son spectateur de ce point de vue-là, il l’aura prévenu assez vite de son déroulé programmatique et « inéluctable », quand bien même il pourrait évidemment faire le choix de ne pas montrer de manière appuyée la mort au travail, ou en tout cas de ne pas l’utiliser à des fins lacrymales. Mais on s’en rend compte assez vite que Quand tu seras grand ne s’embarrasse évidemment pas de ce genre de considérations éthiques. La seconde partie du film s'appliquera minutieusement à décrire la relation de confiance qui se lie entre un jeune garçon turbulent et un résident bourru, ancien baroudeur et cascadeur, laquelle se terminera dans la tristesse pour le petit garçon quand le vieil homme viendra à disparaître dans des conditions assez atroces - là on est dans le versant « coup-de-poing » de Quand tu seras grand. Mais le premier décès « marquant » du film a lieu plus ou moins à mi-parcours, et il est déjà prétexte à une démonstration d’hystérie pas piquée des vers, laquelle fait d’ailleurs basculer le film irrémédiablement dans les bas-fonds du cinéma de la « claque ». On y voit la co-réalisatrice du film s’en prendre une, de claque, justement – et cela n’en fait même pas le « meilleur » moment du film, c’est dire. Andréa Bescond joue la fille ou la petite fille de l’une des résidentes et, au moment du décès de celle-ci, elle se livre à une espèce de déballage verbal insultant envers un autre membre de sa famille (sa mère ou sa sœur) laquelle ne serait jamais venue voir sa parente à l’EHPAD. La femme invectivée ne se laisse pas faire et administre une claque bien sentie à l’hystérique. Là, Quand tu seras grand devient presque conceptuel et involontairement méta, car c’est un peu comme si le spectateur ou le cinéphile entre deux âges - d'un autre temps - venait donner une correction bien méritée à ceux et celles qui sont en train de tout saloper, de tirer le cinéma grand public bien-pensant et propre sur lui vers la débauche hystérique et la « chienlit ».
En parlant de « chienlit », on y arrive tout doucement, car ce film qui sent mauvais ne pouvait éviter de se complaire dans la monstration des fluides corporels colorés, d’autant plus que son contexte se prête à l’exercice. On a dit que l’un des personnages principaux est un agent d’entretien ou surveillant ou autre – on ne sait pas trop quel est son poste, et c’est une des problématiques de Quand tu seras grand d’ailleurs, la polyvalence des employés de l’EHPAD qui sont ainsi surchargés et débordés –, lequel n’hésite jamais à pousser une gueulante contre la direction et les décisions absurdes de celles-ci. Dans la première partie du film, il se fritte longuement avec l’animatrice scolaire des enfants, avant de partager sa cause et d’établir de vrais liens d’amitié avec elle. Mais ces deux personnages ne sont pas les seuls « encadrants » du film, loin de là. Quand tu seras grand regorge de personnages, il en pullule, il en déborde, qu’il s’agisse des enfants, des résidents ou des aides-soignants. Parmi ces derniers, il y en a deux qui sont particulièrement croquignolets. L’un est interprété par Marie Gillain, il s’agit d’une aide-soignante dont le principal arc narratif est d’être faite cocue par son mari et de pleurer sur l’épaule de Yannick. L’autre est interprété par Carole Franck et consiste à incarner la vieille employée fidèle qui n’a jamais réussi à développer une vie privée en dehors de son métier, si ce n’est échanger quelques messages grivois, sans suite, avec des prétendants sur Tinder. Tous ces seconds rôles gravitent donc autour de Yannick qui reste malgré tout le personnage central du film – du moins pour la partie « soignants » - ce qui donne quelques moments « cocasses », notamment lorsque le personnage de Marie Gillain s’engueule avec une autre aide-soignante devant les yeux de Yannick. L’autre aide-soignante porte une couche pleine de diarrhée et la brandit ainsi en invectivant sa collègue, tout cela devant le pauvre Yannick qui finit inévitablement par en avoir sur sa blouse. Il met ainsi fin à la dispute entre les deux femmes en s’énervant à son tour et en s’exclamant au bord de la nausée : « C’est de la merde, là… ». Le spectateur, au bord de la nausée lui aussi, ne saurait mieux dire.
Notes