« Johnny Depp vs Amber Heard » : L'innocence entachée d'Edward Scissorhands
Lorsqu'Amber Heard évoque Edward aux mains d'argent pour souligner l'art de la persuasion de Johnny Depp, elle est une énième fois moquée tant par de stupides internautes que par le film lui-même. C'est que celui-ci ne voit pas (ou feint de ne pas voir) que l'acteur convoque l'innocence de certains de ses rôles pour gagner le procès. C'est un des nombreux problèmes de Johnny Depp vs Amber Heard qui ne fait que remuer un tas de purin sans jamais rien montrer des « vérités qui échappent à la justice ». Mais peut-être qu'au final, le cinéma n'a pas sauvé comme prévu Johnny Depp, rattrapé par la mesquinerie de ses mensonges organisés dans ce grand théâtre filmé.
« Johnny Depp vs Amber Heard », une série documentaire Netflix d'Emma Cooper (2023)
Qu'est-ce qu'un documentaire labellisé Netflix, c'est-à-dire produit à la chaîne selon différents standards esthétiques et narratifs devenus familiers des clients du géant du streaming, pouvait apporter à l'affaire Depp vs Heard qui a cette particularité d'avoir été retransmise en direct à la télévision et sur les réseaux sociaux, devenant ainsi un des procès les plus commentés de l'histoire ? Rien ou presque, sauf lorsqu'il parvient quand même à jouer un mauvais tour à Johnny Depp. La réponse n'est pas surprenante tant Johnny Depp vs Amber Heard, sorti tout droit d'une usine qui tourne à plein régime et dans une surenchère toujours plus racoleuse, ne dépasse pas le stade de reportage télévisé remuant encore plus le tas de purin de son sujet déshumanisant — Amber Heard a en effet été humiliée sur la place publique, moins que Johnny Depp sans qu'il n'en ressorte tout propre. Le film d'Emma Cooper se contente d'assembler des images existantes sans que cela ne produise quelque chose d'intéressant (contrairement à d'autres séries Netflix comme The Confession Tapes), avec comme mot d'ordre naïf une neutralité qui est de toute façon toujours illusoire, surtout dans cette affaire complexe en termes de représentation. Johnny Depp vs Amber Heard est un film sur le vide par le vide, un vide qui nécessitait justement d'être comblé par « les vérités qui échappent à la justice », comme il est répété à plusieurs reprises dans le film bien qu'on puisse mettre en doute ce postulat (même si la vérité s'échappe effectivement dans de nombreux procès). Une des définitions possibles du cinéma est qu'il apporte et déploie une vérité. Voilà ce que ne fait pas, dans les grandes lignes, Johnny Depp vs Amber Heard et que le recours au documentaire d'investigation exigeait pourtant. Néanmoins, derrière le cirque médiatique, pointent les petits sourires mesquins de Johnny Depp qui trouve ici son plus mauvais rôle : c'est peut-être le seul intérêt du film, sa petite vérité, l'innocence de Johnny Depp entachée.
La grande particularité du procès opposant Johnny Depp à Amber Heard est qu'il est profondément cinématographique : deux acteurs se mettent en scène en sachant qu'ils sont filmés et que leurs moindres gestes seront commentés. Johnny Depp, qui a demandé à ce que le procès soit filmé, opte pour une position de retrait. Il reste souvent mutique, caché derrière ses lunettes noires pour ne pas trahir sa promesse de ne pas regarder Amber Heard dans les yeux. Certains personnages qu'il a incarnés à l'écran, comme Edward aux mains d'argent bien évidemment, ne sont pas très loin. L'acteur clame donc son innocence en mobilisant la forme d'innocence qu'il a inventée au cinéma. Il choisit une forme de sobriété, tout relative tant son visage témoigne de son état de santé actuel, qui n'a certes plus rien à voir la générosité d'Ed Wood ou de Jack Sparrow, mais l'idée est de le faire passer pour un homme bon. Le pari s'est révélé gagnant puisqu'il a pu bénéficier du soutien en masse de ses fans et de « l'opinion publique ». Son contrôle des images n'a pourtant pas été total. Lorsqu'il laisse échapper quelques petits sourires narquois, notamment quand Amber Heard fait référence à l'incident avec Kate Moss, le côté sombre de l'acteur ressort. Il se montre beaucoup moins innocent qu'il en a l'air, et dans les deux sens du terme à la fois cinématographiquement et juridiquement, en affichant sa maîtrise (logique, puisqu'il veut laver son honneur). C'est là, dans cette porte laissée ouverte par l'acteur, qu'Emma Cooper avait la possibilité de s'engouffrer pour mieux traquer le monstre qui se révèle alors être d'une suffisance écœurante. Amber Heard, pour sa part, adopte une attitude sereine entrecoupée de plaidoyers parfois larmoyants qui ont été immédiatement considérés par les commentateurs comme du cinéma. Cette inégalité de traitement est injuste puisque Johnny Depp ne joue pas moins qu'Amber Heard : le tire-larmes a toujours mauvaise presse. Johnny Depp vs Amber Heard ne prend même pas la peine de souligner cette injustice pourtant criante au nom d'une neutralité qui représente en soi une injustice. Un comble pour un film de procès, même s'il clame avec une grande nonchalance que la vérité lui échappe et qu'il ne fera rien pour la restituer.
Derrière les images du procès Depp vs Heard, il n'y a pas d'autres images, ou plus précisément aucune image n'est filmée ou montée pour exprimer une vérité là où il aurait été nécessaire qu'elle éclate. Bien sûr, Johnny Depp vs Amber Heard assemble d'autres images de différentes origines mais sans jamais dévier de sa trajectoire unilatérale. Il y a des extraits de journaux télévisés, des fans de Johnny Depp en folie et, surtout, des vidéos provenant des réseaux sociaux. Celles-ci n'apportent pratiquement rien, sauf lorsque certains influenceurs exhument des preuves (quelques éléments seulement, on aurait aimé en savoir plus). Dans l'ensemble, ils parlent dans le vide et le film introduit l'autorité fallacieuse de « ce qui agite la toile » sans aucune distance critique. Ce qui est paradoxal car, dans le même mouvement, Johnny Depp vs Amber Heard condamne, certes très relativement, la viralité des réseaux sociaux et leur partialité. Le bashing enduré par Amber Heard est présenté avec objectivité, tout en regrettant quand même (!) la tournure des événements, avant de finir par dire que les internautes étaient peut-être du bon côté. Un constat évident s'impose alors : en quoi le film, avec son montage frénétique où chaque plan est isolé de son contexte et de sa temporalité d'origine, est-il différent d'un assemblage de tweets ou de vidéos Youtube ? Les réseaux sociaux sont aussi surtout pointés du doigt car ils auraient influencé les sept jurés dans leur verdict. Si les youtubeurs ou les haters de Twitter, qui sont parfois des robots (comme le rappelle un... youtubeur), polluent autant l'espace public, pourquoi leur accorder une telle importance dans la construction du film ? Pourquoi ne pas les mettre hors-jeu pour s'intéresser aux petits sourires de Johnny Depp ou à l'intervention glaçante de Kate Moss ? Cette dernière a témoigné en faveur de Johnny Depp, ce qui a d'ailleurs marqué un tournant dans le procès, alors qu'il s'agit d'une rumeur qu'Amber Heard a utilisée pour sa défense en laissant entendre qu'il n'y a pas de fumée sans feu.
Amber Heard est la victime de cette sale histoire bien qu'elle rejette cette dénomination puisqu'elle cherche à inscrire son combat sous la houlette du mouvement #MeToo. Johnny Depp vs Amber Heard la traîne pourtant dans la boue, appuyé par les dénigrements des fans et des influenceurs, jusqu'à une interview à la fin du film où elle compare Johnny Depp à Edward Scissorhands du film éponyme de Tim Burton. Selon elle, il aurait le talent de persuader les gens comme il a réussi à faire croire en l'existence d'un être portant des ciseaux à la place des mains. Cette comparaison a priori cocasse d'Amber Heard, qui semble d'abord devoir être comprise dans un sens littéral, est pourtant bien pertinente, mais Emma Cooper préfère la tourner en dérision en montrant des vidéos d'internautes éclatant de rire. Or, Johnny Depp convoque subtilement Edward aux mains d'argent et les insupportables internautes comme la cinéaste ne s'en rendent pas compte. Le film de Tim Burton raconte une histoire qui résonne avec celle du procès, puisque l'innocent Edward devient le mouton noir de la ville qui un temps l'adorait. Les spectateurs du procès sont invités à défendre un Johnny Depp tout aussi mutique qu'Edward contre les méchants qui veulent sa peau, en l'occurrence ici Amber Heard et sa défense. Johnny retrouve ainsi tristement Edward en 2022, dans une suite cauchemardesque que même Tim Burton n'aurait pas imaginée : Johnny Depp brise avec sa maladresse aussi bien des verres que des vies.
Amber Heard n'est pas toute blanche dans l'histoire, il y a un partage des torts, et par moments elle joue, mais jamais de manière aussi vicieuse que Johnny Depp. On peut quand même y voir une démarche plus sincère là où beaucoup dénoncent les mensonges d'une actrice bête au point de surjouer. Le récit et le montage tendent à innocenter Johnny Depp, dont la réputation sera de toute façon salie par les révélations de certaines images (sa violence domestique filmée par le téléphone d'Amber Heard, par exemple). C'est presque un comble pour celui qui exigeait la présence des caméras et comptait sur le cinéma, c'est-à-dire les personnages qu'il a incarnés à travers ses films, pour être innocenté. Peu importe, Johnny Depp a déjà entamé sa reconversion en France, terre d'accueil des pestiférés, où il a incarné Louis XV dans Jeanne du Barry de Maïwenn. L'acteur est-il fini ? Rien n'est moins sûr quand on sait que même James Franco vient aussi se racheter dans Largo Winch 3, devant la caméra de l'inénarrable Olivier Masset-Depasse.
Si l'usine Netflix produit à la chaîne des documentaires racoleurs reposant sur du sensationnalisme et des mécanismes voyeuristes, certains ont au moins le mérite de se confronter aux personnes qu'ils accusent ou d'ouvrir de nouvelles pièces à conviction. Making a Murdurer est le chef d'œuvre du genre. Il en existe d'autres de bonne facture, efficaces dans leur narration et solidement documentés par un impressionnant travail de recherche et de montage. Emma Cooper a par exemple participé à The Disappearance of Madeleine McCann (2019) qui captivait (c'est triste à dire) par son enquête approfondie dans les zones d'ombre d'une affaire labyrinthique. Rien de tout cela dans le nonchalant Johnny Depp vs Amber Heard, même si le film peut montrer que le cinéma n'a pas sauvé comme prévu Johnny Depp, rattrapé par la mesquinerie de ses mensonges organisés qui n'avaient aucune chance d'être dissimulés dans ce grand théâtre filmé.
Poursuivre la lecture autour des documentaires Netflix
- Guillaume Richard, « Don't F**k With Cats : À corps défendant », Le Rayon Vert, 10 juin 2020.
- Guillaume Richard, « Netflix : Quand les contenus antisystèmes et l'idée de liberté se font marchandises », Le Rayon Vert, 31 octobre 2017.
- Guillaume Richard, « Wild Wild Country : Le Documentaire et l'Esthétique de l'effet spectaculaire », Le Rayon Vert, 14 mai 2018.