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Toutes les publications

Saul Tenser (Mortensen) entre sa compagne Caprice (Seydoux) et son admiratrice Timlin (Stewart) dans « Crimes of the Future »
Rayon vert

« Crimes of the Future » de David Cronenberg : Hybride évolution

24 mai 2022
Dans son nouveau film attendu comme le Messie, David Cronenberg parvient à la fois à combler des attentes et à se montrer déceptif. C'est en faisant se rencontrer deux pans de son cinéma qu'il le fait évoluer, en faisant d'un film hybride une nouvelle étape, un « troisième type » . Tout comme l'humanité accède à un stade supérieur d'évolution à la fin de Crimes of the Future, c'est par une démarche d'hybridation, par le composite, que le cinéma de Cronenberg continue d'évoluer.
Harper (Jessie Buckley) dans le tunnel dans la forêt dans Men
Critique

« Men » de Alex Garland : Le mâle engendre le mâle

22 mai 2022
Alex Garland signe avec Men un troisième film retors et un peu lourdingue qui surfe sur la vague des films post-MeToo tout en évitant in extremis la caricature totale grâce à un travail fantasmagorique sur la question du deuil. Néanmoins, plutôt qu’une grande allégorie féministe, le film pourrait être vu aussi comme une critique de ce que cette « ère » a pu engendrer comme atmosphère de peur constante, de méfiance voire de détestation entre les femmes et les hommes.
Des acteurs dans Le cinéma de Noël Herpe
Esthétique

Modernité anachronique et renaissance contemporaine : Noël Herpe cinéaste

20 mai 2022
La Tour de Nesle, troisième film et second long métrage de Noël Herpe, est sorti en DVD en avril, édité par Tamasa, et sera diffusé à partir de juin sur Ciné +. Cette sortie, succédant à l'exploitation du film en salles ainsi qu'à celle du documentaire Noël et sa mère (réalisé par Arthur Dreyfus, son ami et complice, rétrospection intime d'une enfance et de souvenirs mêlés avec sa mère), participe ce printemps à une certaine actualité du travail cinématographique herpien. Il m'a semblé intéressant de revenir sur ce travail, composé de trois films - le court métrage C'est l'Homme (2009), les deux longs métrages Fantasmes et fantômes (2018) et La Tour de Nesle (2021).
Pearl (Mia Goth), la vieille femme de X
Critique

« X » de Ti West : Proposition décente

17 mai 2022
X de Ti West se situe sur le plan du désir. La vengeance froide et puritaine propre aux grandes figures du slasher laisse place à un jeu autour de la sexualité. Le sang finira certes par couler (loi du genre oblige !), et c'est un peu dommage qu'il le fasse de manière très classique, mais le film restera une affaire de sexe qui repose au fond sur une proposition décente, une volonté de désirer encore.
Dieter Dengler dans la jungle dans Petit Dieter doit voler
Rayon vert

« Petit Dieter doit voler » de Werner Herzog : Qui témoigne pour le témoin, sinon l’ami ?

14 mai 2022
La survie, c’est la vie vécue à l’extrême pointe, extrémisée par la proximité de la mort jusqu’à ses limites dont le franchissement est un anéantissement. Le survivant vit en témoignant, le vivant témoigne en parlant comme en ne parlant pas. Quand il est silencieux, le témoin est taiseux et ses silences témoignent pour lui. Le vivant qui a survécu en a-t-il à jamais fini avec la survie ? Dieter Dengler est un témoin : l'homme qui a survécu au pire parle à Werner Herzog qui lui dédie Petit Dieter doit voler (1997). L’homme qui témoigne en faisant preuve d'une extraordinaire prolixité tourne cependant autour d'un noyau d'indicible, un reste irracontable : son désir de voler a eu pour fondation et destination une destruction réitérée. Le témoin est un derviche tourneur dont l’axe de rotation est ce reste-là. Avec l’homme témoignant pour l’ami absent et l'autre ami qui témoigne pour lui en lui dédiant son film, la vie apparaît enfin pour ce qu'elle est en vérité : l'énigme extatique d’un miracle inespéré.
Gellert Grindelwald (Mads Mikkelsen) dans la scène finale de Les Animaux Fantastiques : Les secrets de Dumbledore
Esthétique

« Les Animaux fantastiques : Les Secrets de Dumbledore » : De l'élémantal élémentaire

12 mai 2022
Plutôt mal-aimé, Les Secrets de Dumbledore, le troisième volet des Animaux fantastiques, tourne néanmoins autour de bien jolies choses : astrologie, quatre éléments, surface, publicité, trains (entre autres). Ou : brève et forcément lacunaire histoire de la surface élémentaire, et de l'incorruptibilité de l'air, en partant d'un (beau) dernier plan.
Anne (Anamaria Vartolomei) danse dans un bar dans L'évènement
Critique

« L’Événement » d’Audrey Diwan : Venger sa race, manger sa classe ?

9 mai 2022
Audrey Diwan, compagne à la ville de Cédric Jimenez, aurait-elle réalisé un film de droite à tendance libérale avec L’Événement (2021), à l’instar du regrettable Bac Nord ? Ou comment un certain cinéma, après avoir opéré son tournant sécuritaire, promeut la logique de la libre entreprise de soi au pays de la macronie.
Chiara (Swamy Rotolo) à la recherche de son père dans la brume dans A Chiara
Rayon vert

« A Chiara » de Jonas Carpignano : Le deuil des vivants

6 mai 2022
Avec A Chiara, Jonas Carpignano filme le travail de deuil des vivants. Le deuil n'est en effet pas qu'une relation qui nous lie à nos morts, il charpente nos vies où les vivants, eux aussi, passent comme des fantômes qu'il faut oublier : dans A Chiara, il faudra affronter la perte du père et d'une famille unie relativement insouciante.
Kyoko dans Antiporno
Esthétique

« Antiporno » de Sono Sion : Repenser le Roman Porno

4 mai 2022
En 2015, la société de production Nikkatsu propose à des réalisateurs reconnus de réaliser leur propre Roman Porno. Parmi ceux-là, Sono Sion a décidé de s'emparer de ce genre issu des années 70 et dans lequel transparaissait souvent un message politique fort, pour mieux en subvertir et mettre en évidence l'une des tares les plus évidentes, à savoir une misogynie latente voire exacerbée. Dans Antiporno, Sono Sion s'empare donc du Roman Porno pour travailler la question du genre et se sert de la mise en abyme pour mener à bien une réflexion sur le corps et la sexualité féminine.
Médéric (Jean-Charles Clichet) aborde Isadora (Noémie Lvovsky) dans la scène d'ouverture de Viens je t'emmène
Interview

Interview d'Alain Guiraudie pour « Viens je t'emmène »

1 mai 2022
Avec Viens je t'emmène, Alain Guiraudie signe un film léger et retrouve l'humour si décapant qui caractérise son œuvre. Il s'intéresse cette fois-ci au spectre de la menace du terrorisme islamique et à la place qu'elle occupe dans nos imaginaires tout en en filmant, comme à son habitude, les puissances et les contrariétés du désir. Nous avons rencontré un cinéaste généreux pour une longue interview où nous revenons en détails sur différents aspects du film et de son œuvre en général.
Jean-Louis Trintignant est Silence dans Le Grand Silence
Esthétique

« Le Grand Silence » de Sergio Corbucci : La violence à froid

22 avril 2022
Le Grand Silence est un sommet du western italien, noir sur fond blanc. La violence y éclate à froid en recourant à la règle qui la justifie. C'est que la loi s'impose à la violence mimétique en y participant quand le droit a besoin d'être suppléé par la loi du marché. Les montagnes enneigées exposent ainsi la surface blanche où s'écrivent les faux raccords du monopole de la violence légitime. Ce monde-là, qui est la fin du western, a été un climax de barbarie. Pour en témoigner, rien de plus approprié que la barbarisation du genre lui-même. La profanation du western a pour vérité les mains mutilées par l'exercice de la pulsion qui s'habille toujours de la règle, jouant l'une contre l'autre pour surenchérir sur la loi et ses apories, y compris celles du genre disséqué comme un cadavre à la morgue.
Natsuko et Aya se rencontrent dans la troisième histoire de « Contes du hasard et autres fantaisies »
Rayon vert

« Contes du hasard et autres fantaisies » de Ryūsuke Hamaguchi : Quiproquos et épiphanies

18 avril 2022
Avec ces Contes du hasard et autres fantaisies, Ryūsuke Hamaguchi convoque des influences comme celles de Hong Sang-soo ou d’Éric Rohmer et fait dialoguer entre elles ses trois histoires, ses trois « nouvelles », autour des figures du quiproquo, du triangle amoureux et de l’épiphanie, faisant ainsi de la plus belle des manières du boulevardier quiproquo un vecteur d’épiphanie et de clarté de vue pour les personnages et pour le spectateur.
Dario Argento et Françoise Lebrun s'enlacent dans Vortex
Critique

« Vortex » de Gaspar Noé : Aïe, dégueu

16 avril 2022
Dans Irréversible, un violeur surnommé le Ténia était à chercher là où le parasite se terrait, dans le dédale intestinal d'une boîte de nuit qui s'appelait le Rectum. Aussi épais soit-il, le gag est à prendre très au sérieux, en étant le noyau d'une vision du monde infernale et puérile dont le cercle conjoint l'adolescence à la sénescence. Avec Vortex, Gaspar Noé assume jusqu’au bout, il faut lui reconnaître son jusqu’au-boutisme : le rectum il y est et il ne tient pas spécialement à en sortir, le ténia bien au chaud, lové dans le boyau du cinéma, ce corps en tant qu'il est mort et dont l'adoration cinéphile tient lieu d'exercice thanatopraxique.
Des réfugiés congolais se protègent des bombes dans L'Empire du silence
Critique

« L'Empire du silence » de Thierry Michel : Bouteille à la terre

12 avril 2022
L'Empire du silence est né d'une colère, celle du silence de la communauté internationale sur la situation toujours chaotique en République démocratique du Congo. Mais cet empire du silence s'étend métaphoriquement sur plusieurs niveaux de sens. C'est la règle d'or d'un pays qui ne cesse de manipuler et d'effacer les traces des atrocités commises dans son histoire, une histoire écrite par les gagnants contre laquelle chaque contre-image, aussi atroce soit-elle, compte. C'est aussi le silence des forêts et du fleuve Congo, deux géants ténébreux qui portent les croyances et la mémoire funeste de tout un pays.
Gene Tierney et George Sanders dans The Ghost and Mrs. Muir
Rayon vert

« The Ghost and Mrs. Muir » de Joseph L. Mankiewicz : Une aventure du regard

9 avril 2022
The Ghost and Mrs. Muir de Joseph L. Mankiewicz tisse avec une grande puissance évocatrice des passages entre plusieurs mondes : rêve et réalité, vie et mort, pesanteur terrestre et éclat des vagues. Mais quel est le moment où le récit bascule et pénètre l’autre monde ? La réponse se trouve peut-être au bout d’un travelling.
Joan Fontaine et Louis Jourdan font connaissance dans Lettre d'une inconnue
Rayon vert

« Lettre d’une inconnue » de Max Ophuls : Le manège des simulacres et l'instance qui l'arrête

3 avril 2022
Les plus beaux personnages de Max Ophuls sont des séducteurs piégés par l'ivresse circulaire des plaisirs de la séduction, les prisonniers volontaires de la vie qui est un théâtre d'ombres, un manège, une ronde de simulacres. Faire tomber le masque n'intéresse pas Max Ophuls parce que derrière le masque il n'y a rien. Le masque est la vérité cachée du masque, vérité circulaire comme une ronde, un manège. Quand le masque tombe, la vie n'est pas plus véridique, elle est seulement plus lourde, c'est la vie qui tombe, qui s'arrête comme une toupie. Lettre d'une inconnue est l'histoire d'un homme qui a vécu sa vie comme un rêve et d'une femme dont la mort lui signifie que le rêve est fini. Quand un homme jouit du manège de la vie avec une inconstance qui est aussi la plus grande inconscience, une femme lui rappelle que la vie est tragique. Voilà ce qui reste troublant ici, et à jamais saisissant : un homme a de l'avance sur une femme avant de découvrir qu'elle aura le dernier mot sur sa vie, celui de la mort.
Les 4 policiers (Álex García, Hovik Keuchkerian, Patrick Criado, Roberto Álamo) dans Antidisturbios
Critique

« Antidisturbios » de Rodrigo Sorogoyen et Isabel Peña : Le silence des bourreaux

30 mars 2022
Antidisturbios est une mini-série qui devrait être regardée en mode split screen, par écran interposé, comparativement au documentaire de David Dufresne, Un pays qui se tient sage, sorti sur les écrans en 2020, la même année que la série. Un film documentaire, une série de fiction partageant un intérêt commun pour la question/la gestion des violences policières, l’époque aidant, mais en une approche radicalement différente : quand le documentaire de David Dufresne donne le sentiment de tenir les coupables de cette violence (pour le dire massivement, une police qui ne serait plus républicaine mais gardienne des seules valeurs de la bourgeoisie), la circonscrivant l’enfermant dans sa caméra-vérité mais l’appauvrissant ce faisant, cette violence, au contraire, dans la mini-série, ne cessant jamais de circuler ni de s’échanger entre les protagonistes, effacerait le crime comme la possibilité d’enquêter, le monde entier, l’enquêteur lui-même, le spectateur, tous responsables d’une violence dont la bavure policière ne serait que l’extrême pointe.
Hélène (Vicky Krieps) et Fernand (Vincent Lacoste) marchent dans la rue dans De nos frères blessés
Critique

« De nos frères blessés » de Hélier Cisterne : Celui qui n'a pas trahi, celui-là a été trahi

26 mars 2022
La rengaine entonnée par De nos frères blessés est sur-entendue : la grande histoire par le petit bout de la lorgnette, les faits à hauteur de l'humain, l'affaire des personnes plutôt que celle des forces impersonnelles. Destituer les majuscules de l'histoire au nom des petites généricités de l'intimité reste une opération consensuelle, favorable à toutes les réductions, toutes les trahisons. Entonner la rengaine du petit bout de la lorgnette comme s'y prête Hélier Cisterne, c'est entamer les paroles d'une chanson connue, celle des amours plus transparentes que les engagements politiques. C'est aussi déclamer à la cantonade qu'il y a des justes qui le sont moins pour des idées que par vertu. C'est encore verser dans le gros tonneau du cinéma français la vie de Fernand Iveton, vie d'exception et d'exemplarité tristement passée au laminoir de rassembleuses banalités.
L'affiche de Des mots qui restent
Rayon vert

« Des mots qui restent » de Nurith Aviv : La condition brisée des langues

19 mars 2022
De film en film, Nurith Aviv ne cesse pas de tourner dans les mêmes questions autour de ce qui fait une langue, en atteste son dernier moyen-métrage Des mots qui restent. Un choix qui pourrait apparaître monomaniaque, y compris dans son dispositif filmique, composé le plus souvent à partir d’entretiens en plans fixes, mais qui par sa rectitude diffracte au contraire le champ des possibles, en montrant combien la relation (à l’autre, aux images, aux langues, aux récits) est au cœur de son sujet comme de sa mise en scène.
Timothy Treadwell près d'un ours dans Grizzly Man
Rayon vert

« Grizzly Man » de Werner Herzog : Toucher la distance entre caresse et griffe

16 mars 2022
Grizzly Man de Werner Herzog raconte le rêve de Timothy Treadwell d'abolir les différentes frontières qui séparent l'homme de l'animal. Treadwell ne cesse de travailler à réduire cette distance, qui s’incarne de façon très singulière dans la question du toucher. Parvenir à toucher, voire caresser la peau d’un grizzli sauvage devient sa quête ultime, la manière d’abolir enfin toutes ces frontières.
Les ouvriers dans Ce vieux rêve qui bouge
Rayon vert

« Ce vieux rêve qui bouge » d’Alain Guiraudie : Extension du domaine politique de la lutte

12 mars 2022
Alain Guiraudie, dans Ce vieux rêve qui bouge (2001), au tournant des années 2000, juste avant son premier long-métrage, filme un monde décrépit : un univers en ruine, sur fond de crise ouvrière, cette micro-société des Trente inglorieuses (Jacques Rancière). Monde de la ruine, monde de la crise, Alain Guiraudie viendrait-il gonfler le « ventre de la bête immonde » de tous les discours de l’époque sur la fin des temps ? Au contraire, chez le cinéaste, le monde de la ruine est celui d’une possible renaissance. Un film qui, par sa durée atypique, 50 minutes, comme par sa forme même, délivre la profondeur de champ de sa pensée politique.
Léo (Damien Bonnard) navigue sur la rivière dans Rester Vertical
Rayon vert

« Rester vertical » d'Alain Guiraudie : L'heure du loup

7 mars 2022
Rester vertical a l'ambition grande et ondoyante, celle de faire poindre ce qu'il en est du désir quand il est partout, à tous les tournants. Le désir d'Alain Guiraudie, un cinéaste itinérant qui s'interroge sur la société dans laquelle il vit et où le désir déterritorialise à tout va, mais sans orientation ni destination. Celui de son personnage qui lui ressemble aussi, ce scénariste qui a la bougeotte en comprenant qu'il est un déplacé, fondamentalement. Le déplacé gêne comme on parlerait d'un propos déplacé. La gêne occasionnée résulte alors de l'exil intérieur de l'homme quelconque ayant pour double inavoué le paria, sa hantise. Lui qui nomadise est un autre homme aux loups qui tente de se tenir debout devant la meute parce que la verticalité est le dernier rempart face aux hantises qui montent, qui montent, déclassement et exclusion.
Franck (Pierre Deladonchamps) et Michel (Christophe Paou) font l'amour dans L'Inconnu du lac
Rayon vert

« L’Inconnu du lac » d'Alain Guiraudie : Rayons d'X

7 mars 2022
Un film frontal et oblique serait-il paradoxal ou bien aporétique ? On peut déjà avancer qu'un paradoxe est, au sens premier du terme, à côté de la doxa, l'opinion commune, quand l'aporie désigne étymologiquement une absence de passage. La qualification ne serait donc pas aussi injustifiée pour L'Inconnu du lac. Le film d'Alain Guiraudie pense entre les passes du sexe et les impasses du désir qui s'écrivent sur la plage blanche d'une plage, entre le miroir opaque du lac et l'obscurité de la forêt. De face, on voit le sable strié cacher bien des biais.
Le bar dans Pas de repos pour les braves
Rayon vert

« Pas de repos pour les braves » d'Alain Guiraudie : Alain in Wonderland

7 mars 2022
Dans Pas de repos pour les braves, tout n’est que faux départs et arrivées trompeuses, redémarrages soudains et éternelles dérives, autour d’une interrogation sur les pouvoirs de poétisation et de bizarrerie que pourvoit le cinéma : comment peut-on ouvrir sur tous les possibles à partir d’un matériau – langagier, humain, topographique et générique – par définition limité ?
Armand (Ludovic Berthillot) et Curly (Hafsia Herzi) couchés dans l'herbe dans Le Roi de l'évasion
Rayon vert

« Le Roi de l'évasion » d'Alain Guiraudie : Désirs décapants

7 mars 2022
Le Roi de l'évasion d'Alain Guiraudie est un film décapant dans les deux sens du terme : d'abord parce qu'il est stimulant et original, ce qui en fait une des comédies françaises les plus marquantes de ce début de siècle ; ensuite parce que le film attaque les habitudes confortables du genre et dessape même littéralement son personnage principal qui passe une partie du film en slip à errer dans les bois. Mais avant tout, Le Roi de l'évasion est un grand film sur le désir et son évasion, c'est-à-dire sur la manière dont il peut être expérimenté.
Jennifer Jones actionne des tuyaux dans La Folle ingénue
Rayon vert

« Cluny Brown » d'Ernst Lubitsch : La jouissance à coup de marteau (à déboucher les tuyaux)

2 mars 2022
Déboucher les tuyaux, Cluny Brown aime ça, c'est plus fort qu'elle. La plomberie de l'oncle sévère n'est pas un métier dont hérite sa nièce, c'est une passion d'enfance, un jeu, une joie. Son odorat lui indique les éviers bouchés, son ouïe est plus que sensible aux grincements de la tuyauterie quand elle est obstruée. Il y va à chaque fois d'un plaisir qui va au-delà du principe de plaisir – il y va en réalité de sa jouissance, la seule question qui vaille pour Ernst Lubitsch.
Yû Aoi dans Les Amants Sacrifiés
Rayon vert

« Les Amants sacrifiés » de Kiyoshi Kurosawa : Le virus du soupçon

21 février 2022
Les Amants sacrifiés raconte l'histoire d'une illusion amoureuse ayant pour fond les terrifiants secrets militaires du Japon prêt à se jeter dans la Seconde Guerre mondiale. Une histoire de contamination, de virus et de trahison, donc. Une histoire transversale de la peste, aussi, quand elle relie la guerre bactériologique au soupçon nourri envers l'aimé qui a commencé à ne plus ressembler à celui qu'il a été. Une histoire de cinéma, encore, qui raconte comment la reconstitution historique tient du combo entre fantastique et épouvante quand il a pour foyer l'humanité destructible. Une histoire culturelle, enfin, celle du virus se prolongeant en une infection idéologique quand l'individualisme a pour virulence germinative des amours cyniques, des passions toxiques et des désirs apocalyptiques.
Ghostface se met en scène dans Scream
Esthétique

« Scream » : Mises à mort et mise en scène

18 février 2022
Saga d’horreur « méta » par excellence, celle qui a pratiquement créé le sous-genre, Scream contient en elle-même, et dans chacun de ses épisodes, son propre commentaire. Mais quand les films, par l’intermédiaire de leurs tueurs successifs et de la figure de « Ghostface » semblent disserter à l’envie sur le film de fantômes, la tragédie familiale et, surtout, sur le concept de « mise en scène », ils deviennent des objets d’étude passionnants, malléables et peut-être inépuisables, à côté desquels il serait idiot de passer sans s’y attarder. D’autant plus que chaque nouvel opus, depuis la fin de la trilogie initiale, semble venir apporter un « update » des précédents, afin de mettre à jour la réflexion, un peu comme les rééditions successives d’un ouvrage de référence sur le genre. Dans Scream 5, le dernier en date, le commentaire porte sur la « nouvelle horreur » et les « film fans », et la mise en abyme de la mise en scène ouvre encore sur de nouvelles perspectives d’analyse et d’interprétation, parfois vertigineuses.
L'affiche des Magritte du Cinéma
Chronique

Les Magritte du Cinéma 2022 : Faux raccords

13 février 2022
Crise sanitaire oblige, la onzième cérémonie des Magritte du Cinéma avait pour nouveauté un dispositif alternant une scène avec ses gradins et ses coulisses. Au programme : des faux raccords hilarants, un timing bien trop strict, des textes qui tombent à plat et des séquences tire-larmes dignes d'un télé-crochet. Mais que pouvions-nous attendre d'autre de la télévision dans un pareil contexte, même adapté ?
Stéphane Vilner (Pio Marmaï) dans Enquête sur un scandale d'État
Rayon vert

« Enquête sur un scandale d'État » de Thierry de Peretti : L'indic à distance

12 février 2022
Enquête sur un scandale d'État est le meilleur film français depuis des lustres. Un grand film sur l'État de droit comme rapport social qui, à la fois, se voit (dans des gestus et des habitus, des manières d'être et des mises en scène) et ne se voit pas (c'est le hors-champ, celui du pouvoir qui trace les limites de notre morale civique en bornant notre volonté de savoir). Un grand film parlant, aussi, quand la parole de vérité a pour risque le mensonge et pour noyau le secret, en permettant de distinguer la duplicité des uns (c'est leur machiavélisme, celui d'intérêts savamment cachés) de l'opacité des autres (c'est leur énigme existentielle, celui d'un désir inaccessible). Un grand film sur le semblant, enfin. Autrement dit, un grand film de cinéma sur le cinéma, ses scènes et ses acteurs, qui est après tout un dossier comme un autre.
Jan Bucquoy (Wim Willaert) et sa fille (Alice Dutoit) dans La Dernière tentation des Belges
Esthétique

« La Dernière tentation des Belges » : Film-résurrection de Jan Bucquoy

10 février 2022
Auteur depuis plus de trente ans de films « anarchistes » et « anarchiques », dans lesquels se côtoient des références à gogo (Debord, Godard, …), goût de la provocation et zones floues entre réalité et fiction, Jan Bucquoy ressuscite son cinéma après plus de douze ans d’absence, et ressuscite également par la fiction sa fille Marie, avec laquelle son double fictionnel tient un dialogue dans La Dernière tentation des Belges. Il prolonge ainsi un geste qu’il avait esquissé dans un autre film il y a déjà vingt-deux ans. Livrant ici son film le moins « provoc » et le plus sentimental, Jan Bucquoy accompli son rêve de fondre en un bloc sa vie et son art.
Young-ho (Shin Seokho) ressort de la baignade à la fin d'Introduction
Rayon vert

« Introduction » de Hong Sang-soo : Des vertus curatives du rêve éthylique

7 février 2022
Divisé en trois parties, en trois moments, en trois endroits et en trois étreintes, Introduction réserve une épiphanie de taille pour son personnage principal à la fin de sa troisième partie. Comme dans In Front of Your Face, le film avec lequel il forme une sorte de diptyque « rêvé », Introduction donne une importance particulière à la scène alcoolisée archétypale du cinéma de Hong Sang-soo, et lie celle-ci à la figure du rêve – autre récurrence du cinéaste – tout en conférant à l’une comme à l’autre des vertus curatives.
Sangok (Hye-Young Lee) avec sa sœur dans In Front of Your Face
Rayon vert

« Juste sous vos yeux » de Hong Sang-soo : Alcool, élixir de vérité rêvée

7 février 2022
Formant une sorte de diptyque avec Introduction, Juste sous vos yeux met en évidence le rôle de l’alcool comme déclencheur narratif et comme révélateur de secrets dans le cinéma de Hong Sang-soo. Il établit également un lien entre la figure de l’alcool et celle du rêve, l’un étant ici la condition de l’autre, idée que développe et pousse encore plus loin Introduction. Donnant l’impression d’une boucle temporelle faisant du surplace, Juste sous vos yeux révèle en réalité beaucoup de secrets, tout en en gardant quelques autres bien cachés.
Colin Farrell et Jamie Foxx dans la nuit argentée de Miami Vice
Esthétique

« Michael Mann : Mirages du contemporain » de Jean-Baptiste Thoret : Leurre de la critique

2 février 2022
Le dernier livre en date de Jean-Baptiste Thoret, Mirages du contemporain, sur le cinéaste Michael Mann, a été reçu par la critique à hauteur de l’attente qu’il avait sans doute suscité, salué unanimement comme un grand livre. Une réception critique, et sous réserve d’inventaire, sous forme d’unanimité des vivats qui a donné le sentiment d’un discours qui ne se résolvait pas à d’autre horloge que celle de Jean-Baptiste Thoret. Rien de plus normal à propos d’un cinéaste qui se serait toujours efforcé d’être à l’heure ? Une réception critique qui parlerait plutôt dans « la » bouche de Jean-Baptiste Thoret, son haleine y faisant l’aller/retour sans rien déranger dans l’air environnant. En effet, jamais l’ouvrage n’a, semble-t-il, fait l’objet d’une discussion au sens latin du terme, discutare, secouer, sauf à l’acclamer, ce qui pose deux problèmes : l’un d’ordre général, celui de l’exercice critique transmué en simple journalisme culturel, cette paresse du journalisme, l’autre, plus particulier, sur la lecture faite par Jean-Baptiste Thoret de l’œuvre du cinéaste à partir de certaines thèses philosophico-politico-économiques classiques, du « capitalisme tardif » d’Ernest Mandel à celle d'Henry David Thoreau et son concept de désobéissance civile, ce qu’il s’agira précisément de reconsidérer en proposant une lecture alternative de certains films du réalisateur, soit à partir des mêmes thèmes que ceux de Jean-Baptiste Thoret, soit à partir de thèmes différents.
Bradley Cooper vend de l'illusion dans Nightmare Alley
Rayon vert

« Nightmare Alley » de Guillermo del Toro : La Malédiction du marchand d’illusions

27 janvier 2022
S’il sera peut-être jugé trop long, imparfait ou mal équilibré par certains, Nightmare Alley est probablement le film le plus personnel de Guillermo del Toro. Le cinéaste y sort littéralement de sa zone de confort, de sa « foire aux monstres », pour finalement mettre en scène ce qui semble être une véritable hantise lui étant propre, un cauchemar éveillé sur sa condition d’artiste et sa crainte d’être dépassé ou englouti par ses propres créations. Dans ce film bicéphale, schizophrène, Guillermo del Toro va jusqu’à refuser d’embrasser visuellement son objet principal, à savoir l’illusion, par peur sans doute de se perdre dans celle-ci, de s’illusionner soi-même ou d’illusionner son spectateur.
Benedict Cumberbatch sur la plaine dans The Power of the Dog
Critique

« The Power of the Dog » de Jane Campion : Que la bête meure et l'homme aussi

21 janvier 2022
1925, le western a atteint son crépuscule, son âge d'or derrière lui. Pourtant ses acteurs rêvent encore de jouer les prolongations même si celles-ci continuent d'exercer leurs mirages à l'encontre de leur désir le plus profond. Une affaire de rayonnement fossile, d'hystérésis. The Power of the Dog est l'histoire d'une révérence, celle qu'il faut tirer à l'adresse du souverain qui intimement sait qu'il est le roi pêcheur d'un royaume de terres vaines. La révérence s'en double cependant d'une autre faite à une conception du cinéma confinée, les simplismes de la thèse moulés dans une manière des plus rigidifiées. Tanner le cuir des clichés, qu'ils soient d'aujourd'hui ou du siècle dernier, est une opération risquée jusqu'au cynisme valorisant l'élimination des retardataires d'un patriarcat en sursis.
Adam Sandler montre un bijou dans Uncut Gems
Critique

« Uncut Gems » de Benny et Joshua Safdie : Le déclin du rêve américain

17 janvier 2022
Après Mad Love in New York (2016) et Good Time (2017), avec lequel, pour ce dernier, les frères Safdie ont obtenu une reconnaissance internationale, le binôme est revenu à la réalisation avec Uncut Gems en 2020. Film attendu, dès lors, le plus abouti, sans doute, avec une star de la comédie, Adam Sandler, les frères Safdie y reprennent pour décor macroscopique New-York la déglinguée comme personnage de premier plan imprimant son rythme aux personnages comme sa loi, New York la déglinguée, avec comme décor microscopique une bijouterie au sein de laquelle les destins se font et se défont sur fond de paris et prêts sur gages afin que son propriétaire (Adam Sandler) reste à flot comme en vie. Jeux de (mal-)chance comme de hasard auxquels s’adonne le propriétaire des lieux, dont l’existence ressemble au barillet plein d’une roulette russe, pistolet en main tenu par Adam Sandler sur la tête du rêve américain.
Alana Haim et Cooper Hoffman dans leur voiture dans Licorice Pizza
Rayon vert

« Licorice Pizza » de Paul Thomas Anderson : Toute affaire cessante, l’amour à contre-courant

14 janvier 2022
Paul Thomas Anderson est un cinéaste de la séduction pour autant qu’il peut en compliquer les manifestations. La séduction et ses complications sont sa grande obsession en l’autorisant à la subtilité consistant à subtiliser ses effets de séduction les mieux maîtrisés au profit d’expressions plus subtiles, vices inhérents et fils cachés des secrets. Licorice Pizza a le génie de mobiliser tous les moyens disponibles pour donner la sensation d’avoir ressuscité l’esprit d’une époque – les seventies – mais à rebrousse-poil de toute nostalgie. Le luxe est une dépense pour rien sinon pour la beauté du geste, la célébration de tous les présents, 1973 et 2021 qui regarde dans le rétroviseur de la jeunesse d’hier en reconnaissant le temps du début de la fin. La séduction est un luxe invitant au secret comme au défi. Ce mystère est la passion des personnages de Paul Thomas Anderson qui s’y adonnent malgré un monde préférant la séduction dans sa version marchande. La débandade d’une société qui a confondu la poursuite du bonheur avec la jouissance individuelle a déjà commencé. L’amour est là pourtant qui promet moins l’enflure des organes qu’un soulèvement de l’être tout entier. La vie quotidienne est la série des affaires courantes ; à contre-courant, toute affaire cessante, l’amour fait courir, diagonales et zébrures, syncopes et lignes brisées – des flèches toujours tirées par Cupidon.
Samba (Stéphane Bak) et Lara (Alice Da Luz Gomes) dans les rues de Bamako dans Twist à Bamako
Critique

« Twist à Bamako » de Robert Guédiguian : Mali qui lui en a pris

11 janvier 2022
Il y a un drame à renvoyer dos à dos socialisme d'hier et islamisme d'aujourd'hui au nom des vieux airs nourrissant la nostalgie, autre colonialisme mais celui-là est culturel, cela ne compterait pas. Robert Guédiguian est pour sa part confiant qu'avec Marx liquidé resterait cependant l'essentiel, l'Amérique des consommations de notre jeunesse, twist again. Voilà ce que raconte Twist à Bamako qui se conclut par un autre twist, celui d'un réalisateur obstiné à faire au cinéma la nique à ses propres idéaux. Le twist tue quand il tient du désaveu, celui d'un matérialisme de pure façade ajointé à un didactisme sans politique. Robert Guédiguian rejoint ainsi Ken Loach et Nanni Moretti dans la triste série des réalisateurs dont les amertumes et déplorations font durer plus que de raison l'agonie de la social-démocratie.
Chérif et Héléna chantent au karaoké du camping dans dans À l'abordage
Rayon vert

Épiphanies 2021 : Tentative de ne pas faire un Top Cinéma Annuel

6 janvier 2022
Les épiphanies sont pour nous autant d'occasions de ne pas faire de top cinéma 2021 : ni hiérarchie, ni jugement de goût, rien que le passage d'affects quelque part entre les écrans de cinéma et les pensées et les corps des spectateurs.
William Tell (Oscar Isaac) joue au poker dans The Card Counter
Rayon vert

« The Card Counter » de Paul Schrader : La main, la donne

5 janvier 2022
Pour Paul Schrader un seul scénario lui tient à cœur, celui du héros fautif dont l’affliction a pour remède le pardon qui pavera sa rédemption. L’obsessionnel est un avatar de Sisyphe dont le mythe a inspiré Albert Camus qui demandait de l’imaginer heureux. Si la faute est la condition de la damnation, elle l’est aussi pour sa libération qui est un bonheur. Les plus beaux films de Paul Schrader sont ceux qui construisent à destination des fautifs et autres damnés de la vie la possibilité du bonheur. Avec The Card Counter, Paul Schrader est sensible à ce qui se joue dans les mains et se tient au bout des doigts. La main a vieilli mais elle s’ouvre désormais à une nouvelle donne, un jeu qui aère des récits souvent comprimés dans les apories du puritanisme et ses transgressions inavouées. La dextérité de l’expert en poker peut alors accueillir la grâce d’un doigté, le toucher qui a besoin d’une vitre, cette membrane fine qui conserve la distance en faisant image, pour rapprocher les mains et les retenir de faire du mal.
Rayon vert

« J'étais à la maison, mais... » d'Angela Schanelec : Vertiges de la feintise

2 janvier 2022
Avec J'étais à la maison, mais..., Angela Schanelec signe un film choral éclaté dans lequel elle prolonge ce qu’elle avait impulsé dans son précédent long-métrage : le récit creuse une ligne somnambule dans laquelle il se perd, la caméra s’attardant sur ces moments de décrochage(s), difficilement nommables, qui viennent trouer le quotidien, la vie citadine, et qui les rendent étrangers à eux-mêmes.
Sylvester Stallone et Dolph Lundgren face à face dans Rocky vs. Drago
Esthétique

« Rocky IV : Rocky vs Drago » de Sylvester Stallone : Revoir l’Amérique

31 décembre 2021
Pour les 35 ans de Rocky IV (1985), Sylvester Stallone, acteur-réalisateur, avait décidé du remontage du film, avec l’idée sous-jacente selon laquelle chacun de ces films devrait être le reflet de sa carrière : Over The Top, au sommet, en 1985, Rocky IV montrait un acteur dans toute son outrance, au faîte de sa gloire, quand Rocky vs Drago, la version remontée (2021), ferait entrer le poids lourd en période de vache maigre, pleine récession/totale dépression, un taux de change hormonal à la baisse, un Rocky frugal version décompression. Question : Rocky IV remonté serait-il un Rocky IV démonté ? Notamment, cette version remaniée, plus intimiste, moins polarisante, ne transmuerait-elle pas Rocky en figure moins populaire, lavant son sel de son gros, Rocky qui avait pourtant été érigé en héros de la classe ouvrière (David Da Silva), l’occasion de repenser dans le même temps le rapport de la figure de Rocky à l’Amérique comme au politique ?
Tony (Ansel Elgort) et Maria (Rachel Zegler) se rencontrent au bal dans West Side Story
Critique

« West Side Story » de Steven Spielberg : Consensuel, colossal

27 décembre 2021
West Side Story : l'entreprise interroge mais on ne s'étonne pas longtemps que Steven Spielberg en ait initié le remake, lui qui incarne la jonction entre la fin de l'âge classique hollywoodien et le devenir-disneyien de l'industrie du divertissement. L'opération de cinéphilie est alourdie par les manières publicitaires de son artificier qui croit bon d'en rajouter, toujours plus, toujours trop, sur l'appariement parfois ballot des nouvelles conventions sociétales. Si la version de 2021 gagne en lucidité sur un processus de gentrification relégué dans le hors-champ de la version de 1961, les ruines urbaines abritent les mêmes schémas spielbergiens, adolescents refusant de grandir dans un monde post-apocalyptique, qui disent la vérité d'une culture saturée quand elle n'a pas d'autre objet qu'elle-même.
Le couple sur sa terrasse dans 143 rue du désert
Rayon vert

« 143 rue du désert » d’Hassen Ferhani : La tôlière du désert

20 décembre 2021
143 rue du désert est le dernier film d’Hassen Ferhani. Un film au titre prodigieux : 143 rue du désert... Un titre non pas tant oxymorique qu’oxymétrique, ouvert sur l’immensité de sa question, qui serait celle d’un enfant : 143 est-il un nombre possible dans le désert, quand bien même les Arabes auraient inventé ce qui en fait les chiffres ? Existe-t-il simplement des rues dans le désert ? Et, si tel est le cas, où mènent-elles ? Au 143 ? Mais où se trouve le 142, dès lors, où rencontrer le 144 ? Du côté gauche, du côté droit de la rue ? Nulle part. Car sur cette rue, n’existe qu’un seul numéro. Le 143. Il faut alors s’y arrêter. Nul ne peut faire autrement que d’y être amené, comme passent chez Malika, dans le désert, tous ceux qui empruntent cette route à l’allure infinie, qui ne cesse pas simplement d’interroger l’Algérie mais un pays dont les dimensions repoussent les questions de chacun aux confins.
Bill Murray, Dan Aykroyd, Harold Ramis et Ernie Hudson luttent contre Gozer dans SOS Fantomes
Critique

« SOS Fantômes » : Hantologie fascistoïde

15 décembre 2021
Existerait-il des germes fascistoïdes à la base de la saga SOS Fantômes ? Derrière la comédie et le fun, analyse d'une logistique de la mort et de la neutralisation de l'autre quand celle-ci n'a pas pour but de sauver le monde.
Gilles Lellouche en pleine intervention en banlieue dans BAC Nord
Critique

« BAC Nord » de Cédric Jimenez : L’excrémenteur

10 décembre 2021
BAC Nord a-t-il un point de vue sur « la banlieue », celle des quartiers nord de Marseille ? De droite, répond une partie des commentateurs dans un geste qui se voudrait critico-salvateur. Plutôt, s’il fait à droite, et pas à côté, c’est pour lâcher sa grosse commission, comme le chien d’Antoine, dans le film, ferait sur le trottoir d’un Sud que Nino Ferrer ne reconnaîtrait même plus. BAC Nord laisse ainsi sa marchandise, des récréments-pas-que-canins versus la drogue verte olive des trafiquants. Il faudrait donc en remonter jusqu’au côlon du film pour s’apercevoir que ce qu’il cancérise de son propos n’est pas simplement « la banlieue » mais d’abord et avant tout son propre discours, comme la police crapuleuse qu’il souhaitait pourtant réhabiliter ardemment. Ou comment à vouloir rehausser ses principes comme lui refaire une beauté, faire du visage de la police un agrément, Cédric Jimenez se confond en excréments.
Des migrants regardent leur maison bruler dans la jungle de Calais dans L’Héroïque lande, la frontière brûle
Esthétique

« L’Héroïque lande, la frontière brûle » d’Élisabeth Perceval et Nicolas Klotz : Le nouveau monde est une jungle

4 décembre 2021
Surgie des cendres du Centre de Sangatte en 2002, la jungle est d’abord un monstre d’État produit d’une série de dispositions juridiques adoptées entre la France et le Royaume-Uni. C’est aussi un mot de passe adopté par tous les migrants exilés, les demandeurs d’asile et les réfugiés ayant élu un mot à la fois pashto et persan (jangal) pour apparenter ce lieu de vie à une forêt recoupant en effet les bois situés à proximité du port de Calais. La jungle est le nom commun d’une impropriété générique, le dehors qui tient autant de la zone de non-droit que fabrique le droit que de l’interzone où l’humanité rejoue à chaque seconde ses origines en bricolant de nouveaux usages du monde. L’Héroïque lande raconte l’épopée de personne, pop épopée scandée de ses cantiques transatlantiques et n’importe qui pourra s’y reconnaître en y reconnaissant le chant impersonnel de l’en-commun dont la vérité dit ceci : qui est ici est d’ici.
La jungle de Calais dans Fugitif où cours-tu ?
Rayon vert

« Fugitif où cours-tu ? » d’Élisabeth Perceval et Nicolas Klotz : Fugue de vie

4 décembre 2021
Le temps a passé depuis les évacuations de mars et octobre 2016 mais l’événement insiste dans une persistance rétinienne qui se prolonge en diplopie. Voir double, dans le poème épique du contemporain en train de se faire et se défaire avec L’Héroïque lande et dans l’élégie mélancolique de l’après-coup qu’est Fugitif où cours-tu ?, c’est marquer l’écart en remarquant sa signature parallactique. On vérifiera qu’avec la parallaxe la différence relève moins d’une relation entre les choses que des choses mêmes, jamais identiques à elles-mêmes. La jungle est le signifiant même de cette division politique, le nom qui dit en même temps la brutalisation étatique des conditions d’existence imposées aux plus faibles et la forêt sauvage où les survivants marronnent en bricolant les formes-de-vie qui réinventent la vraie vie.
Tilda Swinton dans Memoria
Critique

« Memoria » d’Apichatpong Weerasethakul : Un bruit qui rend fou

30 novembre 2021
Memoria est le film du bruit qui rend fou parce qu'il est celui d'un cri étouffé, le cri réprimé de l'exilé dont la tête explose, le trou dans la tête par où manque le pays natal qui fuit partout. Memoria c'est malheureusement aussi le trou mais sans la trouée, le bang qui ouvre en fracassant avant de s'évanouir dans les murmures de tropes et réflexes ressassés, la dérive téléguidée qui n'excède aucune des conventions d'un cinéaste replié sur ses idiosyncrasies. Memoria raconte l'histoire d'un échec mais celui-ci s'assume comme tel, l'échec d'une incapacité à s'inscrire dans un territoire particulier et d'une préférence finale pour les étoiles.
Une scène de fête dans A propos de Nice
Esthétique

L'atlante Jean Vigo

29 novembre 2021
Quatre films, deux courts, un moyen, un long-métrage : un archipel. Partout l'eau y ruisselle, piscine, fleuve et mers. Partout le mouvement abonde, dans les corps et entre eux, dans les images et dans leurs intervalles, partout des machines en surrégime, tout un dévergondage pour une écume poétique dont la mousse déborde en abordant les rivages du sonore. Pourtant l'archipel a pris l'eau en s'apparentant longtemps à l'Atlantide, de la censure de Zéro de conduite jusqu'à l'après-guerre à la mutilation de L'Atalante dont l'intégrité n'a été retrouvée qu'après plusieurs décennies. En cinq ans, l'œuvre météorique de Jean Vigo mort à 29 ans récapitule l'immense génie du cinéma muet avec l'enfance balbutiante du cinéma parlant.