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Le tueur zombie dans la nature dans In a Violent Nature
Esthétique

« In a Violent Nature » de Chris Nash : La vengeance d'un cadreur

Guillaume Richard
In a Violent Nature de Chris Nash invente sa propre forme de hantise à travers une recherche esthétique sur le cadrage, le regard et la peur. L'influence revendiquée de Gus Van Sant serait alors un catalyseur et non l'objet d'une comparaison impossible à faire tenir. Le mort-vivant est au centre d'une mise en cadre qui cadenasse le récit, rien ni personne ne pouvant échapper à sa mise en scène car il en impose le rythme et décide du sort des figurants.
Guillaume Richard

« In a Violent Nature », un film de Chris Nash (2024)

De l'aveu même de Chris Nash, In a Violent Nature est profondément influencé par la célèbre trilogie Gerry/Elephant/Last Days, ce qui en ferait un film d'horreur « à la Gus Van Sant ». Cette référence saute immédiatement aux yeux et confère au film toute son originalité — ou son artificialité, pour ses détracteurs. Mais In a Violent Nature est en même temps un projet curieux et contradictoire puisque jamais Gus Van Sant ne s'est évidemment laissé aller, dans sa trilogie de la mort, aux effusions gores avec lesquelles le film de Chris Nash rivalise de perversité. Têtes tranchées, crânes explosés au marteau, corps transpercés par un crochet puis recroquevillé sur lui-même : rien de plus banal que cette quête de vengeance se traduisant par une surenchère de violence qui finit par appauvrir l'ambition esthétique de départ. Or, si Chris Nash échoue sur ce tableau, c'est-à-dire par rapport à la manière dont les films de Gus Van Sant représentent la violence, il réussit au moins deux choses. D'une part, en ne lâchant quasiment jamais les pas et la perception de son zombie tueur, le film invente sa représentation de l'horreur et sa propre forme de hantise, ce qui s'avère quand même inattendu de la part d'une production destinée au marché du streaming et des festivals spécialisés (il est d'ailleurs passé par le BIFFF 2024). D'autre part, In a Violent Nature intègre une réflexion sur la mise en scène à travers laquelle se dessine une véritable recherche esthétique sur le cadrage, le regard et la peur. L'influence de Gus Van Sant serait alors un catalyseur et non l'objet d'une comparaison impossible à faire tenir, l'important étant de montrer comment Chris Nash construit ses plans et à travers quel fil rouge narratif et esthétique.

Il suffit déjà de s'arrêter sur la remarquable séquence finale. L'ultime rescapée de la tuerie est prise en stop par une automobiliste qui l'emmène à l’hôpital. Celle-ci parle beaucoup et cherche à garder l'attention de sa passagère pour ne pas qu'elle perde conscience. L'échange paraît interminable. Serait-elle de mèche avec la créature ? Celle-ci va-t-elle déambuler sur la route pour terminer sa vengeance ? Il semblerait que non, mais la tension est bien présente, renforcée par une impression d'irréalité qui naît de la confrontation entre l'horreur et un quotidien bien plus insouciant. Il n'en faut pas plus pour installer un malaise invisible découlant d'une attente insupportable. Voyant le sang couler sur la chaussure de la jeune femme, la conductrice s'arrête pour lui placer un garrot malgré les réticences de la victime. Chris Nash choisit alors de cadrer du point de vue de celle-ci, à l'intérieur de la voiture, pour fixer la lisière de la forêt. Le plan dure, comme d'autres auparavant tournés pour que la hantise puisse s'installer et faire sentir son emprise. La peur se trouve décuplée par le simple enregistrement de l'absence du zombie qui rôde encore quelque part dans le hors-champ du film. Va-t-il surgir, dans la profondeur de champ, pour finir sa besogne ? Il n'en est rien mais le spectateur terrifié aura attendu sans pour autant être « déçu » de cette non-résolution qui sert d'abord un projet esthétique d'ensemble. La fin de In a Violent Nature doit alors moins à Gus Van Sant qu'à sa propre construction spatiale et temporelle qui confère un pouvoir cinématographique à sa créature. Comment ? Le zombie est à la fois au centre et la périphérie de la mise en scène de Chris Nash, il impose au film son rythme et définit ses règles en étant acteur et réalisateur de son œuvre. Peu de films d'horreur poussent aussi loin ce procédé et ce renversement de perspective.

Une fille victime du tueur dans In a Violent Nature
© Shudder films

Pour atteindre un tel degré d'épuration, In a Violent Nature commence par évacuer toute psychologie et attachement potentiel aux personnages. La plupart d'entre eux ne sont que des silhouettes plus ou moins lointaines qui apparaissent dans le champ de la caméra. Mieux : ce sont des figurants. Ils constituent de simples pions transformés en cibles dans les mouvements qu'opère la créature dans les plans-séquences ou lorsqu'elle se fige quelque part dans le plan. Les plans-séquences se composent principalement du mort-vivant, sorti de terre après qu'un touriste ait volé son collier secret, sillonnant la forêt à la recherche de son talisman qui semble régir les lois de son existence et tuant tous ceux qui se trouvent sur son passage. À la fin de In a Violent Nature, il récupère le collier et n'apparaît donc pas dans le plan où, dans tout autre film, il serait venu tuer les derniers survivants. Il possède littéralement le sort du film entre ses mains puisqu'il en est le démiurge. Il occupe par moments presque tout l'espace visible et, en même temps, Chris Nash dissimule ses apparitions avec une étonnante économie. Il reste parfois caché dans la forêt ou derrière des branches en attendant le moment adéquat pour passer à l'action. Plusieurs plans sont construits à partir d'un cadrage qui place entre la caméra et le monstre des motifs rectangulaires rappelant la forme d'un écran ou, plus précisément, d'un cadre. C'est par exemple le cas lorsqu'il sort de terre au milieu d'une vieille cabane abandonnée ou lorsque la rambarde du chalet isole sa discrète présence dans la profondeur de champ, ou encore lorsqu'il regarde à travers une fenêtre. In a Violent Nature frappe ainsi par sa construction géométrique renforcée encore par la verticalité de la forêt et l'horizontalité du lac et des routes. Toute cette sophistication n'est pas gratuite : le mort-vivant est au centre de cette mise en cadre qui cadenasse le récit, rien ni personne ne pouvant échapper à sa mise en scène tant qu'il n'a pas retrouvé son collier. Une scène en particulier renforce cette idée. Lorsque la créature traîne le policier dans un hangar pour lui trancher la main puis la tête, elle utilise une vieille machine à couper des bûches dont elle actionne la mécanique pour faire descendre la hache. On pourrait y voir le geste d'un metteur en scène qui lance son « Moteur ! » puis son « Coupez ! ». Souvent aussi, le mort-vivant reste tapis dans les bois à attendre et à regarder, choisissant le bon moment pour lancer son « Action ! », alternant le mouvement et la patience avec un sens précis du timing. Chris Nash ne manque donc pas d'humour là où la trilogie de Gus Van Sant est taillée dans le marbre.

Les déambulations en plans-séquences du mort-vivant dans la forêt sont aussi importantes que son regard. C'est à travers lui que In a Violent Nature construit sa tension narrative et horrifique. C'est pourquoi aussi le plan vide à la fin du film n'est pas un péché mignon mais le renoncement logique d'une créature qui aura hanté le film d'une présence-absence aux contours flous. Il semble régner sur sa forêt comme un metteur en scène sur son tournage, dictant tous les changements et décidant du sort des figurants. Se retirer à la fin, une fois le travail accompli, apparaît alors logique tant pour le tueur que pour le cinéaste. La hantise aura duré jusqu'au bout, celle d'un mort qui porte son histoire personnelle autant qu'une alchimie avec la nature qui est rendue à toute sa sensorialité par Chris Nash. C'est un autre point fort du film, hérité certainement de Last Days et de la trilogie de Gus Van Sant, et il n'est pas impossible non plus de penser parfois, toutes proportions gardées, aux « immersions » de Terrence Malick.

In a Violent Nature figure parmi les films d'horreur les plus intéressants sortis ces dernières années, témoignant une fois de plus de l’inventivité dont le genre fait preuve, que ce soit à Hollywood ou dans ses marges. Citons entre autres It Follows de David Robert Mitchell, Pearl et X de Ti West, les films de Jordan Peele et Ari Aster bien évidemment, It Comes at Night de Trey Edward Shults, et, du coté des plus grosses productions, Smile de Parker Finn, la nouvelle trilogie Halloween de David Gordon Green, la saga The Purge ou encore celle d'Esther. Tous ces films, d'une manière ou d'une autre, trouvent leur originalité en inventant ou en renouvelant une forme de hantise, qu'elle se construise dans la profondeur de champ, la frontalité, le hors-champ ou les peurs originelles et sécuritaires. À l'opposé se trouve au moins une double tendance. D'une part, le retour en force des reboots et/ou suites qui abusent de la méta-réflexivité, comme par exemple les deux nouveaux volets de la saga Scream. Et d'autre part, pire encore, s'accumulent ce qu'on pourrait appeler les bondieuseries satanisantes reposant sur le système de croyance et de valeurs de la religion chrétienne. Cette série de films est armée de ses prêtres et exorcistes en tous genres et transpire le premier degré : la nouvelle saga de L'Exorciste, La Nonne, Immaculée, L'exorciste du Vatican ou, plus récemment, l'adulé (?) Longlegs de Oz Perkins. La question reste complexe et mériterait une longue étude. Dans ce paysage foisonnant, In a Violent Nature tient son rang avec son mort-vivant dont la caméra ne lâche rien de sa mise en scène et de sa mise en cadre, ce qui exprime à la fois la singularité du film et sa différence avec un hommage, au demeurant inopérant, à Gus Van Sant.