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Toutes les publications

Stefan Gota et Liyo Gong dans la forêt dans Here
Rayon vert

« Here » de Bas Devos : Dans la soupe, une luciole

6 février 2024
Here de Bas Devos nous plonge dans l'immanence de l'ordinaire en offrant une expérience en pointillé de l'état de félicité que l'on peut percevoir à certains moments de notre vie et qui réside dans le présent parfait qui n'a d'autre fin que d'exister.
Le jardin de la maison à coté du camp de la mort de Auschwitz dans The Zone of Interest
Esthétique

« The Zone of Interest » de Jonathan Glazer : La petite maison dans la prairie aux bouleaux

31 janvier 2024
On ne sort du noir qu’après avoir replongé dans son miroir. Alors ce n’est plus Auschwitz-Birkenau que nous regardons par les bords d’un hors-champ saturé de ce que nous en savons, c’est le plus grand complexe concentrationnaire et génocidaire nazi qui nous scrute depuis une profondeur de champ qui a cessé depuis longtemps d’être innocente. La perspective est un viseur et le spectateur en est la cible. L’ordinaire administratif et domestique est un autre cercle de l’enfer qui a fait l’économie des immunités symboliques du déni. Eux savaient, nous savons et notre savoir est en berne. Reste le miel des cendres que The Zone of Interest cultive avec une sophistication à la limite qui interroge avant de convaincre du pire. L’inhumain est dans notre dos comme devant nous. Le sol carrelé d’un monument qui, s’il ne tremble pas souvent, ne tient qu’à dresser un nouveau tombeau pour la modernité et la mémoire désœuvrée des souffrances niées de l’autre côté du mur, ce noir miroir qu’il nous faudra toujours passer, non seulement parce que cela nous concerne, mais encore parce que nous en sommes cernés.
Gene Kelly et Leslie Caron dansent dans Un Américain à Paris
Rayon vert

« Un Américain à Paris » de Vincente Minnelli : Paris, une capitale de rêve pour l'Amérique

29 janvier 2024
Un Américain à Paris représente à la fois l'apogée du classicisme hollywoodien et l'un des chefs-d'œuvre de la comédie musicale, un genre qui aura tout particulièrement imposé le rayonnement du cinéma étasunien à l'époque de l'après-guerre. L'apogée est un feu d'artifices dont le bouquet ne manque toutefois pas d'interroger sur la suavité des fleurs qui le composent, diffusant le parfum enivrant de l'appropriation culturelle. Après tout, Vincente Minnelli est à la manœuvre et son art, qui est immense, a toujours été obsédé par les puissances de séduction et de capture du rêve faisant des rêveurs ses meilleurs pollinisateurs.
Esthétique

« Past Lives » de Celine Song : La mécanique du cœur d'A24

24 janvier 2024
Past LivesNos vies d'avant de Celine Song, voulait à coup sûr être le chef, le grand Indien de quelque chose d'essentiel qui nous travaille, sur le sentiment amoureux, les regrets que nous avons. Mais en permanence Past Lives se tient hors de soi, pour se contester. Il devient alors le complice des puissances qu'il ne cessait prétendument de combattre – la fatalité, le caractère semi-tragique du destin de Nora et Hae Sung, séparés dans l'espace, réunis par le cœur – , quand ses choix formels, prédéterminés par un cahier des charges singuliers, l'ont définitivement labellisé A24, jusqu'à normer, raboter, poncer jusqu'à l'invisible ce qui demandait à surgir instamment : l'amour.
Les cuisiniers dans Menus-plaisirs
Rayon vert

« Menus-Plaisirs – Les Troisgros » de Frederick Wiseman : La dictée du goût

19 janvier 2024
Il en irait d’un implicite, une réclame de prestige contre une image-miroir, celle du cinéma documentaire comme art culinaire. Une pareille économie symbolique donne au contrat synallagmatique la saveur acquise des grandes gastronomies, la cuisine trois étoiles des Troisgros en vis-à-vis de celle de l’un des auteurs de documentaire parmi les mieux établis. La transaction frôle ainsi les quatre heures pour démontrer la réciprocité de ses engagements, et les limites qui lui sont aussi imparties dans les services rendus d’une commensalité indiscutée.
Priscilla Presley dans la limousine d'Elvis dans Priscilla
Critique

« Priscilla » de Sofia Coppola : Biopolitique de la jeune fille en fleur

17 janvier 2024
On pensait la logique capitaliste de réification des individus avoir atteint son point marchand avec Barbie en 2023, dont How To Have Sex de Molly Manning Walker aurait été faussement le pendant débrido-peinturlureur quand il était thatchero-conservateur. C'était compter sans Priscilla, de Sofia Coppola, en ce début 2024, dans un film sur l'emprise, la logique d'effacement de son héroïne par le King, dont la prise Kong aurait été débranchée, en prise directe avec la logique du tout marchand, pour installer depuis et par son ennui profond une guerre de tous les instants contre un machisme ambiant que le film reconduit autrement et plus puissamment.
The Card Counter de Paul Schrader
Esthétique

« Les chambres noires de Paul Schrader » de Jérôme d'Estais : Les bâtisseurs de ruines

14 janvier 2024
Dans son livre, Les chambres noires de Paul Schrader, Jérôme d'Estais a soupesé les chances de tous les personnages schraderiens de ne pas rejoindre le chaos. Leurs efforts pour tracer dans ce vent de l’existence un parcours qui ne serait pas nécessairement exemplaire pour nous faire souvenir de la foudre autant que des plombs. Pour nous dire enfin, dans un geste libre, qu'au plus profond des blessures existentielles des schraderiens, la vie intarissable, sève et sang mêlés, se trouve là par effraction, dans l’attente d’on ne sait quel éblouissement, braise hésitant à reprendre le don du feu, dans une maison d'édition, Marest éditeur, dont la ligne éditoriale, par ses choix, sa singularité, aurait découvert autant qu'elle continuerait d'entretenir le secret.
Daniel Auteuil entouré des médias dans Un Silence
Critique

« Un Silence » de Joachim Lafosse : La mort du loup

11 janvier 2024
Un Silence est le combo, le best-of du pire de Joachim Lafosse : celle d'une grande pathologie et d'un grand pervers narcissique qui, ici, renverse toute la salière dans la soupière. Retour en dyade sur le film.
Rufus dans un jardin avec une cigogne dans Chant d'hiver
Rayon vert

« Chant d'hiver » d'Otar Iosseliani : Rien (ne se perd), rien (ne se crée), tout (se transforme)

9 janvier 2024
Mieux Otar que jamais. Otar Iosseliani est le cinéaste des métamorphoses et des métempsycoses, des affairements et des circulations dont les mobiles sont l'image en mouvement d'un faux mouvement essentiel. Sa ritournelle préférée, c'est de rire des rengaines de l’Histoire, des césures superficielles qui ne rompent en rien avec un fondement d'invariants sédimenté. Le plus grand ennemi d'un poète des cyclicités, travaux, jours et saisons, un grand hédoniste doublé d'un Hésiode de notre temps, aura toujours été d'hypostasier ce qui devient en ne revenant jamais tout à fait au même. Maintenant qu’Otar est parti, les années d’hiver semblent promises à durer plus que de raison, en donnant l’illusion de s’éterniser. Pourtant, comme le clame la vieille chanson géorgienne qui aura inspiré le titre de son ultime film : « C'est l'hiver, ça va mal, les fleurs sont fanées, mais rien ne nous empêchera de chanter ».
Les deux amis au bar dans Les feuilles mortes
Rayon vert

Les Épiphanies : Tentative de ne pas faire un Top Cinéma 2023

6 janvier 2024
Les épiphanies sont pour nous autant d'occasions de ne pas faire de top cinéma 2023 : ni hiérarchie, le moins de jugement de goût possible, que le passage d'affects quelque part entre les écrans de cinéma et les pensées et les corps des spectateurs.
Mia (Garance Marillier) marche dans la rue dans Rue des dames
Rayon vert

« Rue des dames » de Hamé Bourokba et Ekoué Labitey : L'économie du coup de pression

24 décembre 2023
L’air de rien, Rue des dames dame le pion à ce qui régente aujourd’hui le grand échiquier du cinéma français. Ce film, pas toujours bien chantourné mais toujours très inspiré, instruit néanmoins ce qui est si peu raconté et documenté, à savoir l’économie grise des petits services rendus, tous ces coups de pouce qui ont pour envers des coups de pression, coups de coude et sales petits coups tordus, et les décompensations qui en représentent le solde de tout compte.
Hirayama (Kōji Yakusho) et sa nièce assis dans le parc dans Perfect days
Rayon vert

« Perfect days » de Wim Wenders : L’inconfort ontologique

23 décembre 2023
Perfect Days repose sur un mouvement en spirale plongeante qui emmène le spectateur dans les eaux troubles du monde affectif d’Hirayama, sous la surface de la béatitude, au contact de l’agitation intérieure d’une sensibilité aux prises avec le monde qui n’a pour seule ambition que d’accéder à l’apaisement.
La famille en promenade dans Still Walking
Rayon vert

« Still Walking » de Hirokazu Kore-eda : Les intermittences de la mort

20 décembre 2023
Nul ne déchiffrera jamais l'abîme de la mort. Mais dans Still Walking, Hirokazu Kore-eda parvient à glisser sa caméra dans la nervure. Pour nous faire vivre à hauteur de l'événement, parce qu' « il faut bien tenter de vivre » (Paul Valéry).
Toute l'équipe des morts en train de filmer un souvenir dans After Life
Histoires de spectateurs

« After Life » de Hirokazu Kore-eda : De la terre à l'infini

20 décembre 2023
Ce texte est une histoire de spectateur, celle d'un homme qui aurait pu devenir un ami, autour d'After Life de Hirokazu Kore-eda, qui était son film préféré. Comme dans une infinité d'autres histoires, un film se déplace dans nos vies pour lui donner du sens et déplier nos secrets.
Les enfants livrés à eux-mêmes dans l'appartement dans Nobody Knows
Rayon vert

« Nobody Knows » de Hirokazu Kore-eda : l’enfance retrouvée

20 décembre 2023
Nobody Knows assemble des scènes attendues en les dépouillant de leurs effets au point d’en faire de véritables non-événements sous-tendant paradoxalement une tragédie pourtant implacable. La douleur et la violence sont douces dans le film de Kore-eda, dont l'horizon est le silence : celui d’Akira et de Saki qui enterrent Yuki sans dire un mot, celui des adultes qui ne voient pas ou feignent de ne pas voir ce qui se déroule sous leurs yeux, mais aussi celui du spectateur sans voix face à tant de beauté et de douleur contenues.
Tous les enfants du film I Wish : Nos vœux secrets
Rayon vert

« I Wish : Nos vœux secrets » de Hirokazu Kore-eda : Rencontre d’un TGV et d’un volcan

20 décembre 2023
Avec I Wish, Kore-eda propose un voyage à vitesse variable. Pour accompagner ses jeunes enfants qui traversent l’île de Kyushu, deux figures tutélaires semblent se détacher : le volcan et le TGV. Le véritable enjeu du voyage, dévoilé secrètement à son terme, se trouverait peut-être ailleurs, dans la rencontre intérieure entre ce qui bouge et ce qui ne bouge pas.
Doona Bae dans "Air Doll" de Hirokazu Kore-eda
Rayon vert

« Air Doll » de Hirokazu Kore-eda : À bout de souffle

20 décembre 2023
Dans Air Doll, un film atypique dans sa filmographie, Hirokazu Kore-eda utilise le personnage de Nozomi, une poupée gonflable dotée d'un coeur, pour exposer une vision du monde mélancolique. Dans ce film qui souffle constamment le chaud et le froid, l'apprentissage de Nozomi sera l'occasion d'exposer l'importance des mots, mais aussi de rendre un hommage au langage du cinéma des premiers temps et de développer un rapport unique à la vie et à la mort, dans une sorte de cycle sans cesse renouvelé.
Shingo et ses parents dans Après la tempête
Rayon vert

« Après la tempête » de Hirokazu Kore-eda : L’avenir se conjugue au présent

20 décembre 2023
Dans Après la tempête, Hirokazu Kore-eda pointe comme source de questionnement majeur la perte de ses deux parents : il veut retranscrire le trouble qui l’a saisi, et les changements profonds opérés dans ce moment de bascule existentiel. En cela, le film semble être une forme de réponse très personnelle du cinéaste à la question du devenir soi pour qui se sent orphelin de tout.
Apolonia Sokol se coupant les cheveux dans Apolonia, Apolonia
Critique

« Apolonia, Apolonia » de Lea Glob : D'entre les morts

18 décembre 2023
Dans Apolonia, Apolonia, Apolonia Sokol et Lea Glob reviennent d'entre les morts. Un lien invisible, un même rapport au corps et un deuil assez semblable à porter vont les unir au fil des treize années durant lesquelles s'étend le film, qui incarne une forme de féminisme fondée sur l'affirmation et non sur le ressentiment.
Le maire (Alexis Manenti) regarde la maquette des constructions dans Bâtiment 5
Critique

« Bâtiment 5 » de Ladj Ly : Politique de l'extrême-centre

6 décembre 2023
Bâtiment 5, de Ladj Ly, exile chacune des forces contestataires qu'il mobilise dans son film face aux autorités publiques qui, toutes, outrepassent pourtant les limites de l’État de droit. Il a finalement un pouvoir d’indifférence, de transmutation soudaine. Paradoxalement, il flatte cette défection des forces subversives. Plus rien n’y ébranle l’œil. Sans retour possible, Bâtiment 5 devient alors à lui-même l'objet de sa défaite : un film homicide.
Tous les acteurs sur la plage dans Et la fête continue !
Rayon vert

« Et la fête continue ! » de Robert Guédiguian : Le chœur des insatiés

4 décembre 2023
Quand tout s'écroule, des exercices d'admiration trament, en parallèle d'une pédagogie située les décombres, la possibilité d'un peuple. Avec de nouvelles topiques qui revigorent les lieux communs, les exercices d'admiration de Robert Guédiguian sont d'adoration dédiée à celles et ceux qui vivent en ne pouvant pas faire autre chose que lutter – le chœur des « insatiés ».
Les deux actrices de Christophe Clavert dans Nuits d'été
Rayon vert

« Les nuits d'été » de Christophe Clavert : Quand les bras vous en tombent

4 décembre 2023
Un être manque au film sur le bord d'être tourné, en parallèle Paris voit fleurir sur ses murs lépreux des clés ouvrant sur d'impénétrables secrets. Les Nuits d'été de Christophe Clavert baguenaude parmi des choses sérieuses, la vertu dans la nécessité et le cinéma qui tâtonne en sachant compter sur l'amitié, voyant pousser fictions et obsessions comme des fruits ou champignons variant dans leur degré de toxicité.
Holly (Cathalina Geeraerts) réconforte la mère d'un enfant mort dans Holly.
Critique

« Holly » de Fien Troch : La marchande du temple

27 novembre 2023
Holly raconte autant une histoire religieuse que la réincarnation d'une marchande du Temple dans un imbroglio métaphysique en toc. Fien Troch veut nous faire croire que Holly possède le Holy Spirit mais ses pouvoirs s'avèreront limités et arbitraires. La sorcière, personnage pourtant riche en potentialités, est évoquée au début du film mais est vite évacuée : elle sent juste mauvais.
Nina Menkes devant l'écran dans "Brainwashed"
Esthétique

« Brainwashed » de Nina Menkes : Réflexions sur le male gaze

12 novembre 2023
Un film qui ne pense qu'en un seul sens et montre la direction, n'est pas un film, mais un ballon qui appartient au vent du tract publicitaire. Brainwashed, de Nina Menkes, sous couvert de pourfendre le « male gaze », ce regard masculin qui dépersonnifierait les femmes, produit un cinéma embué d'horizon rabougri, dont les instruments de la critique finissent par se retourner contre le film.
Barbie et Ken quittent Barbieland dans Barbie.
Esthétique

« Barbie » de Greta Gerwig : Dressé pour tuer

12 novembre 2023
Barbie, de Greta Gerwig, sous couvert de nuances les efface toutes. Seul demeure pour décor son rose absolu, qui néantise l'individu comme toute forme de vie alternative. Il propose une esthétique du lisse, qui est une politique, une esthétique de la marque, une opération de marquage, une entreprise cool de dressage.
Edward Woodward dans sa voiture dans The Appointment
Rayon vert

« The Appointment » de Lindsey C. Vickers : Le désappointement à sa pointe

8 novembre 2023
À l’image, une écolière anglaise sur le chemin du retour. Au son, le descriptif d’un rapport de police, le ton est factuel. La première coupe à travers champs et n’en reviendra pas. Le second spécule sur les hypothèses, laissant toutes les pistes ouvertes. Sandy a disparu dans un trou noir et sa bouche de feuilles et de tourbe insiste, exhalaison au cœur du taillis. C’était il y a trois ans. Trois ans plus tard, une autre apprentie violoniste, Joanne, lui emboîte le pas, à ceci près qu’elle emprunte le même sentier en marchant de l’autre côté de la béance inaugurale. The Appointment est un récit impressionnant de féerie sorcellaire, mais pur de tout pittoresque folklorique. L’envoûtement enveloppe l’irradiant secret, cette crypte qu’enclavent un père et sa fille quand l’heure est au rendez-vous professionnel (appointment) comme aux déceptions filiales (disappointment), ces catastrophes d’autant plus effroyables qu’elles sont inévitables.
L'homme masqué dans Six femmes pour l'assassin
Esthétique

Mario Bava : Les cadavres exquis de la thanatopraxie

5 novembre 2023
Achever le classicisme doit se comprendre littéralement. Tout artiste maniériste mortifie ainsi le grand legs classique afin d'expérimenter de nouvelles puissances inorganiques, dans la mêlée du mort et du vivant. Dans les années 1960, Mario Bava qui tourne alors en moyenne trois films par an montre, grâce à sa grande assurance technique, toute l'étendue de son talent de maître italien de l'horreur, à la fois héritier des anciens qu'il honore en variant les genres et les plaisirs (il tourne également des westerns, des néo-polars et des péplums) et inventeur de formes fixant quelques règles à suivre pour ses disciples à venir. Chez Mario Bava, la décomposition des formes, des choses et même des êtres libère des puissances spectrales, l'informe échappant à la capture et la maîtrise par la conscience, au point où la personnalisation de l'inerte a pour complément la dépersonnalisation des individus. Si l'on dit qu'il est un cinéaste mineur, cela signifie d'abord et avant tout qu'il est un cinéaste, un vrai maniériste qui, logé par l'industrie à l'enseigne des formes mineures et si peu considérées du bis, aura œuvré à leur en faire baver afin de les pousser dans cette zone d'inconfort où les compositions les plus ouvragées ont pour obsession une hantise, celle de la décomposition.
Barbara Hershey dans "Boxcar Bertha"
Rayon vert

« Boxcar Bertha » de Martin Scorsese : Liberté inconditionnelle

1 novembre 2023
Dans ce film de commande qu'est Boxcar Bertha, Martin Scorsese contourne un temps les velléités de violence de son producteur Roger Corman, et offre à ses personnages une trouée narrative en forme de parenthèse de liberté. Une liberté qu'il s'octroie par la même occasion.
Le tueur (Michael Fassbender) assis dans un divan avec son imperméable dans The Killer
Critique

« The Killer » de David Fincher : Le cynisme imperméable de Pop-Eye

30 octobre 2023
The Killer de David Fincher est un revenge movie banal et cynique quand il critique en filigrane le capitalisme tout en glorifiant un tueur qui ne l'est pas moins. Celui-ci, borgne (c'est l'influence de Popeye) et méticuleux (c'est l'influence de James Bond) est imperméable au monde qui l'entoure depuis le creux de son solipsisme et le confort de sa vie luxueuse qu'il cherche à maintenir à tout prix.
Qui de Jade (Louise Leroy) ou Gabriel (Olivier Rabourdin) est "L'autre Laurens" ?
Interview

« L’Autre Laurens » : Interview de Claude Schmitz

29 octobre 2023
Pour entretenir le lien avec Claude Schmitz et son cinéma, nous l'avons rencontré en juillet dernier lors de son passage au BRIFF à Bruxelles. Il nous a parlé de L'Autre Laurens, de la construction narrative complexe de ce film « trans », double enquête sur le genre et quête d'identité sous influences shakespearienne et lynchienne. Mais aussi de ce qu'implique un "changement de braquet" au niveau de la production, et de sa méthode avec les acteurs d'horizons différents, cette "alliance sauvage" qui donne toute sa singularité à son travail.
Leonardo DiCaprio et Lily Gladstone dans Killers of the Flower Moon
Critique

« Killers of the Flower Moon » de Martin Scorsese : Le confessionnal de l'Amérique

24 octobre 2023
Dans un film somme, Killers of the Flower Moon refait le portrait de l'Amérique. Ses nombreux poisons : l'argent, le libéralisme, le marché, le droit, la cupidité des individus, tous les crimes des États-Unis. Une logique de péchés que père Scorsese entend laver par un curieux acte final de contrition, non pas pour nettoyer l'Amérique de son rêve mais l'absoudre pour tout lui pardonner.
Rémi Martin dans Rémi de Bob H.B. El Khayrat et Loïk Poupinaïs
La Chambre Verte

« Rémi » de Bob H.B. El Khayrat et Loïk Poupinaïs : Vivre me tue

23 octobre 2023
À travers le portrait de Rémi Martin, un acteur phare des années 80 disparu peu à peu des écrans, Bob H.B. El Khayrat et Loïk Poupinaïs tentent de sauver un homme de son malheur. Un premier court-métrage en forme d'hommage pour dire ce qu'ils lui doivent. Non pas pour lui rendre les derniers honneurs, mais pour rappeler à chacun notre dette à l'égard de tous les égarés, acteurs de la vie hors champ, où qu'ils soient, que le cinéma à la lourde et belle tâche de transfigurer pour que jamais ils ne soient tout à fait abandonnés.
Une scène de bataille dans Gangs of New York
Esthétique

« Gangs of New York » de Martin Scorsese : La vengeance aux deux visages

17 octobre 2023
Opération au coup de poing américain. Martin Scorsese refait la gueule de l'Amérique dans Gangs of New York. La vengeance y devient fondatrice d'un ordre démocratique nouveau, jamais pour le meilleur, toujours pour le pire. La porte du paradis vouée aux gémonies.
Jonah Hill avec un crinière d'indien dans Le Loup de Wall Street
Rayon vert

« Le Loup de Wall Street » de Martin Scorsese : Sous le plus monstrueux chapiteau du monde

16 octobre 2023
Le Loup de Wall Street évoque singulièrement les spectacles du cinéma primitif projeté jadis sous les chapiteaux des fêtes foraines, quand le cinéma était un art du cirque. Les acteurs explorent les puissances expressives de leur art dans une quête de représentation quasi burlesque et même parfois monstrueuse.
Andrew Garfield emprisonné dans Silence
Esthétique

« Silence » de Martin Scorsese : La renonciation sans le renoncement, fidèlement

16 octobre 2023
Le renoncement est un martyr et sa déposition en est l'allégorie – tous les martyrs de Martin « Marty » Scorsese. La déposition devient allégorie quand « se descendre soi-même », c'est trahir au nom d'une intime fidélité, à savoir renoncer à la religion sans renoncer à la foi, ce petit secret que l'on garde par-devers soi. Le traître est celui qui sait faire la part des choses, entre la renonciation et le renoncement. Quand la religion est toujours bruyante, et hystérique quand elle se fait évangélisation, la foi invite au silence, voilà ce qu'en vérité raconte Silence.
Jésus (Willem Dafoe) portant la croix dans La Dernière Tentation du Christ
Esthétique

« La Dernière Tentation du Christ » de Martin Scorsese : Ainsi soit l’exception

16 octobre 2023
La controverse associée à La Dernière Tentation du Christ n’a d’autre intérêt que de réinscrire dans la figure de Jésus la dimension scandaleuse que la tradition et l’orthodoxie lui auront retirée. Pour les zélotes fanatiques de la Cause, le scandale revient à qui décide, assumant seul et en conscience l’indécidable d’un acte éthique, ce secret caché dans le mandat messianique. Le christianisme est à l'origine soustraction, sécession, rébellion et cela, Martin Scorsese le sait très bien, examinant les douleurs d’incarner l’exception qu’il reconnaît les siennes quand le récit le plus originaire constitue pour lui les coïncidences de l’exception et de la trahison.
Griffin Dunne et Linda Fiorentino attachée dans After Hours
Rayon vert

« After Hours » de Martin Scorsese : Ulysse perd ses mots

16 octobre 2023
L’odyssée de Paul Hackett dans After Hours peut également se vivre comme celle d’un Ulysse raté perdant petit à petit le pouvoir de son langage. Il espérait séduire une jolie fille en jouant au beau parleur, mais ses mots de dragueur vont endormir les princesses et réveiller les monstres pour l’entrainer dans une virée nocturne entre l’absurde et le cauchemardesque, au bout de laquelle il restera sans voix.
Robert De Niro avec sa crête de cheveux dans Taxi Driver
Esthétique

« Taxi Driver » de Martin Scorsese : La Vérité derrière la brume

16 octobre 2023
Si Taxi Driver demeure un film fantasmé, en partie (entièrement ?) par son personnage principal, il dépeint pourtant, avec un réalisme cru, une violence bien réelle, une violence intériorisée qui ne demande qu’à exploser. Taxi Driver est un film nimbé de brumes, une déambulation à la fois physique et spirituelle dans les bas-fonds de New York.
Le gang dans la rue dans Le Gang des bois du temple
Esthétique

« Le Gang des bois du temple » de Rabah Ameur-Zaïmeche : Po-éthique du contre-monde

7 octobre 2023
« L'amour est le miracle de la civilisation », écrit Musset. Rabah Ameur-Zaïmeche en a fait le chant de ses partisans, dans son cinéma. Une manière de penser, dans ses possibilités comme ses impasses, un autre monde que celui que nous sert la politique du grand capital comme des rapports de classe qu'il induit. Soit tenter d'ouvrir une voie, réfléchir autrement l'impossibilité d'être qui et quoi que ce soit dans un monde qui ne cesse de demander notre identité comme de nous y tenir. Notre fiche de futur dégringolé qu'il s'agirait de réinventer.
Purdey et Makenzy Lombet, dans "Il pleut dans la maison"
Critique

« Il pleut dans la maison » de Paloma Sermon-Daï : Transpercer la lumière

3 octobre 2023
Trois ans après son premier long-métrage, Petit Samedi, qui fut remarqué au FIFF, Paloma Sermon-Daï revient avec un film qui continue de creuser le lien entre la maison, le foyer et les membres de la famille qui l'occupent. Prenant le contrepied de la plupart des chroniques sociales naturalistes, genre au sein duquel il s'inscrit malgré tout, Il pleut dans la maison tente d'installer une connivence et une complicité presque humoristique entre ses personnages et ses spectateurs, tout en faisant poindre épisodiquement une violence sociale sous-jacente. Si ces trouées "négatives" dans la fausse légèreté qu'il distille lui donnent sa singularité, on se demande parfois si on ne préfère pas au fond les films qui affichent clairement leur pessimisme à ceux qui le dissimulent derrière la lumière.
Emile (Paul Kircher) dans la forêt dans Le Règne animal
Critique

« Le Règne animal » de Thomas Cailley : Science-fiction républicaine

28 septembre 2023
La phrase de René Char que répète deux fois François dans Le Règne animal apparaît inadéquate et inopérante : « Celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience ». Le film ne redessine en effet jamais les frontières de l'ordre auquel il se soumet et qui est imposé par une conception républicaine du monde ne tolérant aucun trouble de l'ordre public. Heureusement, une seule et unique scène, une scène d'amour, vaut le détour en faisant éclater les barrières imposées par le scénario.
La petite fille syrienne et son père à la frontière polonaise dans Green Border
Critique

« Green Border » d'Agnieszka Holland : La grande faucheuse humanitaire

27 septembre 2023
Green Border se rêve en grand manifeste humanitaire tout en se contentant d'exhiber les horreurs de la barbarie humaine dans une fable immersive qui ne recule devant rien. Agnieszka Holland a la tête à la fois dans la boue marécageuse (elle enfonce tout ce qu'elle peut) et aux commandes d'une moissonneuse-batteuse (elle rase et détruit tout sur son passage). Ce qui touche à l'humain est ainsi constamment réduit, recyclé et recraché en symboles transmettant lourdement un discours politique arbitraire.
Léa Drucker et Samuel Kircher couchés dans un champ dans L'Été dernier
Rayon vert

« L'Été dernier » de Catherine Breillat : Secrète alliance stellaire

22 septembre 2023
L'Été dernier est le grand film d'amour du cinéma de Catherine Breillat, et l'un des plus grands du cinéma français – de tous les temps et pour tous les temps. Et ce film arrive au soleil couchant d'une œuvre avouant scintiller encore une fois, peut-être une dernière fois, le dernier été avant la nuit définitivement tombée dont le règne est, griffé d'étoiles filantes, au rayonnement fossile. Si le désir est une levée – orior –, l'or secret des alliances peut sceller les orifices affamés. Il luit alors pour toutes les étoiles mortes qui, sertissant nos secrets, constellent la peau de nos vieillissements.
Godard, le livre d'image
La Chambre Verte

Godard, l’enfant qui n’en revient pas

17 septembre 2023
Il y a des hommages qui sont des assassinats. Que tout hommage, comme toute lecture, soit trahison, nous pouvons l’entendre. Mais quand la servitude volontaire guide la trahison, ne s’exprime plus que l’oubli actif du trahi : une liquidation totale. La plupart des capsules vidéo publiées sur Microciné à l’été 2023, en un cycle Godard posthume, nous présentent les manières par lesquelles s’opère cette liquidation totale : lecture d’une fiche Wikipédia, répétition d’un savoir d’archiviste, exhibition autosuffisante de sa propre ignorance, énumération de clichés sur Monsieur Jean-Luc en lieu et place d’une poursuite d’idées passant par le nom Godard. De quoi ne pas en revenir, de tristesse et de colère, à trouver une telle unité de ton, front commun de la liquidation, sur une chaîne Youtube qui, la chose n’est pas commune, est d’ordinaire riche du métissage de ses propositions. Mais c’était sans compter sur la proposition vidéo d'Alexia Roux et Saad Chakali, qui d’un même geste défendent la pensée qui, en ce temps-là, était arrivée sous le nom de Godard autant qu’ils laissent espérer d’autres printemps de la vie dont on ne revient pas.
Le poster de la 80ème édition de la Mostra de Venise 2023
Festival

Mostra de Venise 2023 : Tragédie des frontières dépassées

9 septembre 2023
Retour sur la 80ème édition de la Mostra de Venise qui se tenait du 30 août au 9 septembre 2023. Elle a été marquée par le terrible diptyque sur les horreurs des crises migratoires proposé par Agnieszka Holland et Matteo Garrone. Deux films qui se retrouvent au palmarès mais heureusement pas sur les plus hautes marches. D'autre part, Richard Linklater et Quentin Dupieux ont signé deux très bons films, et nous avons fait la belle découverte de Love Is a Gun de Lee Hong-chi, qui repart avec le prix du meilleur premier film.
Sandra Hüller et Samuel Theis dans Anatomie d'une chute
Critique

« Anatomie d'une chute » de Justine Triet : Du nez pour les yeux gris

25 août 2023
Tout tribunal a pour visée la dissection, tout procès a pour horizon d'anatomiser. Anatomie d'une chute s'en voudrait la démonstration, disséquant l'objet de l'accusation (une femme accusée du meurtre de son conjoint l'est pour l'échec de son couple) pour mieux en préserver le fondement (le droit n'y est jamais contesté). Si le film de procès n'intrigue pas, soumis à la rhétorique d'un match mal engagé par la défense avant d'être remporté au finish pour le plus grand malheur de la victime, qui l'aura surtout été de son ressentiment, intéresse davantage l'antique loi qui en représente la part aveugle. La loi de l'enfant malvoyant qui fait le choix d'un scénario préférant à la vérité des faits la justice des affections asymétrique, différente selon que l'on soit papa ou maman. La balance revient à l'enfant, plus mature que ses parents.
Sylvester Stallone sort du bain cryogénique dans "Demolition Man"
La Chambre Verte

« Demolition Man » : Les prophéties de Sylvester Stallone

25 août 2023
Prophétie a posteriori de la fin du film d'action et des héros bodybuildés, Demolition Man de Marco Brambilla préfigure également toute une série de changements sociétaux qu'il brocarde allègrement dans un grand melting-pot satirique, idéologiquement hétéroclite. Il place aussi sa star, un Stallone en grande forme auto-parodique, dans des situations plus inconfortables les unes que les autres, mettant à mal sa stature de "mâle" alpha, ce qui le rend d'autant plus savoureux.
José Coronado enlève ses chaussures gorgées d'eau dans Fermer les yeux
Rayon vert

« Fermer les yeux » de Victor Erice : Le roi est triste

24 août 2023
Partir pour donner au présent le sens de la fuite et de l'inachèvement, revenir pour lui confier à l'oreille celui, intempestif, de la relance. La partance en tant qu'elle appelle à la revenance, à savoir qu'il faut être sur le départ pour soutenir qu'aller et devenir, c'est toujours revenir (de) quelque part. Avec Fermer les yeux, Victor Erice revient une nouvelle fois au cinéma, enfin, mais le retour tant attendu du capitaine a des détours qui sont moins de nouvelles fugues expérimentées, qu'ils gouvernent le sens des achèvements en les menant trop bien à bon port.
Johnny Depp et Amber Heard dans la série documentaire Netflix Johnny Depp vs Amber Heard de Emma Cooper
La Chambre Verte

« Johnny Depp vs Amber Heard » : L'innocence entachée d'Edward Scissorhands

23 août 2023
Lorsqu'Amber Heard évoque Edward aux mains d'argent pour souligner l'art de la persuasion de Johnny Depp, elle est une énième fois moquée tant par de stupides internautes que par le film lui-même. C'est que celui-ci ne voit pas (ou feint de ne pas voir) que l'acteur convoque l'innocence de certains de ses rôles pour gagner le procès. C'est un des nombreux problèmes de Johnny Depp vs Amber Heard qui ne fait que remuer un tas de purin sans jamais rien montrer des « vérités qui échappent à la justice ». Mais peut-être qu'au final, le cinéma n'a pas sauvé comme prévu Johnny Depp, rattrapé par la mesquinerie de ses mensonges organisés dans ce grand théâtre filmé.
John Lloyd Cruz se fait couper les cheveux dans Quand les vagues se retirent
Interview

« Quand les vagues se retirent » : Interview de Lav Diaz

15 août 2023
Nous avons rencontré Lav Diaz à l'occasion de la sortie de Quand les vagues se retirent. Il analyse la situation politique et sociale de son pays et la place qu'occupe pour lui le cinéma : « Malgré ma lucidité sur la situation actuelle, que ce soit dans mon pays mais aussi dans le monde, en tant que cinéaste je me dois de témoigner. Tous mes films sont engagés dans ce travail de mémoire, ils forment une chronique de l’histoire des Philippins. Que mes films puissent être perçus comme un dialogue et une réflexion sur l’histoire, le passé comme le présent, de chacun de mes concitoyens. L’image est un témoin du passé et à la fois un miroir de ce que nous étions ».
Giulietta Masina et Anthony Quinn dans "La strada"
Esthétique

« La strada » de Federico Fellini : Le destin, un tour de piste, une ritournelle

13 août 2023
Le cirque est un ventre originaire avec ses doubles placentaires et le geste fellinien a saisi que l’origine ballotte dans le cahin-caha d’un présent boiteux : le barnum à chaque coin de rue, le spectacle comme seconde nature. Le cirque, non seulement le cinéma en provient mais il aurait pour vocation de montrer que la vie est une comédie, une parade foraine, un spectacle de rue. Le trait est délibérément grossier parce qu’il a l’archétypal pour visée. Gelsomina, Zampanò et Il Matto sont des archétypes, les emblèmes d’une représentation qui tient du mystère à ceci près que le mystère dont les actes racontent un procès relève moins du christianisme que d’un imaginaire païen. Il s’agit de représenter une lutte triangulaire entre tendances, une triangulation de caractères qui est un affrontement entre forces archaïques et emblématiques : l’idiotie, la folie et la bêtise. L’inscription dans le contexte italien d’alors peut déboucher sur la force générique des archétypes qui sont le combat des démons ou génies présidant au destin de chacun. La strada est le mystère de nos propres chamailleries, le cirque ambulant et brinquebalant de notre inconscient, une foire d’empoigne au risque de la foirade.