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Félix Lefebvre et Benjamin Voisin sur la moto dans Été 85
Critique

« Été 85 » : François Ozon dans sa bulle

Thibaut Grégoire
Dans sa photographie, son montage, son utilisation de la musique, dans le jeu des acteurs ou encore dans sa direction artistique, « Été 85 » de François Ozon a tout d’une chronique adolescente mélancolico-passéiste. À la fois simple et arty, elle ressemble à une sorte de revisite mal digérée de « Conte d’été » par l’équipe de « Plus belle la vie ».
Thibaut Grégoire

« Été 85 », un film de François Ozon (2020)

Toute la construction et tout l’enjeu dramatique d’Été 85, le dernier François Ozon, reposent sur un mensonge par omission fait au spectateur lors de l’ouverture du film. On y voit un jeune garçon (Alex) menotté et traîné dans les couloirs d’un commissariat par un policier en uniforme tandis que se fait entendre la voix-off du même Alex. Dans les phrases prononcées par cette voix-off surnagent deux mots – « mort » et « cadavre » –, répétés ad nauseam, comme pour induire directement dans l’esprit du spectateur qu’il s’apprête à être le témoin d’un drame, quand bien même l’image suivante – une plage par beau temps sur laquelle s’imprime le titre en orange fluo, le tout accompagné d’un riff de guitare pop – viendra démentir cet avertissement. Au-delà de la balourdise du procédé, encore appesanti par un regard caméra et une adresse au public en mode faussement dissuasif, cette introduction recèle également une fausse promesse ou un faux précepte puisqu’elle induit sans avoir l’air d’y toucher, et avec toutes les précautions pour s’en défaire, que le personnage que l’on vient de voir est – directement ou non – responsable de la mort de quelqu’un, ce qui s’avèrera au bout du compte inexact. Ces deux premières minutes sont caractéristiques d’un film et de la démarche d’un cinéaste qui ne cessent de souffler le chaud et le froid dans un but de déstabilisation du spectateur mais d’une manière tellement systématisée, tellement théorique, qu’elle en devient comique. On a bien compris qu'il y a chez François Ozon un goût pour les contrastes et les faux-semblants, mais Été 85 en est trop plein, au point de revêtir l’aspect d’une énorme contradiction en soi. Un peu comme si un bonbon acidulé voulait se faire passer pour de la mort au rat.

Dans sa photographie, son montage, son utilisation de la musique, dans le jeu des acteurs ou encore dans sa direction artistique, Été 85 a tout d’une chronique adolescente « mélancolico-passéiste », à la fois simple et « arty », comme une sorte de revisite mal digérée de Conte d’été par l’équipe de Plus belle la vie. Mais dans ses dialogues et au fil de son action, le film dévoile – comme « promis » par sa scène prégénérique – une face a priori cachée : tout un sous-texte de morbidité et d’obsession pour la mort. Au gré de la petite bluette inoffensive qui se déroule sous nos yeux – la rencontre entre deux jeunes garçons dans une station balnéaire normande et la naissance d’une amitié de plus en plus amoureuse – sont donc disséminés des éléments dissonants tels que l’évocation de la fascination d’Alex pour la mort ou encore la demande que lui fait son ami-amant David d’aller danser sur sa tombe si jamais il mourait avant lui. Été 85 n’est véritablement traversé que par cette idée-là, celle du contraste entre le vivant et la mort, entre un aspect général toujours étincelant et pop et un sous-texte morbide, entre la chronique légère et le drame à tendance existentialiste. Le problème n’est pas tant que le film ressasse une seule idée jusqu’à l’usure mais plutôt qu’il utilise pour ce faire des procédés de plus en plus lourdingues, charriant au passage des références elles aussi moribondes.

Félix Lefebvre et Benjamin Voisin au parc d'attraction dans Été 85
© Mandarin Production - FOZ - France 2 Cinéma - Playtime Production - Scope Pictures

Ainsi, aux scènes « romantiques » entre Alex et David, souvent filmées en extérieur et faites de dialogues déclamés dans un style réaliste ou naturaliste, Ozon oppose des scènes d’intérieur lorgnant beaucoup plus clairement vers le théâtre boulevardier, notamment à travers les personnages d’adultes – les parents d’Alex joués par Isabelle Nanty et Laurent Fernandez, et la mère de David jouée par Valeria Bruni Tedeschi – lesquels semblent presque évoluer dans un autre film. On l’aura bien compris, tout cela est voulu et est mis en place uniquement dans le but d’élaborer des contrastes, la « grande » idée du film. Si les références au cinéma de plage – pas uniquement celui de Rohmer, mais probablement aussi le plus « populaire » – et au théâtre de boulevard sont déjà particulièrement appuyées et mal retranscrites, le clin d’œil direct le plus pénible est encore carrément la redite d’une scène « culte » de La Boum lorsque, dans une boîte de nuit, David pose sur les oreilles d’Alex un casque lui retransmettant une musique au rythme plus lent et apaisé. Dans le film de Claude Pinoteau, le jeune garçon accomplissant ce geste restait avec la jeune fille pour danser avec elle sur un slow mémorable ; dans Été 85, David laisse Alex se créer tout seul sa bulle hors-réalité pour continuer à danser sur des rythmes trépidants. François Ozon s’érige doublement en petit malin dans cette scène involontairement drôle : non seulement il inclut dans son cinéma forcément « noble » une référence ultra-populaire, se donnant par là un beau rôle d’esprit ouvert mais en plus, en détournant cette référence, il pense lui donner une signification bien plus forte, se détournant donc du premier degré de la scène de référence, qu’il juge probablement trop naïve.

À force de manier et de détourner les références, les scènes obligées, de vouloir à tout prix opposer des clichés à d’autres, dans le fond comme dans la forme, François Ozon s’emmêle les pinceaux. Et lorsque, justement, son personnage principal, dans le dernier acte du film, exécute la fameuse danse macabre promise à son amant lors d’une scène précédente, le point d’orgue dramatique qu’elle devrait constituer n’advient pas, le spectateur étant in fine plongé dans la perplexité la plus totale. Cette scène est-elle sérieuse ou pas ? Est-on censé éprouver de l’empathie pour Alex qui danse sur la tombe de son amant ou bien doit-on le laisser dans sa bulle et continuer à danser à notre propre rythme comme l’aurait fait David ? À force d’avoir dit et montré tout et son contraire, d’avoir soufflé le chaud et le froid, d’avoir voulu pousser à l’extrême sa théorie des contrastes, François Ozon a tout juste donné naissance à un film instable qui, tout comme le spectateur à sa vision, ne sait pas sur quel pied danser.

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