« L’Héroïque lande, la frontière brûle » d’Élisabeth Perceval et Nicolas Klotz : Le nouveau monde est une jungle
Surgie des cendres du Centre de Sangatte en 2002, la jungle est d’abord un monstre d’État produit d’une série de dispositions juridiques adoptées entre la France et le Royaume-Uni. C’est aussi un mot de passe adopté par tous les migrants exilés, les demandeurs d’asile et les réfugiés ayant élu un mot à la fois pashto et persan (jangal) pour apparenter ce lieu de vie à une forêt recoupant en effet les bois situés à proximité du port de Calais. La jungle est le nom commun d’une impropriété générique, le dehors qui tient autant de la zone de non-droit que fabrique le droit que de l’interzone où l’humanité rejoue à chaque seconde ses origines en bricolant de nouveaux usages du monde. L’Héroïque lande raconte l’épopée de personne, pop épopée scandée de ses cantiques transatlantiques et n’importe qui pourra s’y reconnaître en y reconnaissant le chant impersonnel de l’en-commun dont la vérité dit ceci : qui est ici est d’ici.
« L’acquiescement éclaire le visage. Le refus lui donne la beauté »
(René Char, « Feuillets d’Hypnos », Fureur et mystère)
Parias et sans-parts,
gardiens chiffonniers de notre humanité
Le saviez-vous, l’abîme se repeuple mais seulement de zonards. Interzone. Quelqu’un l’a écrit ainsi, l’interzone est à chaque fois un « lieu insubstantiel offert à une pensée anonyme afin qu’elle s’y déploie ». Une pensée mobile anonyme, errance au nom de la vérité pour tout le monde et pour personne, pensée vagabonde pour n’importe qui, c’est bien ce que peut encore l’art du cinéma, ce rite secret et païen. Le cinéma quand il est joué pour de vrai le peut donc dans les films qui fraient dans la pénombre des grands flux mercuriels du faux jour spectaculaire. Leurs agencements composent depuis la décomposition du monde une « pensée du dehors » déployant ses ailes selon qu’on s’y expose, dans la rue ou dans un camp, ou qu’on s’en retire derrière le mur de sa chambre.
L’expérience procède alors en termes de décentrement et d’extranéité, de désidentification et d’exterritorialité. Il y aurait dès lors moins des sujets que des processus impersonnels de subjectivation dont des noms – Klotz et Perceval – ne seraient que les nœuds, les points de capiton. Le point est de faire lever comme un pain afghan la pâte d’une rumeur anonyme et impersonnelle – le commun au nom duquel les auteurs ne sont rien que des passeurs en relais des passants filmés.
Et le commun ne passe jamais mieux qu’en s’incarnant – l’interzone est un milieu charnel – depuis l’aura des corps filmés qui sont les vies précaires comptant pour rien – des parias. De ce rien qui s’oppose au néant de toute comptabilité et qui, comme ce nombre rêvé qui empêche de compter, est tout – appelons-le l’en-commun dont les parias en tant qu’ils sont les sans-parts sont les gardiens, les chiffonniers de notre humanité.
La forêt d’émeraude
(son nom, un mot de passe)
Qu’est-ce qu’un paysage d’événements ? C’est un plan d’immanence où ce qui compte est tout ce qui compte à égalité. Dans l’écart entre l’être et l’apparaître, surgit l’égalité, insubordonnée, anarchique. Il importe vraiment que ce plan-là le soit pour n’importe qui afin que l’immanence fasse consistance. C’est par exemple un bidonville comme en produit encore la France des années 2000, à l’instar du bidonville de Calais peuplé de ceux qui l’appellent la jungle. Il faudra déjà souligner le caractère décisif du nom : la jungle n’est pas la nomination infamante qui stigmatise des individus si indésirables qu’on ne les identifierait qu’en les bestialisant, elle est au contraire un nom partagé par ses habitants, étrangers rassemblés en excès à toute autochtonie (ils sont ici sans être originaire d’ici) comme à toute allochtonie (ils sont d’ailleurs, précisément de plus d’un ailleurs).
Distincte de cette appellation officielle qu’est la « lande », la jungle est le mot de passe adopté par tous les migrants exilés, les demandeurs d’asile et les réfugiés ayant élu un mot à la fois pashto et persan (jangal) pour apparenter ce lieu de vie à une forêt recoupant en effet les bois situés à proximité du port de Calais. La jungle est le nom commun d’une impropriété générique, le dehors qui tient autant de la zone de non-droit que fabrique le droit que de l’interzone où l’humanité rejoue à chaque seconde ses origines, accidentelles, transitoires et passagères. Arpenter la jungle se fait au risque viral d’une tropicale maladie, à savoir la dépossession de ceux qui n’ont pas la possession des bons papiers d’identité, diabolique comme un sort possède les âmes calomniées en soufflant la vérité intime du pouvoir – bio-pouvoir, psycho-pouvoir, thanato-pouvoir –, mauvaise haleine.
Surgie des cendres du Centre de Sangatte en 2002, la jungle est d’abord un monstre d’État produit d’une série de dispositions juridiques adoptées entre la France et le Royaume-Uni. Le monstre juridique est une créature hybride à deux têtes puisque la fabrique médiatique de l’opinion publique en brosse un portrait biaisé, à la fois soustrait de la responsabilité politique des gouvernements successifs et identifié comme une excroissance anarchique et dangereuse de populations étrangères. Cette identification sidère en témoignant d’une absence sidérale de considération, faillite d’un désastreux regard sans réciprocité ni égard. Mais la jungle ne se réduit pas à cette duplicité exemplifiant la déraison de la raison républicaine. Son retournement contre elle-même avère que l’état d’exception est ici pas moins qu’ailleurs devenue la règle, le délire sécuritaire entraînant une catastrophe auto-immunitaire. Pourtant, l’agglomération de camps de mauvaise fortune ceint par un dispositif exceptionnel de contrôle et de répression policier est aussi un espace où les vivants qui survivent bricolent avec presque rien des formes-de-vie. Le camp de la relégation anomique abrite ainsi un milieu charnel, une zone interstitielle qui est une interzone pour un usage autre du monde.
Bleu pétrole, bleu républicain, magie noire
Après Mata Atlântica (2016) avec son littoral brésilien et forestier hospitalier pour les fantômes d’hier et les spectres d’aujourd’hui, L’Héroïque lande déploie sur un autre versant du globe une nouvelle forêt atlantique peuplée de visages et de paroles comme des chants, des cantiques transatlantiques. De fait, la Manche semble posséder ici une puissance véritablement océanique, comme ce cimetière marin plus d’une fois évoqué qu’est la Méditerranée. Une forêt d’émeraude et de sortilège où, l’envoûtement induisant toujours déjà la volte-face, la relégation des nouveaux damnés de la terre se retourne sur elle-même pour se révéler camouflage adopté par ces invisibles rêvant d’être imperceptibles pour les mâtins du national. Et le rêve partagé d’imperceptibilité est, à l’époque des sociétés de contrôle télé-technologique, rien moins qu’épique et héroïque.
Le paysage d’événements, jungle et forêt, ne peut dès lors être saisi en images visuelles et sonores, circulantes et partageables, clandestines, que depuis la décision esthétique de ceux qui, dans l’égalité amoureuse de la prise de position dans le champ de l’image et le son, n’auront pas cédé sur l’intégrité de leur sensibilité. Sur un désir d’expérimenter qu’à cet endroit-là, aussi tristement banalisée soit la mise au ban qui le caractérise, le monde vécu est celui du plus grand dehors (foris a donné forêt comme dehors), qui est le plus grand partage, le plus grand commun rassembleur pour la multitude des divisés. Dans la foulée de « l’Appel des 800 » publié par le journal Libération du 20 octobre 2015, trois esquisses intitulées Le Gai savoir 1, 2 et 3 auront ainsi préparé le terrain à cultiver pour un nouveau long-métrage tourné entre l’hiver 2016 et le printemps 2017, un documentaire d’une durée totale de 220 minutes qui est le plus grand film français des années 2010.
Il n’y a pas un seul plan de L’Héroïque lande qui ne témoigne pas de la jungle comme zone habitable et site communément partagé et du cinéma comme jeu de surfaces tendues à faire résonner toute la beauté du monde offensé : papier à cigarette et pâte à pain, peau grêlée des visages et des mains tannée comme un tambour de cuir. Chaque plan même tourné en numérique serait comme une membrane pelliculaire, paumes sur lesquelles déposer les traces de l’en-commun en sa tourbillonnaire granularité, tympans accueillant souffles et chants, paroles muettes et cris imperceptibles, bruits parasites et langues vernaculaires, anglais cassé et secrets moléculaires. Le paysage d’événements est celui où, précisément, « ce ne sont plus les grands événements qui forment la trame du paysage du temps, mais la masse des incidents, des petits faits inaperçus ou volontairement omis ». On s’autoriserait ce correctif : moins la masse que l’épars, moins le compact que le disparate, moins le molaire que le moléculaire sont les modalités sensibles de l’événement.
Des silhouettes filmées en contre-jour font figures en impressionnant entre deux rougeoiements le ciel bleu pétrole quand au loin crépitent les flashs aveuglants du bleu républicain. Plus tard, les derniers lueurs du couchant brûlent un campement fabriqué comme un pan de terre monté à l’assaut du ciel, les ors n’étant ici qu’à fondre en feux de joie distingués de brusques flambées incendiaires, tantôt suicidaires, tantôt criminelles. Au milieu, c’est un terrain où le vague devient jeu et s’y jettent des cailloux pour s’amuser, et l’on y joue au cricket, et l’on y tend jusqu’au ciel un cerf-volant icarien. Et l’aimantation de sembler si intense que les plans se chargent en électrons, comme métallisés. Comme pailletés d’or le temps d’une porte ouverte puis fermée dans la scansion palpébrale des noirs – dans le battement de paupière de la fiction et du documentaire. Souvent, l’opacité de chaux du ciel donne l’impression de brassées poudroyantes de pixels virevoltant comme des pluies acides ou des nuées de frelons menaçant de s’abattre sur la tête des habitants. Et puis les ondes parasites de téléphones portables interfèrent comme des stridulations dont les modulations font grésiller par intermittences la bande-son, en exception à la règle présentement destituée de la voix-off, et dans la préférence accordée à la partition des lignes de flux parallèles. Ainsi des voix de Christophe et King Krule, de Gil Scott-Heron et Leonard Cohen, ces bons génies qui passent eux aussi la frontière du sensible et dont les ailes font souffler malgré l’asphyxie un air revivifié.
Au fait, les marques sont des noms qui, quand ils sont pris au sérieux et respectés, rappellent qu’ils portent la trace idiomatique de la vérité. Ici, la caméra employée est une Blackmagic : de la magie noire est bien ce dont nous avons besoin, prise au mot comme autant d’exorcismes face aux envoûtements des gourous de l’identité nationale, des praticiens de la magie blanche et des croyants auto-intoxiqués de la France aux Français.
Contre toute tautologie, l’en-commun invite pourtant à répéter la vérité qui dit : qui est ici est d’ici.
Un archipel morganatique
(la honte, un affect révolutionnaire)
À chaque fois, donc, des petits faits inaperçus ou omis par la fabrique médiatique de l’opinion. Ce sont eux qui constituent en tant que tels des événements ponctuant l’en-commun d’un paysage désespérément humain, qui n’est tel que pour les distraitement désespérés que nous sommes. Quelqu’un l’aura dit encore autrement, en langue créole : « Voici le recommencement de cette argile au chaud du cœur, qui bouge ; un présent d’îles qui s’accordent, ô vous ! parmi elles rêvant votre visage (belle, si belle.). Nul ne peut dire si c’est la houle des chemins remontant la douleur, ou si, de cette nuit de solitudes et de marées, c’est pur asile qui s’étoile en un silex ». L’argile est chaud comme la pâte du pain et celle des plans, offert à sculpter les formes surgies de la surrection volcanique d’un présent d’îles. Des figures de guerres dont les gueules ne reposent qu’en révolte comme chez Sylvain George, des insurgés noirs comme zendj comme chez Tariq Teguia, des rhapsodes accordés à composer dans les débris du monde actuel un présent d’îles, un archipel, un asile s’étoilant comme un silex.
Après la Babylon (2012) de Youssef Chebbi, Ismaïl et Ala Eddine Slim surgie comme une fata morgana des marges du printemps arabe embrasant un poste-frontière entre la Libye et la Tunisie, L’Héroïque lande documente une année – l’ultime – de la vie organique d’une autre cité babylonienne dans laquelle le camp de réfugiés, borné d’un côté par le contrôle étatique et de l’autre bordé par l’aide humanitaire et associative, se gonfle de poches éparses, utopiques et concrètes, cet archipel morganatique où les zonards expérimentent dans le plus grand dénuement des manières plurielles de vivre l’en-commun. Et la première d’entre elles, qui se refuse à eux alors même qu’ils la proposent aux premiers venus, les cinéastes qui de loin ressembleraient aux journalistes en visite expresse s’ils ne témoignaient pas d’une réelle proximité vérifiée dans le tournage et sa durée propice au tissage des amitiés et des solidarités : l’asile et son hospitalité. Ces bien mis sous séquestre par des États modernes en organisant la rareté sont a contrario clandestinement prodigués selon des usages et coutumes ancestraux par ceux-là à qui ils leur sont officiellement refusés.
L’asile et l’hospitalité, c’est le refuge garant de la tenue des plans tournés par les déserteurs de l’identité nationale, fuyards des assignations à résidence (Élisabeth Perceval et Nicolas Klotz ont tourné en Palestine et au Congo, en Espagne et en Argentine, au Canada et en Algérie). Y compris quand ces assignations se comprennent sur le plan cinématographique (L’Héroïque lande est un documentaire pour autant qu’il faille nommer autrement les fictions innervant le réel, quand il ne fraie tout simplement pas dans l’interzone brûlant les démarcations entre le documentaire et la fiction). L’asile et l’hospitalité, c’est aussi une fuite pour crever le pneu des poursuites qui s’apparentent à des persécution et c’est encore une fugue pour trouver une arme à fourbir comme les esclaves partis en forêts caribéennes pour marronner. Par exemple des foulards pour désœuvrer toute tentative d’identification, de la ruse digne de la mètis d’Ulysse pour brûler la frontière en bricolant des manières d’imperceptibilité, des affects indicibles comme des trésors de contrebande, des plans tendus comme des poignées de mains. Une impuissance qui se comprend aussi comme une résistance plutôt que comme une résilience bonne pour les psychologies de marché.
Et des danses – des danses comme des transes (le diable accablant l’esprit de Yared finit littéralement avalé dans la médecine chamanique prodiguée par le corps-silhouette de l’ami congolais DeLaVallet Bidiefono). Des danses pour qui est toujours sur le départ – en partance.
On hallucine plus d’une fois, déjà de voir comment l’État français traite en lâchant les chiens dressés pour tuer l’incommensurable dette occidentale contractée à l’égard des peuples anciennement esclavagisés et colonisés. On hallucine encore de voir comment la honte d’être réduit à un rebut humain est ce à partir de quoi il faudra cependant repartir pour retrouver toute dignité en faisant humanité – en faisant de l’humain le site même de l’en-commun et sa pensée. Et un blockhaus de ressembler alors à l’horrible bouche d’ombre ayant englouti les leçons perdues du passé. La honte, Franz Kafka nous l’a appris et Primo Levi après lui, ce n’est pas ce dont il faut se libérer mais ce qu’il faut libérer en retrouvant avec la justice son antique corrélatif, la retenue et la vergogne. On le répète encore aujourd’hui : la honte est un affect révolutionnaire et le cinéma de Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval ne l’est qu’en étant honteux, en partant de la honte qui caractérise notre temps.
Mieux, il ne faut pas cesser d’halluciner. L’hallucination se déduit sensiblement des impossibilités au principe même de l’intolérable : c’est la massivité aberrante d’un paquebot, croiseur interstellaire de science-fiction pour une post-humanité larguée. Il ne faut pas cesser d’halluciner, jamais : de la pratique du cricket, ce sport importé des anciennes colonies britanniques, à ce genre d’insecte qu’est le criquet, un glissement sémantique va jusqu’à faire déborder sa propension métaphorique, avérée avec l’arrivée des CRS dont la chaîne est étonnamment chorégraphiée sur un concerto pour piano de Johannes Brahms au moment de la destruction de la zone sud de la jungle opérée au printemps 2016. Comment aimer Brahms autrement ? Il est vrai que l’accoutrement des CRS les fait ressembler à des orthoptères. Il est non moins vrai que le paradoxe veut qu’ils apparaissent ici comme les figures sérielles, chiffres et lettres, d’une chaîne de menace invasive qu’affrontent paisiblement les porteurs habituels du stigmate de l’invasion. Tous singuliers, tous s’exposant les uns à côté des autres et non pas à la queue leu-leu (tiens, leu dit en ancien français le loup devenu l’emblème des pires fictions anthropologiques et des philosophies politiques les plus pessimistes).
La série signe la violence concrète du formalisme juridique (la signature marque une sanction) ; s’en distingue la multitude anonyme des êtres figurant la variété impersonnelle de l’en-commun (la variété des différences indique que l’en-commun est celui de l’entre, d’un intervallement). Aux uns le pouvoir de passer à l’acte de détruire ; aux autres d’éprouver pour l’énième fois une impuissance qui s’entend aussi comme une puissance de ne pas, de ne pas répondre au mal en faisant le mal.
Pop épopée et odyssée d’ici
(personne et n’importe qui, à égalité)
On connaît la ruse d’Ulysse qui lui a permis de tromper le cyclope Polyphème. Quand le géant à l’œil crevé lui demandait son nom, le héros de l’Odyssée lui répondait « personne », tant et si bien que les autres cyclopes croyaient alors que leur congénère était devenu fou. « Mon nom est personne » dit ainsi Ulysse qui savait qu’en regard du géant anthropophage il fallait faire preuve de cette intelligence rusée qu’en grec l’on appelle mètis. Le nom du dehors et de la pensée anonyme, de la rumeur impersonnelle et créole qui s’y joue ne peut être autre que celui de personne. Personne nomme aussi, nom moins propre qu’impropre, le seul héritier légitime, parce qu’impossible, du seul communisme qui vaille encore parce que le communisme est sans testament, déjà là et à venir.
Les bricolages rusés autorisant les migrants à être imperceptibles pour les dispositifs d’un pouvoir cyclopéen, la voix des sirènes qui chantent depuis les bandes parallèles du son, les héros dont il faut raconter les vies précaires et épiques et qui sont à ce titre dignes d’Héra (le film est cette membrane protégeant ceux qui protègent comme des trésors d’humanité l’hospitalité, la solidarité et l’amitié) comme d’Éros (leur beauté est indiscutable), jusqu’aux réminiscences spectrales et cinéphiles (l’interzone est aussi celle où se rencontrent les fantômes du western épique et science-fiction post-apocalyptique, John Ford et Andreï Tarkovski) : L’Héroïque lande raconte bel et bien l’épopée de personne, pop épopée scandée de ses cantiques transatlantiques – et n’importe qui pourra s’y reconnaître à égalité, dans l’égalité de ceux qui vivent et luttent contre les destructeurs de l’égalité.
Une condamnation : la France a été condamnée en vertu de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme pour le démantèlement du bidonville de Calais. C’est depuis 1959 la 283ème condamnation de la France pour ce seul article. Depuis, la jungle démantelée s’est partiellement reconstituée, ses archipels poussent un peu partout en refleurissant la terre.
Mieux qu’une condamnation sanctionnant le crime notoire d’un État, une déclaration, celle-ci : « Nouveau monde ! ». Une petite princesse amérindienne le dit avec les mots de Hölderlin dans Noir péché (1989) de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet et l’enthousiasme de sa profération est ce à quoi L’Héroïque lande épiquement acquiesce comme on acquiesce à la présence de l’impersonnel. Le vieux monde est une jungle, le nouveau monde est une jungle, entre fureur et mystère(1).
Poursuivre la lecture autour du cinéma d’Élisabeth Perceval et Nicolas Klotz
- Des Nouvelles du Front, « Fugitif où cours-tu ? d’Élisabeth Perceval et Nicolas Klotz : Fugue de vie », Le Rayon Vert, 4 décembre 2021.
- Des Nouvelles du Front, « Nous disons révolution d’Élisabeth Perceval et Nicolas Klotz : Cantiques transatlantiques (surrection insurrection) », Des Nouvelles du Front, 24 novembre 2021.
Notes