« Le Cours de la vie » de Frédéric Sojcher : Plus belle la vie
Le Cours de la vie méritait bien un dyade. Si le film est traversé par au moins trois trajectoires et permet au fantôme de Jean-Pierre Bacri de venir hanter l'amphithéâtre où Agnès Jaoui donne son cours de scénario, le film se révèle dans l'ensemble médiocre en réchauffant le pire d'un romantisme téléfilmesque à la Lelouch. Après l'affaire Sojcher qui secoua le petit entre-soi du cinéma belge, il est difficile de trouver dans Le Cours de la vie une contre-proposition au cinéma institutionnalisé que nous avons aussi vivement critiqué. Ce scénario méritait-il une aide du Centre du Cinéma de la Fédération Wallonie-Bruxelles ? Rien n'est moins sûr.
« Le Cours de la vie », un film de Frédéric Sojcher (2023)
Si tout film naît d'un fantasme, alors Le Cours de la vie se situe très en amont de l'acte de création fantasmé. Frédéric Sojcher semble en effet s'être adonné à la flânerie romantique à partir de son lieu de travail (une école de cinéma) et ses alentours (une église, un restaurant, quelques rues toulousaines), lui qui dans la vraie vie dirige le master professionnel en scénario, réalisation et production à la Sorbonne. Le Cours de la vie se déroule sur une journée durant laquelle Noémie (Agnès Jaoui) donne une masterclass de scénario sur invitation de son ancien amour, Vincent (Jonathan Zaccaï), qui cherche à reprendre contact avec elle. Cette unité de temps et de lieu confère à ce film rêvé au bas de sa porte, rêvé depuis longtemps, qui ne pourrait pas exister sans sa petite géographie romantico-lyrique, un ton évidemment personnel et une forme d'épure que n'ont pas beaucoup de comédies romantiques mainstream à la française telles qu'il en sort à la pelle depuis trente ans. Cette originalité est aussi renforcée par le choix de filmer le cours de Noémie avec des petites caméras, ce qui introduit une porosité documentaire qui va convoquer le fantôme de Jean-Pierre Bacri.
Les images captées dans l'amphithéâtre où se déroule la masterclass de Noémie permettent donc à ce que quelque chose qui ne relève plus seulement de la fiction puisse traverser Le Cours de la vie. Noémie et Agnès Jaoui parlent en même temps. L'une est un personnage de fiction conscient d'une des raisons pour laquelle elle se trouve là (son histoire d'amour avec Vincent), l'autre est une scénariste multi-primée qui vient parler de son art avec passion. Mais c'est bien la deuxième qui l'emporte sur la première dans les scènes de masterclass. Agnès Jaoui a constamment les yeux un peu vitreux, on sent bien que quelque chose d'intime et de douloureux la remue : serait-ce l'absence de son co-scénariste, complice et ancien partenaire Jean-Pierre Bacri, dont le fantôme hante autrement plus puissamment l'amphithéâtre que l'histoire d'amour manquée avec Vincent ? Frédéric Sojcher a-t-il voulu réconforter son actrice en lui offrant cette belle histoire qui débouche à la fin du film sur une résolution pleine de délicatesse ? Le dispositif métafilmique à trois caméras fonctionne comme un entonnoir grâce auquel du réel vient perforer la fiction.
Deux histoires d'amour se cachent donc dans Le Cours de la vie. L'une va se reformer et porter une promesse tandis que l'autre est terminée à jamais, comme si Frédéric Sojcher avait aussi rêvé à une vie pour Agnès Jaoui sans Jean-Pierre Bacri. Même si le couple était séparé depuis 2012 (ils continuaient cependant à travailler ensemble), la mort et le deuil sont une autre affaire. Le sens du titre du film, plutôt lourd sur papier avec ce qu'il réchauffe de guimauve lelouchienne (voir le deuxième texte ci-dessous) et son jeu de mots à deux balles, gagne alors en finesse. Le cours de la vie, c'est aussi toute l'eau qui doit couler pour que le deuil s'accomplisse autant que possible. Il faut laisser partir Jean-Pierre Bacri. Et pour Noémie, il faut laisser couler le passé en oubliant les mauvais choix. Pour le romantique Vincent, croire que rien n'est jamais écrit et perdu, et que même les scénarios les plus aboutis n'empêchent pas la vie de se faufiler entre les lignes et canevas du récit. C'est une autre originalité du Cours de la vie : le cadre très formel d'une masterclass autour de l'écriture du scénario est sans cesse traversé par ce qui échappe à la forclusion du sens. Noémie/Agnès recommande d'écrire au départ de choses qu'on connaît pour mieux savoir laisser entrer ce qui a besoin de mots pour être dit.
Il y a encore une troisième trajectoire dans Le Cours de la vie, celle qui ferait peut-être référence, toutes proportions gardées, à Vertigo d'Alfred Hitchcock. À l'instar du maître, Frédéric Sojcher s'offre en effet un caméo dans la libraire de la femme de Vincent, avec un livre sur la culture dans les mains. Et il y a cette église au style roman (ou s'en rapprochant), avec son grand clocher, qui apparaît plusieurs fois dans le film. Vincent ne cherche-t-il pas au fond à faire revivre un amour défunt en lui redonnant vie ? Noémie est moins sa Carlotta que sa Judy, voire peut-être un peu des deux. Elle représente son fantasme de réincarnation. Contrairement à Vertigo, la réalité va reprendre le dessus et un avenir sera possible pour les deux anciens/futurs amants. Dans cette histoire-là, toute fictionnelle, il n'est plus question de laisser couler l'eau du deuil mais d'avoir une influence sur la contingence pour rendre la vie plus belle.
« Beau comme du Lelouch » par Thibaut Grégoire
Il est parfois bon de se remettre en question sur ce que l’on prône, ce qu'on « défend » et ce qu'on « attaque ». Au sein du Rayon Vert, par l’intermédiaire de certains de ses rédacteurs, nous avons il y a quelque temps relayé ce que l’on pourrait pompeusement appeler « l’affaire Sojcher », lorsque le cinéaste Frédéric Sojcher a sorti un livre (Je veux faire du cinéma !) dans lequel il déclarait son amour du cinéma et, au passage, évoquait un différend qu’il entretenait avec le Centre du Cinéma de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ce dernier lui ayant refusé à de nombreuses reprises une subvention sur base de son scénario. Il dénonçait notamment un système de formatage de l’écriture des scénarios dans un cadre de copinage plus ou moins accentué. Ces passages – minimes – de son livre valurent au pauvre Sojcher les remontrances de tout le milieu, jusqu’à subir une sorte de vendetta assez grotesque, dont l’apogée fut une émission tristement mémorable sur la chaîne BX1 lors de laquelle il se fit constamment couper la parole et réprimander par un Joachim Lafosse en grande forme, tout en démonstration de force lourdingue, à l’image de ses films.
Dans ce grand déballage extra-cinématographique, le Rayon Vert a, indirectement et par l’entremise de quelques-uns de ses membres, pris parti et « défendu » la voix de Frédéric Sojcher, notamment au nom de la possibilité d’un « autre cinéma » qui sortirait des carcans de ce que l’on peut aujourd’hui observer dans la production subventionnée et institutionnalisée du cinéma belge francophone. Parallèlement à la promotion de son livre, Frédéric Sojcher finit par obtenir une subvention de la région Occitanie qui lui a permis de finaliser le financement de son film et d’entamer le tournage. Quelques mois plus tard voici donc que sort Le Cours de la vie, et il faut donc bien enfin se mesurer à ce que l’on a appelé de nos vœux, ce nouveau film de Frédéric Sojcher, égérie espérée d’un « autre cinéma ». Et, sans non plus opérer de rétropédalage ni renier ce que l’on a pu dire et défendre il y a quelques mois de cela, il faut bel et bien se rendre à l’évidence, le résultat n’est pas vraiment à la hauteur des attentes.
Nous devons confesser que le titre du film et ses premières images ne nous donnaient pas vraiment envie de découvrir le film mais nous y sommes allés sous l’impulsion de l’enthousiasme d’un ami. Et il faut dire que les premières minutes du film, sa mise en place et celui de son dispositif – une scénariste professionnelle vient donner le temps d’une journée une masterclass dans une école de cinéma tenue par un ex-compagnon, le cours étant filmé et ces scènes alternant donc entre un point de vue « caméra » intra-diégétique et un point de vue omniscient – augurent d’une véritable singularité de mise en scène. Mais Le Cours de la vie bute très vite sur des maladresses d’écriture et des faiblesses dans la direction d’acteurs, jusqu’à tout aussi vite passer le pas du grotesque et du mauvais goût en allant lorgner du côté du pire de Claude Lelouch et de ses divagations sur le sens de la vie ou encore ses saillies mélo-romantiques musico-larmoyantes – le titre du film et la bande musicale signée Vladimir Cosma en rajoutent des couches.
Sojcher à la réputation d’être un grand cinéphile, mais à la vision de son film la question se pose de « quelle cinéphilie ? ». On a des éléments de réponse à l’intérieur même des cours donnés par Noémie (Agnès Jaoui), qui ne parle que de films extrêmement connus, comme par exemple Taxi Driver ou encore L’Homme qui tua Liberty Valence. On veut bien admettre que Le Cours de la vie ait l’ambition de parler au plus grand nombre mais était-il bien nécessaire de ne citer que des films qui se retrouvent dans tous les manuels de vulgarisation du style « les 100 films à voir avant de mourir » ? D’autres éléments de réponses se retrouvent à l’intérieur et à l’extérieur du film, notamment dans des références directes et surlignées à des cinéastes tels que Claude Sautet et Claude Lelouch – dont nous parlions précédemment et dont Sojcher se réclame –, et qui transparaissent notamment dans l’aspect mélodramatique du film. Certaines scènes semblent d’ailleurs sortir tout droit des plus mauvais films de Lelouch, comme par exemple cette séquence « hallucinante » de chanson improvisée au pied d’un arbre dans la cour de l’école, grand moment de comique involontaire quasi anthologique.
Enfin, et histoire d’enfoncer le clou — même si nous sommes finalement assez malheureux de devoir le faire, concernant un film et un cinéaste dont nous attendions tout de même quelque chose —, on pourrait presque synthétiser tous les problèmes du Cours de la vie autour d’un seul acteur-personnage, lequel n’est même pas un des protagonistes principaux du film. Il s’agit de Raymond, interprété par Stéphane Henon, qui se trouve être un acteur rescapé du soap-opera de France 3, Plus belle la vie, série aujourd’hui arrêtée. L’idée d’engager pour donner la réplique à quelques acteurs plus ou moins « bankable » un de ces acteurs « maudits » de la réserve Plus belle la vie – il était très rare de les voir à l’écran ailleurs que dans cette série très chronophage en termes de tournage, et encore plus dans des films de cinéma – est en soi plutôt atypique et sympathique, même si le casting de Stéphane Henon découle probablement plutôt d’implications extra-artistiques comme par exemple l’attribution au film d’une aide allouée par la région Occitanie – il se peut que cette aide se soit agrémentée d’une obligation d’engager des acteurs du cru, donc du sud de la France. Mais peu importe après tout… Si ce n’est que le malheureux Stéphane Henon se voit attribuer le pire rôle du film, et ce n’est pas peu dire : un patron de bistro exubérant et « scénariste amateur » qui rappelle à tous les spectateurs de Plus Belle la vie son personnage de flic bourru/beauf attachant de la série.
Le personnage et l’acteur sont grotesques, d’autant plus que sa gouaille forcée est utilisée pour venir désamorcer les scènes les plus « lelouchiennes » du film, lorsque Noémie et Vincent (Jonathan Zaccaï) se remémorent un lourd passé commun autour d’un verre de vin sur une terrasse ensoleillée. Non seulement le malaise naît de ce mélange des genres d’un goût douteux mais aussi du jeu affligeant du comédien – mais il n’est pas le seul à mal jouer dans Le Cours de la vie, loin de là. Mais comme pour en rajouter une couche, en guise de cerise sur le gâteau, le personnage de Raymond se voit aussi attribuer un « rôle » méta dans la dernière partie du film. Alors qu’il s’était d’abord vu débouté par Vincent lorsqu’il avait voulu demander des conseils d’écriture à Noémie, la scénariste professionnelle, pour ses propres scénarios, le voilà qu’il se voit donner la permission, à la fin de la journée de cours, de faire passer à celle-ci un de ses scripts. On ne sait pas trop si Sojcher a consciemment pensé ce personnage de scénariste amateur comme son double, mais c’est bel et bien l’impression qui s’en dégage. Lui qui a été sans cesse débouté par les « professionnels de la profession » avec son scénario bancal – encore une fois, nous sommes tristes d’écrire ceci mais c’est notre ressenti sincère face au résultat final – s’est enfin vu accorder le droit de le montrer au monde, quand bien même le retour de bâton serait cruel : tout comme Raymond pourrait être vexé par les commentaires négatifs de Noémie si celle-ci n’aimait pas son script, Sojcher s’expose à la déception potentielle de ceux qui attendaient de lui qu’il offre une alternative à ce qu’il a lui-même dénoncé dans ses écrits, à savoir une « école », un formatage des scénarios, encadré par un copinage institutionnalisé.
Au final, la médiocrité de Le Cours de la vie – son « amateurisme », il faut bien le dire – finit par donner, en partie, raison à ceux qui l’ont refusé plusieurs fois. Tel qu’il existe aujourd’hui, une fois tourné et monté, le film apparaît avec tous ses défauts. Rétrospectivement, on en vient même à se dire qu’il aurait peut-être dû rester caché, pour permettre à son auteur de développer d’autres projets plus aboutis. Frédéric Sojcher a par le passé proposé des choses plus intéressantes – par exemple le documentaire Cinéastes à tout prix, ou encore le « mockumentaire » Hitler à Hollywood, dans lesquels, justement, l’amateurisme était mis au service du film, à la fois dans le fond et dans la forme. Il est vraiment dommage et douloureux de devoir aujourd’hui se ranger du côté de ceux que nous n’aimons pas, de ces « méchants censeurs » qui ont refusé Le Cours de la vie, et de se rendre compte que, effectivement, le film est très mauvais et que, tel quel, il n’aurait peut-être pas dû être produit.
Poursuivre autour de « l’affaire Sojcher »
- « Survivre dans le septième art : à partir du livre Je veux faire du cinéma ! », Discussion entre Frédéric Sojcher et Guillaume Richard dans l'émission Les 4 sans coups de Charles De Clercq, le 21 mai 2021.