« Esther 2 : Les Origines » de William Brent Bell : Le secret derrière la grille
Esther 2 : Les Origines déjoue le programme attendu du home invasion en se montrant bien plus riche que le premier volet de la franchise. Les valeurs familialistes sont retournées comme une crêpe et se révèlent opérantes qu'en apparence. Le film est aussi sous influence hitchcockienne dans la manière dont le désir et les pulsions sexuelles et/ou morbides le traversent.
« Esther 2 : Les Origines » (Orphan : First Kill), un film de William Brent Bell (2022)
Un prequel, encore un, pour surfer sur le potentiel commercial d'un concept, signe de la mauvaise santé et du manque d'imagination du cinéma hollywoodien ? Pas vraiment. Contre toute attente, Esther 2 : Les Origines déjoue le programme attendu du home invasion en se montrant bien plus riche que le premier volet de la franchise. Celui-ci n'a pourtant rapporté que 77 millions de dollars, difficile de parler d'un film culte même si Esther a rencontré son public, notamment en France. Le pari était donc un peu risqué d'autant plus que l'idée était de conserver Isabelle Fuhrman dans le rôle d'Esther, neuf ans en apparence, alors que la jeune femme avait vingt-trois ans au moment du tournage, soit onze ans de plus que dans Esther. L'illusion a été rendue possible grâce à deux doublures et à une débauche d'effets spéciaux pour rendre plus juvénile encore le visage d'Isabelle Fuhrman. Esther 2 : Les Origines rencontre actuellement un échec cuisant au Box-office et c'est bien dommage car le film de William Brent Bell, dans la masse indolore des prequels, sequels et reboots qui polluent la production hollywoodienne, s'impose peut-être comme un des films les moins paresseux et le moins dépendant du fan service.
Comme son titre l'indique, Esther 2 : Les Origines s'ouvre là où tout a commencé, en Estonie, dans l'asile psychiatrique duquel Leena (Isabelle Fuhrman) s'enfuit avant de prendre l'identité d'Esther Albright, une enfant américaine disparue depuis quatre ans. En s'arrangeant pour être retrouvée par la police, elle retourne alors dans "sa" famille. On pouvait alors craindre, comme dans le premier film, la répétition du home invasion, ce sous-genre où il est très facile de se planter si on adopte un récit trop linéaire, à l'instar du revenge movie. En effet, qu'est-ce qu'il y a de plus attendu et de plus stéréotypé que l'histoire d'un personnage qui va réussir à exécuter son plan et éliminer tous les obstacles qui le gênent ? À l'exception de son twist final et de son goût pour la morbidité, c'était déjà la faiblesse d'Esther qui respectait à la lettre un cahier de charges reposant notamment sur l'augmentation graduelle de la tension et de la violence. Dans Esther 2 : Les Origines, ce programme est déjoué à la moitié du film lorsque la mère, Tricia (Julia Stiles), qui a très vite compris qu'elle n'avait pas retrouvé sa véritable fille, aide Esther à maquiller le meurtre du détective et la menace si elle ne continue pas à jouer son rôle sous peine de briser une seconde fois Allen, le père (Rossif Sutherland), qui n'y voit que du feu. La mère et Esther, mais aussi le fils Gunnar (Matthew Finlan), deviennent partners in crime façon Breaking Bad.
Ce retournement narratif en entraînera bien d'autres, comme celui où Esther échoue à tuer Tricia à la gare à cause d'un autre passager. Bien sûr, comme attendu, Esther 2 : Les Origines se terminera par la mort de toute la famille, mais ce sont d'abord la mère et le fils qui veulent se débarrasser une bonne fois pour toute d'Esther. Contrairement à beaucoup de films américains majeurs, les valeurs familialistes (les relations parents-enfants, l'innocence de l'enfance, etc.) sont retournées comme une crêpe et le modèle se révèle n'être opérant qu'en apparence. Par là, Esther 2 : Les Origines s'inscrit dans une grande tradition critique du cinéma américain et, surtout, redonne au film d'horreur cette vocation qu'il ne porte pas toujours ces dernières années, même dans le home invasion qui souvent se place du côté des victimes luttant contre les manifestations du mal. Le film de William Brent Bell se montre beaucoup plus sombre que bien des films d'horreur où le bien et le mal s'opposent malgré tout, même dans un classique du genre comme Halloween de John Carpenter (1978).
Dans Esther 2 : Les Origines, le home invasion est donc mis en crise et, contrairement au premier film, la personnalité de Leena/Esther est également plus nuancée. Deux séquences du film le montrent bien. Lorsqu'Esther décide de s'enfuir de la maison une première fois, elle regarde en arrière et voit Allen en train de peindre dans son atelier. Elle ressent alors quelque chose à cet instant précis — une attirance ou un sentiment de l'ordre de l'amour (!?) — et décide de rebrousser chemin. Dans Esther, son plan était déjà d'éliminer la famille pour vivre avec le père. C'est donc une question de désir tout à fait logique pour une femme qui a en réalité 31 ans. La seconde nuance apparaît dans l'affection qu'elle porte au rat qui séjourne derrière la grille du conduit d'aération de sa chambre. Elle le nourrit et on pense un moment qu'elle va le tuer par pure cruauté, mais pas du tout, c'est au contraire la mère qui va l'empoisonner avec une grande dose de somnifère et provoquer la tristesse d'Esther. Rien à voir avec le premier film où cette dernière achève un oiseau et initie les autres enfants de la famille à la mort et la violence à venir (un cliché du home invasion).
Comme d'autres cinéastes de la même génération, par exemple Ti West qui lui aussi réintroduit du désir au cœur de la monstruosité, on pourrait évoquer une influence hitchcockienne. Celle-ci ne se manifeste pas par le recours au "suspense hitchcockien", étiquette passe-partout et loin d'englober les subtitilités du cinéma d'Hitchcock, mais, bien évidemment, dans la manière dont le désir, les fantasmes et les pulsions sexuelles et/ou morbides traversent les films et caractérisent les personnages, comme dans Vertigo, Psychose ou Fenêtre sur cour. On retrouve cette inclination dans la franchise Esther à travers le désir de la jeune femme pour le père, ou du moins l'homme de la famille. On notera également un intérêt similaire pour les espaces hitchcockiens comme les maisons de maître avec leur cage d'escalier (on en retrouve chez Ti West et ailleurs) ou le toit, là où se conclura Esther 2 : Les Origines, en référence à Vertigo (le vertige) et, d'une certaine manière, à Fenêtre sur cour car c'est à ce moment que l'éclat du réel (le moment où Esther perd son dentier) fait basculer le regard d'Allen qui jusqu'alors était à distance et protégé par une illusion.
Esther est peut-être ainsi une belle créature hitchcockienne : une psychopathe qui, comme Norman Bates, ne sera pas coupée de son terreau fantasmatique. Que recherche-t-elle ? Lorsqu'elle découvre sa nouvelle maison, elle se dirige spontanément vers un présentoir où sont posés plusieurs objets de collection qui ressemblent à des easter eggs, c'est-à-dire ce fameux secret que certains concepteurs de jeux vidéo cachent dans leurs créations, ce sur quoi est basé par exemple toute l'histoire de Ready Player One de Steven Spielberg (2018). Soit, en littérature, la fameuse image dans le tapis de Henry James. Le lien avec cette idée pourrait fonctionner car Esther ne se sépare jamais d'un vieux livre dont le contenu reste nébuleux. Quel serait le secret d'Esther ? Veut-elle simplement rencontrer l'amour, en la personne de différents hommes mariés, et refouler sa propension à la violence ? Cherche-t-elle simplement un père de substitution avec lequel développer une relation fusionnelle ? Dans ce cas, Esther 2 : Les Origines ne serait plus un film critique et reproduirait le modèle du paternalisme américain, sauf que le côté pervers et morbide de la situation en annule la reconduction. Bref, de ses origines et de l'origine de son secret, on en saura pas beaucoup plus sur Esther. Au vu de l'échec du film au Box-office, il y a peu de chance qu'on reçoive un jour des éléments de réponse et il reste alors au spectateur à réfléchir à ce que peut bien cacher le livre d'Esther.