« Halloween Ends » de David Gordon Green : Michael Myers, col bleu du slasher
Halloween Ends est le dernier des derniers chapitres - promis, juré - d'une vieille histoire de maltraitance, l'enfant Michael Myers, notre enfance. Le film qui veut littéralement achever la saga initiée par John Carpenter et Debrah Hill raconte aussi comment Hollywood finit : de la cuisine à la casse qui est un placard pour la lutte des classes.
Maltraitance pour le doudou d'enfance
Michael Myers a eu à l'origine le visage inexpressif et blanc d'une mort indifférente. Le néant personnifié. La mort en personne en étant neutre et impersonnelle. La désaffection même d'une pulsion immortelle. Cela est fini depuis longtemps. Michael Myers, c'est dorénavant l'enfant brimé par les multiples avatars d'une franchise qui le sadise à outrance comme des parents maltraitants. Dans le sort terrible infligé à ce pauvre Michael Myers (mais laissez-le tranquille !), on reconnaît sans forcer l'enfance maltraitée du spectateur qui n'aura plus jamais peur, compatissant seulement devant un épouvantail aussi déplumé que celui du Magicien d'Oz.
Car, à la fin, qui emporte la mise ? Laurie Strode, cette grand-mère effrayante en jetant à la poubelle son vieux doudou d'enfance.
Le loup et la grand-mère,
reboot à l'envers
Derrière le masque ironiquement moulé sur le visage d'une vedette de la télé (William Shatner), il y a eu un enfant qui a ouvert la boîte de Pandore de la pulsion en devenant moins un fonctionnaire de l'horreur que son col bleu. Le gamin a vieilli et le masque a moisi, mais il y a plus vieux que lui, il y a ses parents qui n'ont rien à offrir à son enfance et la nôtre qu'une pure maltraitance.
C'est pourquoi il y a quelque chose de véritablement terminal dans Halloween Ends, dernier acte du reboot qui se veut le dernier des derniers, c'est promis, c'est juré, c'est craché. L'achèvement est réellement mortifiant quand on en saisit le sens littéralement.
On note déjà que le survivalisme professé par Laurie Strode s'est progressivement effacé au profit des perversités bouchères des arts ménagers. David Gordon Green, petit gars de Little Rock dans l'Arkansas, aura mis du potiron dans son alambic idéologique. Même si cela induisait aussi d'imprégner une ville (fictive) de l'Illinois de l'air poisseux du southern gothic (Haddonfield existe bien mais dans le New Jersey, qui est d'ailleurs la ville d'où est originaire Debrah Hill, cocréatrice de la modernisation du boogeyman avec John Carpenter). Car il est en effet plus facile pour elle de crucifier sur la table de la cuisine ce pauvre Michael que de réussir sa tarte aux potirons promise à sa petite-fille. La cuisine révèle alors qu'elle est un autre bunker, inattendu, et peut-être plus retors.
On remarque ensuite que la confrontation entre deux hypothèses du mal, le mal exogène (sa raison se déduit du jeu des circonstances et des interactions sociales) et le mal endogène (résistant à toute explication psychologique, il est pure métaphysique) débouche sur la hiérarchie suivante. Corey, la victime devenue bourreau (le thème est une obsession infantile du producteur Jason Blum), est d'abord vite dépassé par son maître Michael (la préférence va donc à la métaphysique), avant d'être lui-même ratiboisé par Laurie, la maîtresse (de maison) qui en a (sous la manche ou dans le pantalon, c'est selon) en restant sagement dans sa cuisine. D'ailleurs, son nom au fond aura toujours déjà annoncé la couleur. Strode dit en anglais une marche à grand pas, un nom qui a été aussi celui du grand et sculptural acteur africain-américain de John Ford.
Le récit d'initiation se joue donc à deux vitesses, la petite (Corey) et la grande (Laurie). Mais on n'oubliera pas de préciser que ça fait plus de quarante ans que la seconde est en formation et son apprentissage (huit films sur treize que compte la saga) a fini par payer sur la longueur.
Moralité : ce n'est pas le loup qui a eu raison de la grand-mère mais le contraire. La fin de la métaphysique se joue dans la cuisine. Le reboot qui joue à l'envers le vieux fonds de contes ayant inspiré la saga Halloween se joue de nous en nous la faisant à l'envers.
D'un broyeur l'autre
(de la cuisine à la casse, un placard)
Dans l'épaisse nuit des récits d'initiation évidés par la machine à réinitialisation hollywoodienne, deux ou trois morceaux traînent en bouche. Dans la chair à saucisse d'un film s'ingéniant à faire croire que le découpage vaut dépeçage, on trouve une chanson géniale (Licence to Confuse de Sebadoh), une séquence étonnamment émouvante (la drague dans le supermarché entre Laurie et un vieux copain renouant avec leurs émois d'adolescents), ainsi qu'une volonté d'explicitation générale qui est loin d'être insensée. Car la cuisine est là où tout finit, mais c'est la première partie de la fin, la seconde se jouant dans une casse.
Les citations de Christine (1983) de John Carpenter sont opportunes en insistant sur le fait que le cinéma des années 70-80 a pour casse originelle la crise industrielle et la casse de la classe ouvrière. Comme la Plymouth 1957 est sortie des chaînes rouges sang du fordisme (pas John Ford mais Henry Ford), Michael Myers est l'antique croquemitaine dont l'habit est un bleu de travail récupéré d'un chantier.
Michael Myers est un col bleu du slasher et il aura été en cela toujours déjà précédé par le Leatherface de Massacre à la tronçonneuse (1974) de Tobe Hooper, le fils d'une dynastie ouvrière désœuvrée avec l'abandon des abattoirs. Pour Jordan Peele, le cinéma d'horreur a pour hantise la forclusion de la race ; pour David Gordon Green, son objet est un refoulé de classe. C'est pourquoi le rituel final et cathartique improvisé dans Haddonfield est un cérémonial dédié à l'ouvrier qui a bien travaillé et à qui l'on doit certains égards. Du broyeur de la cuisine à celui du garage, le slasher broie l'épais sang noir d'une culpabilité qui ne cessera pas comme cela de produire ses effets. La suite annoncée de L'Exorciste explicite parfaitement à quel type d'exorcisme on a affaire.
Halloween Ends raconte alors aussi comment Hollywood finit : de la cuisine à la casse qui est un placard pour la lutte des classes.
Poursuivre la lecture
- Des Nouvelles du Front, « Masques blancs, peau noire. Les visages de Watchmen : Interview de Saad Chakali », Le Rayon Vert, 9 avril 2021.
- Jérémy Quicke, « Batman Begins de Christopher Nolan : Le Masque aux deux Visages », Le Rayon Vert, 10 mai 2019.