« Messiah » : Quand le Messie ne sème le trouble que dans la Foi
« Messiah », la série Netflix créée par Michael Petroni, frappe moins par son actualité géopolitique et sociétale que par son inactualité religieuse et métaphysique : le Messie ne sème vraiment le trouble que dans la Foi des personnages et du spectateur.
« Messiah », une série TV Netflix de Michael Petroni (Saison 1 - 2020)
La série Messiah, produite et diffusée par Netflix depuis le premier janvier 2020, frappe moins par son actualité que par son inactualité. Si la création de Michael Petroni est certes traversée par des problématiques géopolitiques qu'un pétard mouillé peut vite renflammer, à l'image de l'éternel conflit israélo-palestinien, elle convoque d'abord tout un univers métaphysique et religieux dont le sort est réglé depuis au moins Nietzsche et qui ne parle plus qu'aux croyants. Messiah, à travers son personnage principal — Al Massih, un prophète sorti tout droit du désert, porte ainsi la parole de Dieu. Cet embarrassant retour du religieux façonne le pacte de croyance avec le spectateur. Celui-ci repose sur la désorganisation du monde suite à l'apparition d'un Messie qui apporterait le salut à l'humanité, à savoir la confirmation qu'il y a bien quelque chose après la mort. Ou plus exactement : il existe un au-delà aux côtés de Dieu. Car c'est la parole de Dieu, celle que vénèrent toutes les religions tant dans leur ressemblance que leur différence, qu'est venu révéler Al Massih, qui de surcroît se pose en réunificateur de tous les peuples. Messiah (re)demande au spectateur d'être un croyant. C'est la grande différence avec The Leftovers (2014-2018) de Damon Lindelof et Tom Perrotta qui analyse un effondrement symbolique et la restance d'un événement. Dans la série de Michael Petroni, le surgissement de l'événement redirige au contraire les personnages vers le grand symbolisme des religions. D'où certainement le malaise pour un spectateur athée.
Néanmoins, au milieu de son enchevêtrement de récits, Messiah s'intéresse à la question du don, une question évidemment religieuse mais pas uniquement puisque ici elle conditionne la relation d'une partie des personnages au Messie. Il y a d'une part ceux qui veulent tirer quelque chose d'Al Massih. Cette mère avec son enfant malade qui se rend dans sa chambre afin qu'il la guérisse ; Felix (John Ortiz), prêtre vaniteux d'une petite ville américaine dont la paroisse a résisté à un ouragan, qui tente de trouver une place bien douillette aux côtés du Messie ou encore Rebecca, sa fille, qui toujours grâce à lui passe du jour au lendemain d'ado mal dans sa peau à influenceuse sur Instagram. Pour eux, comme pour la foule de croyants qui suit les miracles du Messie, ce dernier devient une vache à lait. Al Massih va pourtant remettre de l'ordre dans son Temple en montrant que ses actes ne dépendent pas de sa seule volonté, mais de celle de Dieu. Il ne guérira pas la fillette et quand il fera face à un chien mourant, il prendra un fusil pour l'achever. Nul ne peut prévoir et exploiter l'action divine bien que le Messie semble bel et bien être l'envoyé de Dieu au vu du déroulement de cette première saison. Messiah ouvre ici timidement une réflexion sur le don. En anthropologie et en ethnologie, le don implique un échange, quelque chose est donné en retour par le donataire. Dans la série, cette économie ne fonctionne pas. Le donateur donne sans rien attendre en retour. Cette cassure appelle un arrière-monde métaphysique : Dieu donne, sans se montrer, et c'est alors l'acte de donner, la donabilité décrite par Jean-Luc Marion(1), qui se manifeste en tant que phénomène. Pour le dire autrement, par-delà son ancrage religieux, Messiah permet de penser ce que serait l'être en tant qu'être, l'être qui se donne et que les hommes ne peuvent que subir. C'est évidemment une des grandes questions de la métaphysique. La série réussit ainsi par moments à convoquer quelque chose comme la phénoménalité du mystère de l'existence, mais avec beaucoup moins d'amplitude que The Leftovers à laquelle il ne faudrait pas trop vite la comparer.
D'autre part, il y a la seconde partie des personnages qui estiment que le Messie est un imposteur. Eva (Michelle Monaghan), officier de la CIA, doute dès le début de l'authenticité de ses actes. À chacune de ses actions elle trouve une explication rationnelle, même lorsqu'elle le voit marcher sur l'eau de ses propres yeux. Le cas d'Aviram (Tomer Sisley) est plus complexe. Il est le premier à affronter directement Al Massih qui lui parle de choses qu'il ne saurait pas connaître. La réaction d'Aviram est violente et ironique, il soupçonne comme Eva un imposteur bien (in)formé. Ces deux personnages apportent un équilibre essentiel à Messiah. Ce qui relève de la croyance métaphysique et religieuse est presque immédiatement contrebalancé par des faits matériels. Le Messie a pris un jet privé pour se rendre aux USA, il serait aidé par les russes, etc. On apprend que certains de ses miracles n'en sont en réalité pas. Lorsqu'il s'évade de prison en Israël, c'est parce que le gardien, convaincu et croyant, l'a libéré en douce. Et quand il marche sur l'eau devant le Lincoln Memorial de Washington, l'hypothèse de l'illusion est avancée avec pour origine un oncle magicien en Iran. Cette première saison se termine pourtant sur la résurrection d'Aviram et, on l'imagine, sur sa prochaine conversion dans la saison 2. Il s'annonce difficile d'entrevoir, au vu des dernières minutes de l'épisode final, autre chose pour la série qu'une redirection vers les grands dogmes symboliques et la croyance religieuse.
Une fois l’ambiguïté levée, Messiah perd presque tout son intérêt. Si elle avait été préservée, la série aurait gagnée en force narrative et en iconoclasme. Le président américain, qui n'a jamais caché sa Foi, était pourtant prêt à retirer ses troupes armées partout dans le monde à la demande du Messie avant qu'un vilain antagoniste (de ceux qui fatiguent à force d'être écrits sans nuances) ne contrarie ses plans. La critique des actions d'Israël reste toute aussi superficielle, sans doute sera-t-elle approfondie dans la saison 2 si Netflix décide de se lancer dans la satire politique (cette première saison de Messiah l'est déjà un peu en soi, il faudra voir jusqu'où ils iront), tandis que celle, plus attendue, du fanatisme religieux s'avère conventionnelle. Exit également la réflexion sur la démultiplication des images et des supports, l'essentiel consistant à enregistrer les miracles et les apparitions d'Al Massih. Enfin, les médias, bien que présents pour relayer les actions du Messie, font de la figuration alors qu'une analyse plus fine des enjeux et de leur pouvoir était possible. Rien d'étonnant à tout cela puisque ce qui aurait pu faire l'actualité de la série au niveau géopolitique, médiatique ou sociétal est relégué au second plan : le Messie ne sème vraiment le trouble que dans la Foi.
Notes