Une éclipse solaire, c’est comme un doigt dans l’œil. Ce qui s’impose dans le ciel dégagé de Rome, c’est le trou noir qui absorbe les métaphores aveuglantes. Si, soudainement, certains chiens se mettent à aboyer, alertés par la portée forcément métaphorique d’un phénomène astronomique, c’est pour crier que la métaphore, justement, ne saurait les éblouir. La cécité c’est alors pour les autres, les amateurs désargentés de Dario Argento qui s’échineraient à voir dans Lunettes noires le retour gagnant du maître du giallo après une absence des écrans longue de dix ans. L’éclipse solaire est cependant un doigt dans l’œil si l’on ne voit pas que s’y joue un certain régime de l’assombrissement qui, par des voies tout à fait spéciales et typiques du baroquisme argentien, conduit à la douceur, c’est-à-dire à ce toucher qui se défie de pénétrer. Lunettes noires est un film mineur, il n’y a pas à en douter. Mais le petit giallo de série comme on n’en produit plus est une touchante réussite pour un cinéaste qui, âgé de plus de 80 ans, revient de loin en sachant que ce retour n’induira jamais la répétition des grands éclats aveuglants d’hier. C’est que l’assombrissement consiste en un adoucissement des manières. L’enténébrement a pour ponctuation finale de percer les mystères salvateurs de l’affectivité. D’où que le film soit une variation sur le mythe de Diane chasseresse et d’Actéon dévoré par ses chiens. Ilenia Pastorelli qui joue Diana n’est pas une grande actrice, elle émeut pourtant parce que la dégradation la menace en vrai. Diana est belle parce que sa beauté chirurgicale est moins malmenée par le film que sa forme l’adoucit en la sous-exposant. Elle l’est encore en ayant pour camarade de cécité la chienne qui la protège de la chiennerie des féminités tarifées.