Logo du Rayon Vert Revue de cinéma en ligne
Hodaka et Hina devant le soleil dans Les Enfants du temps de Makoto Shinkai
Rayon vert

« Les Enfants du temps » de Makoto Shinkai : Une île en plus pour l'archipel oublié

Des Nouvelles du Front cinématographique
Après le succès commercial historique de « Your Name. », Makoto Shinkai poursuit l'idée romantique de l'amour comme folie : « Les Enfants du temps », entre pompe et pop, aborde une adolescence entendue comme âge cosmique, radicalité, puissance insulaire de déstabilisation.

« Les Enfants du temps », un film de Makoto Shinkai (2019)

Chez Makoto Shinkai, l'adolescence est un âge non seulement initiatique mais il est aussi cosmique et s'aimer est une folie dont les épreuves obligent à affronter le risque de la destruction du monde, rien moins qu'apocalyptique. S'aimer à la folie est ici une redondance, l'amour est toujours déjà une folie parce que la décision amoureuse engage la plus radicale des libertés, qui peut être en effet la plus asociale qui soit. L'amour au temps de l'adolescence, le monde ne s'en remet pas, même géodésiquement. C'est la profession de foi de Makoto Shinkai et ses deux derniers longs-métrages, qui sont pour le moment les seuls à avoir été distribués en France, en témoignent inégalement, Your Name. (2016) gratifié d'un succès commercial historique (l'anime a dépassé les meilleurs cartons du studio Ghibli en devenant le film d'animation japonais le plus rentable) et Les Enfants du temps (2019) sur lequel pèse forcément le poids quelque peu écrasant de son prestigieux prédécesseur.

Makoto Shinkai est un artiste pop et romantique, ses anime ont le goût du grandiose aux limites de la pompe mais l'amour au temps de l'adolescence l'exige, délire messianique et fièvre apocalyptique, dans ses films comme dans Donnie Darko (2001) de Richard Kelly. Sa préférence va effectivement aux jeunes héros qui sont des amoureux sublimes. Leurs passions les soulèvent entre ciel et terre, dans un franchissement vibrant et exaltant des nuages, toujours en quête initiatique d'une synchronicité qui va d'autant moins de soi qu'elle peut provoquer un désordre plus grand du monde. C'est pourquoi, entre pompe, sublime et pop, ses anime sont écosystémiques et géodésiques, météoriques et sismiques (Your Name.), diluviens (Les Enfants du temps, The Garden of Words en 2013 et She and Her Cat en 1999), telluriques (Voyage vers Agartha en 2012), météorologiques (Les Enfants du temps et La Tour au-delà des nuages en 2016), voire interstellaires (Voices of a Distant Star).

C'est exemplairement le cas de Your Name. et des Enfants du temps, dans lesquels le bonheur des amoureux s'obtient à l'arrachée sur le vaste fond d'un désastre cosmique, depuis le hiatus des inversions sexuelles, des temporalités disjointes et des chutes de météorites dans le premier film, à partir des pluies diluviennes risquant autant de noyer les amoureux que d'engloutir la capitale tokyoïte dans le second.

Ravissement forcé

Les anime de Makoto Shinkai tiennent franchement du ravissement. L'événement amoureux constitue le ravissement de ses sujets, littéralement, et il nécessite les formes esthétiques qui doivent conséquemment ravir le spectateur (le ravissement est mimétique et ses reflets spéculaires exponentiels). Les exclamations pop du groupe pop Radwimps qui donnent au dynamisme narratif un tour proprement lyrique, la fréquence des grands espaces ruraux comme urbains plastiquement animés avec l'usage de la 3D, la propension visuelle aux effets de chatoiement coloré et de réflexion lumineuse, certains raccords eux-mêmes qui jouent sur la différence de potentiel entre les images (d'où l'usage du plan noir comme d'une syncope) et les sons (les chansons sont parfois coupées cut), et puis encore les accélérations rythmiques qui crèvent expressément la couche des nuages, tout cela est bien partagé par Your Name. et Les Enfants du temps déploient les mêmes causes en visant les mêmes effets sur le versant désormais d'une météorologie des sentiments avérant leur divinité.

L'amour cosmique dans Les Enfants du temps
© BAC Films

Mais le nouveau film d'animation est cependant moins enthousiasmant que le précédent, qui était plus surprenant dans ses effets de parallaxe identitaires et temporels. Comme si Makoto Shinkai, au fond, avait avec Les Enfants du temps peu ou prou refait Your Name. mais en moins ravissant parce qu'en moins nébuleux, en plus prévisible. L'adolescente qui se révèle une fille-soleil dont les prières apaisent Tokyo victime en plein été de pluies diluviennes virant à la tempête de neige, le garçon qui exploite son talent magique en découvrant que son sacrifice est nécessaire afin de faire revenir le soleil, les deux qui se retrouvent au-dessus des nuages en preuve de l'amour comme soulèvement et ravissement, une synchronisation tardive du temps partagé des amoureux obtenue dans un monde dont la face a changé, pour le meilleur comme le pire, ce sont là les grandes scansions des Enfants du temps. Le sublime est fortement désiré, il est forcé aussi mais sans que le forçage nécessaire aux artifices de l'artiste romantique crève le ciel des attentes comme précédemment. Malgré l'accointance mystérieuse du chat et de la pluie déjà amorcée avec le court-métrage inaugural She and Her Cat (1999) en assurance de la cohérence de l'imaginaire romantique de Makoto Shinkai.

Il y a de fait dans ce nouveau film un tour déclaratif dont l'élan s'inscrit trop explicitement dans les éclats de Your Name. pour convaincre que la répétition serait dynamique plutôt que statique. Les changements de perspective entre Hina et Hodaka sont redondants, l'arrière-plan mystique et shintoïste trop schématique et évasif pour emporter l'adhésion, malgré quelques pointes de noirceur (comme la prostitution adolescente) crevant le gel des surfaces cristallines, scintillantes et chatoyantes.

L'amour est une île

L'amour fou et cosmique dans Les Enfant du temps
© BAC Films

Les Enfants du temps ruisselle beaucoup mais finalement ravit peu. Il y a pourtant dans les grandes eaux ouvertes emphatiquement par les vannes du film de Makoto Shinkai une idée à laquelle il tient et ne cède pas, une idée folle de l'amour comme folie. Radicale liberté dans la décision amoureuse, Les Enfants du temps y tient vraiment en effet, en réussissant même à intriguer jusqu'à la fin. C'est ainsi qu'il se distingue de quelques rivaux récents, aussi ambitieux mais plus superficiels (Fireworks de Akiyuki Shimbo et Nobuyuki Takeuchi en 2017) ou plus falots (Wonderland, le royaume sans pluie de Keichii Hara en 2019). D'un côté, Hodaka met du temps à comprendre qu'il est en train de sacrifier Hina révélée dans son statut prophétique de fille-soleil mais c'est le coût archaïque à supporter afin de sortir Tokyo du désastre météorologique qui menace de liquider son existence. De l'autre, l'adolescent refuse le terme du sacrifice accompli en trouvant moyen de localiser l'endroit magique lui permettant de retrouver son aimée de l'autre côté des nuages et ainsi de pouvoir la ramener sur terre. Une fois les péripéties secondaires du scénario évacuées (l'adolescent fugueur a été attrapé par la police et atteint l'âge de sa majorité en respectant le caractère probatoire des deux années le séparant de ses 18 ans), s'impose l'essentiel, qui remue quand même un peu.

Il faut entendre en effet distinctement Hodaka à la fin se féliciter en off d'avoir pu ramener Hina sur terre parce que son amour l'a exigé. Comme le même amour aura exigé l'assomption d'une grande partie de Tokyo noyée sous les eaux. Dans ton combat entre toi et le monde, choisis le monde a préconisé Franz Kafka. Le choix de l'amour est un consentement à l'événement qui fait percée ou trouée dans le monde. L'amour consent à en altérant la face ou le visage, pour ses sujets c'est l'évidence. Avec la quête de sublime de Makoto Shinkai, la force d'irruption et d'éruption de l'amour, la puissance de dérangement de l'événement amoureux s'en trouve radicalement objectivée dans un régime exceptionnel de vérité singulière, absolue et universelle. L'amour est une bulle d'asocialité dont l'événement peut menacer l'ordre existant, tout en dévoilant paradoxalement aussi son désordre dénié ou refoulé. Parce que l'amour est une île comme l'est d'une certaine manière Tokyo (la capitale est située sur une île, Honshû) et elle l'est pour le garçon qui, lui-même, est un petit provincial originaire d'une autre île d'un même pays rappelé à sa nature tectonique d'archipel.

La bulle d'asocialité de l'amour est une île de souveraineté pour ses sujets et elle s'impose en plus dans un monde qui a tendance à oublier qu'il est un archipel, le Japon dont la vérité est océanique quand il rêve encore de continentalité. L'adolescence demeure chez le romantique Makoto Shinkai cet âge cosmique et, entre pompe et pop, ses ravissements, s'ils ruissellent inégalement, pour la radicalité de certains d'entre eux enthousiasment décisivement.

Fiche Technique

Réalisation et Scénario
Makoto Shinkai

Durée
1h54

Genre
Animation

Date de sortie
8 janvier 2020