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Critique

Sans égard pour la brûlante actualité, l'exercice critique au Rayon Vert tient alternativement plus de la crise, de la pesée ou de la criée que du jugement lancé depuis une quelconque chaire du bon goût.

Paul Atréides (Timothée Chalamet) et sa mère dans le désert dans Dune
Critique

« Dune » de Denis Villeneuve : Une vocation de marbre

16 septembre 2021
Dune : le serpent de mer est un ver des sables. Le monument de la science-fiction glisse entre les doigts des amateurs de l'épice d'Arrakis désirant la convertir en poussières d'or. Le temps des mues nouvelles pilotées par Denis Villeneuve donne l'occasion de faire le point vérifiant le rapport profond, esthétique et politique, des tentatives d'adaptation de l'inadaptable cycle de romans de Frank Herbert avec leur contexte de production, industriel autant qu'historique.
Un révolutionnaire s'attaque aux bourgeois dans Nouvel Ordre (New Order)
BRIFF

« Nouvel ordre » de Michel Franco : Rien de neuf sous l’éternel soleil de la misanthropie

7 septembre 2021
Avec son titre ironique, son Mexique dystopique et sa vision extrêmement noire et désespérée du monde et de la nature humaine, Nouvel ordre de Michel Franco semble tout faire pour parer à la moindre critique et au moindre débat. Il est en quelque sorte le point culminant d’un cinéma de la misanthropie qui échappe à toute tentative de décantation et ne cultive aucun mystère. Tout est dit, tout est montré. Le film devient alors une démonstration.
Aïda (Jasna Djuricic) parle au microphone devant la foule dans La voix d'Aïda
BRIFF

« La Voix d'Aïda » de Jasmila Žbanić : Tu parles dans le vide, Aïda !

6 septembre 2021
La Voix d'Aïda retrace très classiquement le chemin de croix de son personnage principal pour en faire un énième porte-drapeau d'un cinéma humanitaire qui repose essentiellement sur la prise en otage d'un spectateur paralysé par les enjeux dramatiques du film et la fidélité de sa reconstitution historique. Celui-ci s'inscrit pleinement dans la tradition des films réalistes et dénonciateurs qui s'intéressent aux tragédies de l'Histoire à travers le destin de martyrs cinématographiques.
France De Meurs (Léa Seydoux) sur un plateau de télévision dans France
Critique

« France » de Bruno Dumont : Gloria Mediatica Mundi

2 septembre 2021
France de Meurs n'est pas que le nom rigolo d'une vedette de télévision fictive, c'est surtout celui d'une allégorie qui associe à la défense d'une certaine idée de la France le combat nécessaire à dissocier du spectacle qui en travestit l'essence le cinéma qui en délivre la rédemption. France est une satire féroce dont l'acerbité est si outrée qu'elle voudrait rendre gorge aux artifices de la représentation, mascarade et cosmétique. Le scénario du pardon accordé aux blessures de la pulsion s'y impose cependant avec le naturel de la tradition opposant les tragédies du pays réel aux farces des liturgies médiatiques : la France meurt d'être un simulacre déraciné, sa vérité demeure ancrée dans la terre qui, elle, ne ment jamais.
Les ouvriers en révolte dans Chers Camarades !
Critique

« Chers Camarades ! » d'Andreï Kontchalovski : Il faut sauver le cinéma soviétique

30 août 2021
Pour son vingt-troisième long-métrage, Andreï Kontchalovski se retourne vers l’époque de sa jeunesse, l’URSS des années 60, en réalisant un projet qu’il cogite depuis 25 ans. Relatant le massacre des ouvriers de Novotcherkassk perpétré en juin 1962 par le KGB et passé sous silence pendant 30 ans, Chers Camarades ! n’est pas seulement un récit dénonciateur des crimes du régime soviétique. Kontchalovski en profite pour rallumer la flamme du cinéma soviétique à son meilleur.
Samad (Payman Maadi) passe devant les prisonniers dans La Loi de Téhéran
Critique

« La Loi de Téhéran » de Saeed Roustaee : Bulldozer efficace

3 août 2021
Dans La Loi de Téhéran, la parole est omniprésente et constitue le symptôme d'un système qui semble être devenu incontrôlable. Saeed Roustaee adresse par là sa critique la plus cinglante aux différents rouages de la société iranienne alors que ce bulldozer administratif semblait au contraire être sa force : le cinéaste prend ainsi au piège la censure et l'administration en jouant par l'absurde avec ce qu'elles estiment être leur force, à savoir l'efficacité de leur fonctionnement. On peut néanmoins regretter que La Loi de Téhéran prenne les allures d'une démonstration de force, à l'image du bulldozer administratif que décrit le film. Mais avait-il d'autres choix ?
Margot Robbie, Peter Capaldi, Idris Elba, Joel Kinnaman et John Cena marchent sous la pluie dans The Suicid Squad
Critique

« The Suicide Squad » de James Gunn : Transgresser pour conserver

1 août 2021
L'intérêt de The Suicide Squad relève de la symptomatologie. La spectaculaire parodie du film de super-héros tourne à plein régime en logeant son noyau de sérieux en travers de la gorge : quand les apparences de la débilité ne contredisent pas son essence, la transgression représente le stade suprêmement régressif d'une très pénible conservation. L'idéologie aime à nous raconter des histoires mais elle persévère à ne mentir jamais. America is back reste le credo des blasés clamant qu'ils n'en sont pas dupes tout en y tenant comme à la prunelle de leurs yeux.
Crista Alfaiate et Carloto Cotta cueillent des fruits dans Journal de Tûoa
Critique

« Journal de Tûoa » de Miguel Gomes et Maureen Fazendeiro : Le ver est dans le fruit

23 juillet 2021
Tûoa est une anagramme, l'équivalent français du portugais Otsoga. Tûoa est un sésame pour l'éden d'un cinéma retrouvé d'avant le grand partage des eaux de la fiction et du documentaire, celui dont film après film rêve Miguel Gomes. Journal de Tûoa se veut une réponse du cinéma au confinement, une déclaration d'intention simple et vitale pour le cinéma expérimenté comme le partage communautaire d'une bouffée d'air frais, un milieu charnel faisant coïncider la fiction avec le documentaire. Le film se révèle cependant faussement modeste et vraiment confiné, colonie de vacances et fête privée dont la réclame est mimée pour le bénéfice ostensible de son vaniteux publiciste.
Henry (Adam Driver) et Ann (Marion Cotillard) s'embrassent dans Annette
Critique

« Annette » de Leos Carax : Mauvais chant

17 juillet 2021
Dans ce double texte, nous revenons sur les multiples problèmes posés par Annette. On a longtemps cru que Leos Carax était le gardien d’une certaine poésie bricolée, Vigo, Godard, Cocteau, à l’heure du tournant publicitaire du cinéma français représenté par Jean-Jacques Annaud, Luc Besson et Jean-Jacques Beineix. On comprend qu’il y a un lourd tribut à payer pour l’artiste maudit ayant conscience d’être un homme du ressentiment. Si Annette a des étoiles qui brillent au fond des yeux, c’est dans la brillance publicitaire des logos : un cinéma qui est tout dans son image, fait corps avec elle, interdit toute autre image, un cinéma du carton, de la pancarte, de l’homme sandwich qui vend sa misère au plus offrant. Et Leos Carax serait un réalisateur qui se pense hors du commun (à travers le cinéma comme la figure de l’artiste maudit) quand il a tout du commun.
Titane couchée sur une voiture lors du salon de Titane l'auto au début de
Critique

« Titane » de Julia Ducourneau : Cadavre exquis

14 juillet 2021
Trop-plein, protéiforme, tantôt attendu tantôt imprévisible, le second long métrage de Julia Ducourneau s’achemine d’un terrain vers un autre en convoquant la mutation des genres, tant sur le plan cinématographique que sexuel. En détournant les clichés et les fantasmes sexuels les plus tenaces, et en en faisant de même avec la figure paternaliste de l’acteur Vincent Lindon, Titane laisse une première impression très incertaine, mais incite à creuser encore dans l’œuvre à venir de la cinéaste.
Virginie Efira au milieu de soldats dans Benedetta
Critique

« Benedetta » de Paul Verhoeven : Entre cloaque et comète

13 juillet 2021
La jouissance des mystiques est certaine comme est certain qu'elles et ils n'en savent rien. La raison dans l'Histoire est une fable qui ne marche qu'après coup en ressemblant surtout à un grand corps malade, un corps furieux qui ne sait pas ce qu'il peut, un corps qui jouit parce qu'il préfère s'en faire des images plutôt que d'en avoir un savoir. L'écart entre la jouissance et son savoir fonde le cinéma de Paul Verhoeven tendu entre parodie kitsch et naturalisme scatologique et c'est un abîme au bord duquel danse Benedetta, entre cloaque et comète.
Onoda camouflé dans la jungle dans Onoda
Critique

« Onoda » d'Arthur Harari : Écrit sur du vent

7 juillet 2021
L'originalité d'Onoda, le deuxième film d'Arthur Harari, tient au fait qu'il présente le récit écrit et documenté du soldat japonais comme un mythe dont les fondements reposent sur du vent et sur une forme de spectralité que le cinéaste explore de différentes manières. Ce texte raconte ainsi une histoire de fantôme proprement cinématographique plutôt que la reconstitution biographique attendue d'un personnage à part entière.
Millie (Kathryn Newton) avec le serial killer Barney (Vince Vaughn) dans Freaky
Critique

« Freaky » de Christopher Landon : Entre genres et genders

6 juillet 2021
Freaky, s'il n'a pas l'ambition d'être autre chose qu'un film de commande destiné aux adolescents, s'amuse habilement à déconstruire les stéréotypes de genres en faisant permuter les identités de ses deux protagonistes principaux. Bien qu'il peine à se montrer réellement subversif, le film de Christopher Landon dénonce, sans jamais tomber dans les travers du film à charge, les comportements sexistes à travers la réutilisation des clichés les plus dépassés du teen movie.
Trond Fausa Aurvåg devant une maison dans le désert dans Norway of Life
Critique

« Norway of Life » de Jens Lien : Phantom of the IKEA Paradise

23 avril 2021
Norway of life (2006), premier film de Jens Lien, entendait sans doute jeter les bases, au début des années 2000, d’un nouveau type de cinéma contestataire, dénonçant ce qu’il conviendrait d’appeler l’ikéaisation de nos sociétés. Un monde étrange dans lequel se trouve plongé Andréas, où tout est à disposition — emploi, femme, maison — duquel aucune échappée n’est possible, malgré un plan d’évasion qui s’apparentera finalement davantage à un plan de montage d’un meuble Ikéa où tout est, malheureusement, joué d’avance.
Gemma (Imogen Poots) et Tom (Jesse Eisenberg) avec leur enfant devant leur maison dans Vivarium
Critique

« Vivarium » de Lorcan Finnegan : The Ikea Horror Picture Show

16 avril 2021
« Ranger fait de la place à la vie », dit une publicité Ikéa de 2020, sur le titre de Betty Hutton, « It’s Oh So quiet ». Un grand ménage de printemps qu’entend faire tranquillement Vivarium de Lorcan Finnegan, la même année, ou comment un jeune couple sympathique, parce que plein d’espoir encore en ce bas-monde qui ne finit pourtant pas de crever, est en quête de son Graal personnel : s’installer confortablement dans une maison. Rêve de toute une génération qui les conduira irrémédiablement aux confins de l’horreur sociale du tout consumérisme, ikéaisation de la société que le film entend (prétendument) dénoncer quand il en conforte les présupposés.
Bill Murray et Rashida Jones boivent un cocktail dans On The Rocks
Critique

« On The Rocks » de Sofia Coppola : True lies, false life

15 mars 2021
Dans son dernier film, On the Rocks (2020), Sofia Coppola, à travers la crise existentielle que traversent un père et sa fille, semble reprendre et corriger Lost in translation en un procès qui tourne mal, et pour ses personnages et, peut-être aussi et surtout, pour son film comme son cinéma.
Dick Johnson mis en scène dans une fausse mort dans Dick Johnson is Dead
Critique

« Dick Johnson is Dead » de Kirsten Johnson : Quand les images ressuscitent

26 février 2021
« Dick Johnson is Dead » (disponible sur Netflix) met en scène une série de morts imaginaires de Dick Johnson tout en révélant constamment ses artifices. Derrière cet aspect ludique, les images témoignent plus que jamais de leur capacité à transformer un individu quelconque en un personnage de cinéma doté d'une certaine forme d'immortalité. Mais cette tentative a aussi ses limites et, dans le cadre d'un film documentaire, pose des questions sur la place du réel dans un film qui ne cesse de vouloir le contourner.
Tom (Tom Hanks) et Cigale (Helena Zengel) sur la route dans La Mission
Critique

« La Mission » de Paul Greengrass : Sors de ce corps, John Ford !

17 février 2021
Il était une fois, cinq ans après la fin de la guerre de sécession, en l’an 1870, l’histoire de Tom, ancien soldat de l’armée des confédérés, un sudiste qui n’en a pas l’air, traversant le Sud des États-Unis, journaux en main qu’il lit le soir venu chaque fois devant une assemblée différente, leur apportant les nouvelles d’un monde que les gens du Sud ne connaissent pas, d’un pays si vaste qu’on dirait l’univers porté à ses confins. Tom leur lit le Times, mais comment être à l’heure de l’histoire, au rendez-vous d’une nation quand deux Amériques, celle du Sud, celle du Nord, ne se trouvent ni sur le même fuseau horaire ni, au fond, sur la même planète ? Voici donc La Mission (Paul Greengrass, 2021) de Tom, éduquer ce peuple du Sud à la communauté, ce peuple qui n’en forme pas encore un avec celui du Nord, l’éveiller tout autant à la conscience démocratique, rejouant la naissance d’une nation, mais sur le terrain de John Ford que Paul Greengrass entend dépasser problématiquement.
Amélie Poulain (Audrey Tautou) au cinéma dans Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain
Critique

« Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain » : Paris, asile de fous (ou Le Cabinet du Dr. Jeunet)

11 février 2021
Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain est considéré par beaucoup comme un film optimiste, utopique ou joyeux. Or, tous les personnages sont victimes d’une psychopathologie ou d’une névrose : le film est par là un grand cabinet de curiosités. Dans un Paris recréé de toutes pièces, Jean-Pierre Jeunet ouvre les portes d'un gigantesque asile de fous dans lequel déambulent des malades de toutes sortes et où il est loin de faire bon vivre.
Jessie Buckley dans la maison de ses parents dans Je veux juste en finir
Critique

« Je veux juste en finir » de Charlie Kaufman : Les nuits blanches de Jake

25 janvier 2021
Je veux juste en finir raconte l’histoire de Jake, un personnage qui projette sa propre vie en la recréant de manière distordue sous l’effet de sa dépression comme on se raconte à soi-même des histoires pour tenir/dormir debout, des histoires fantastiques dont le film de Charlie Kaufman nous rappelle que le prodigieux qu’il produit comme l’effet de surnaturel induit n’est jamais rien d’autre qu’un trou dans le réel donnant lieu à un combat acharné, celui mené par Jake, afin de le résorber en une lutte sans donjons ni nécessairement dragons mais avec ses propres démons. Je veux juste en finir, film de chevalerie ? Sans doute un film mental qui serait un grand film d’action, réactivant la pratique archaïque mais aussi moyenâgeuse de l’ordalie comme forme d’auto-procès et d’auto-jugement de sa vie. Un film singulier, dont il faudrait également tenter une ressaisie à l’égard de l’histoire des formes comme des tendances qui se dégagent de cette année 2020.
Mank (Gary Oldman) en pleine réflexion dans Mank
Critique

« Mank » de David Fincher : ou Mank dit Mankélévitch le scénariste extra-lucide

16 décembre 2020
Dans Mank, David Fincher continue de (nous faire) croire aux puissances du récit comme dans ses œuvres précédentes. Il s’efforce une nouvelle fois de déplacer notre regard de spectateur trop longtemps porté, cette fois-ci, sur une légende du cinéma comme de « son » supposé chef d’œuvre Citizen Kane, pour le délocaliser vers celui qui en serait le véritable créateur, Herman Mankiewicz. Débute alors une enquête sur la psyché de l’Homo Americanus le Festivus, qui voudrait s’efforcer d’en dire les trous comme la mémoire.
La première vache arrive sur terre dans First Cow
Critique

« First Cow » de Kelly Reichardt : Entre terre et ciel

13 novembre 2020
Avec « First Cow », Kelly Reichardt et sa poétique rappellent que l'homme est un être qui s'enracine dans l'ensemble du vivant et, comme toujours dans son cinéma, le transcende pour le pire (l’appât du gain, la propriété et la bêtise) mais surtout pour le meilleur : une histoire d'amitié comme seule la cinéaste sait les filmer, tel un astre brillant entre terre et ciel.
Brad Dourif dans Le Malin
Critique

Pourvu qu'on ait l'ivresse : « Le Malin » (1979) et « Au-dessous du volcan » (1984) de John Huston

11 novembre 2020
Pour l'inégal John Huston, l'important n'aura pas été d'être constant sauf dans l'échec. Certains de ses meilleurs films ont réussi à accéder à la vérité de l'échec quand tant d'autres y auront, parfois dans les grandes largeurs, échoué. L'échec serait un cliché hustonien égal à l'incommunicabilité pour le cinéma antonionien s'il n'y avait pas, en effet, les quelques grands films qui ont vu la terrible vérité de l'échec qui est la fêlure dont on fait un destin – fêlure de l’homme qui échoue aveuglément à sortir de la religion de la sortie de la religion dans « Le Malin » (1979) ; fêlure du représentant diplomatique doublé du bouffon visionnaire et alcoolique de « Au-dessous du volcan » (1984).
Kim Min-hee dans la rue avec son parapluie dans La Femme qui s'est enfuie
Critique

« La Femme qui s’est enfuie » de Hong Sang-soo : Femmes entre elles (et puis l’homme entra)

25 octobre 2020
Le cinéma de Hong Sang-soo ressemble toujours plus à un jardin citadin et son jardinier y entretient un parterre fleuri de fugues féminines tout en tenant au respect du secret de leur racine. En son centre rayonne la fleur Kim Min-hee dont l’exil intérieur est une dette dont tenteraient de s’acquitter les derniers films de son compagnon. La Femme qui s’est enfuie cristallise les piétinements du jardinier endetté auprès de la plus belle de ses fleurs tout en persévérant à entretenir la préservation d’un privilège masculin indispensable à la fiction. Ce texte, écrit à trois plumes, installe une dialectique autour de trois points que le texte soulève.
Martin (Mads Mikkelsen) boit une bouteille de Champagne dans Drunk
Critique

« Drunk » de Thomas Vinterberg : La danse du demi-gramme

14 octobre 2020
Contrairement à son personnage principal incarné par Mads Mikkelsen, « Drunk » de Thomas Vinterberg évite de se prendre un mur. Le film finit en effet par montrer que l’expérience faite par les quatre protagonistes n’était pas tout à fait vaine, absurde, ou même dangereuse, mais qu’elle les avait bel et bien plongés dans un pur état d’allégresse, évitant ainsi un côté programmatique et moralisateur que le film laissait par moments entrevoir.
Ondine (Paula Beer) et Christoph (Franz Rogowski) dans la piscine dans Ondine
Critique

« Ondine » de Christian Petzold : De la nixe au grand noir

13 octobre 2020
Ondine prévient Johannes qui veut la quitter : s'il part, il doit mourir, il ne peut en être autrement. Ainsi s'exprime Ondine qui, quand elle n'est pas conférencière au Sénat de Berlin qu'elle fait visiter en docteure en histoire et spécialiste de l'urbanisme de la capitale allemande, croit secrètement aux obligations mythiques de son prénom. La croyance d'un destin mythique est un appel ensorcelant à quitter les surfaces de la raison mais il n'y a qu'une brasse entre l'attrait des profondeurs et la liquidation des miroirs de l'histoire.
Niels Schneider (Maxime) et Guillaume Gouix (Gaspard) se promènent dans Les choses qu'on dit, les choses qu'on fait
Critique

Fini de rire : « Énorme », « Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait » et « Antoinette dans les Cévennes »

1 octobre 2020
Les comédies ont du caractère quand elles s'en amusent comme d'un masque. Elles se trahissent tragiquement quand le jeu qui fait rire du caractère s'apparente à une faute douloureuse qu'il faudrait naturellement assumer – faute monstrueuse de renier l’appel de la maternité dans Énorme de Sophie Letourneur ; faute idéaliste de croire en l’amour alors qu’il faudrait savoir y renoncer dans Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait d'Emmanuel Mouret ; faute morale de persévérer dans l’ânerie d’une liaison adultère avec Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal. Preuve par trois où l'on verra cependant qu'un âne peut braire en exprimant la triste vérité des résignations de la comédie française actuelle comme, plus généralement, des renoncements caractérisant l'époque.
La scène du bûcher dans Lux Aeterna
Critique

« Lux Aeterna » : La Béatrice de Gaspar Noé

28 septembre 2020
Une nouvelle fois, Gaspar Noé prouve avec Lux Aeterna qu'il est le batracien préféré du cinéma français, la grenouille franchouille qui enfle du rêve juvénile d'être un bœuf du cinéma mondial. S'ingénier à vouloir à chaque film donner raison à la fable proverbiale de Jean de La Fontaine a un coût, celui de l'épate et de l'éclate dont les coups font pschitt quand ils ne font pas plouf.
Emma et Anaïs couchées dans un champ dans Adolescentes
Critique

« Adolescentes » de Sébastien Lifshitz : Divergentes

18 septembre 2020
Pendant cinq années, Sébastien Lifshitz a filmé la vie de deux amies, Emma et Anaïs, de la fin joyeuse des années collège aux ouvertures incertaines de l'après-bac. Le documentaire au long cours extrait d'un matériau de 500 heures de rush insiste à se présenter comme une chronique toute en sensibilité trouvant dans la durée le moyen de rendre perceptible ce qui caractérise l'adolescence intimement, soit un processus, un développement (alesco), une poussée vers (ad) – un élan. Coupé par la litanie des banalités de base de l'adolescence servie dans les grandes largeurs par un documentaire rêvant de « ciné », l'élan se retrouverait davantage du côté d'un montage dédié à la compréhension des forces obscures qui épuisent une belle amitié.
Ishii Yuichi et Mahiro Tanimoto dans Family Romance LLC
Critique

« Family Romance, LLC » de Werner Herzog : De la simulation des signes de vie

15 septembre 2020
La fiction a le désir du réel jusqu'à la contradiction quand la simulation n'en a plus le besoin. Le réel a été l'affaire d'une vie pour Werner Herzog ; avec « Family Romance, LLC » tourné au pays du Soleil-Levant il est temps de lui faire ses adieux. Mais le deuil est lui-même soupçonné ironiquement de simulation qui dépolarise et le documentaire et la fiction rendus à n'être plus que l'ombre d'eux-mêmes, une gélatine qui bloblote dans l'empire du simulacre et ses tautologies. Que faire alors d'un film dont le spectateur lui-même figure le dernier simulateur ?
John David Washington et Robert Pattinson dans Tenet
Critique

« Tenet » : La croix de Christopher Nolan

29 août 2020
« Tenet » est l'opéra de Christopher Nolan, son chef-d'œuvre pour autant que son architecture de béton est un piège pour ses spectateurs, une croix pour sa représentation. Sacrifier un film à la monumentalisation du nom de son auteur équivaut à la bétonisation du cinéma. Les abstractions nolaniennes sont devenues l'or massif du blockbuster mais son extraction a un coût élevé, celui d'un cinéma bétonné.
Ema et la danse du feu dans Ema
Critique

« Ema » de Pablo Larraín : Le Mystère de la danse du feu

28 août 2020
Dans « Ema » de Pablo Larraín, le spectateur est invité à retrouver son chemin parmi des éléments épars, des indices disséminés dans les dialogues et dans les faits et gestes de l’héroïne, Ema, qui détient la clé du récit et des mystères du film. Elle est au centre des plans et son pouvoir s'étend jusque dans la séduction et la sexualité.
Portrait dans auf demselben Planeten de Katrin Eissing
Critique

« Auf dem selben Planeten » de Katrin Eissing : Famille modèle

19 août 2020
De l'atome du scientifique au pendule de l'hypnotiseur en passant par les maquettes de l'ingénieur : les modélisations de l'histoire au prisme des affects dans Auf dem selben Planeten, le Bildungsroman moderne de Katrin Eissing.
Vincent Cassel, Hubert Koundé et Saïd Taghmaoui dans La Haine
Critique

« La Haine » de Mathieu Kassovitz : Deux ghettos, pas de quartier

14 août 2020
« La Haine », 25 ans après : comme une cuite la hype est passée, reste le film culte dont la vision est aussi problématique hier comme aujourd'hui. Le constat documentaire y passe toujours à la moulinette d'une fantasmagorie dont les manières clinquantes revêtent les vieilles hiérarchies des survêtements de la jeunesse et des cultures urbaines. Mais la moulinette est une partie truquée de roulette russe et les shoots d'adrénaline n'empêchent pas d'admettre que la bombe à retardement n'est chargée que de l'amphigouri de son artificier horloger. Le monde sans pitié des gamins des cités appartient à ceux qui en font des films à succès.
Marta Nieto et Jules Porier sur la plage dans Madre
Critique

« Madre » de Rodrigo Sorogoyen : SOS Artifices

11 août 2020
Dans « Madre », le deuil d'Elena a l'odeur de la mer et la puissance des grands vents. Il correspond à une image mentale d'une grande plage vide qu'il faut effacer. Si "la folle de la plage" réussit ce processus, c'est au prix d'une laborieuse mise à l'épreuve de sa santé psychologique noyée dans la réalisation cacophonique et artificielle de Rodrigo Sorogoyen.
Félix Lefebvre et Benjamin Voisin sur la moto dans Été 85
Critique

« Été 85 » : François Ozon dans sa bulle

14 juillet 2020
Dans sa photographie, son montage, son utilisation de la musique, dans le jeu des acteurs ou encore dans sa direction artistique, « Été 85 » de François Ozon a tout d’une chronique adolescente mélancolico-passéiste. À la fois simple et arty, elle ressemble à une sorte de revisite mal digérée de « Conte d’été » par l’équipe de « Plus belle la vie ».
Samuel L. Jackson et Kurt Russell dans la forêt dans Les Huit Salopards
Critique

« Les Huit Salopards » de Quentin Tarantino : L'hommage du vice à la vertu jusqu’à l’abus

4 juin 2020
Après « Django Unchained » (2012), « Les Huit Salopards » prouve que Quentin Tarantino s'est imposé dans la première moitié des années 2010 comme l'auteur incontournable du nouveau western à Hollywood. Si et seulement si le vertueux classicisme d'antan n'est plus qu'une barbaque mordue avidement par les mâchoires carnassières du post et du méta. Au fond des êtres parlants gît l'horreur des prédateurs usant sournoisement de la salive avant de faire couler abondamment le sang : c'est le credo tarantinien mais l'hommage du vice à la vertu est plus vicieux encore quand sa morale est viciée jusqu'à l'abus.
Slimane Benouari dans le désert dans Abou Leila
Critique

« Tlamess » et « Abou Leila » : L'émotion des mues

6 mai 2020
De l'autre côté de la Méditerranée, le cinéma a des jouvences dont les éclats en ragaillardissent l'idée. Deux films de fiction héroïques, un second long-métrage tunisien (« Tlamess ») et un premier long-métrage algérien (« Abou Leila »), longent la frontière des carcans nationaux pour y ouvrir des horizons où le mythe dispute aux ossuaires passés et présents la possibilité utopique d'une revitalisation de l'existant, comme désertion et comme réinvention.
Le poster de American Horror Story : 1984
Critique

« American Horror Story, 1984 » : Célébration et fin d'une époque

22 avril 2020
En s'attaquant au genre du slasher, la neuvième saison de « American Horror Story » convoque, pour mieux les railler, les clichés les plus éculés du cinéma d'horreur. Or, cet aspect humoristique n'empêche pas la série de surclasser la majorité de la production horrifique actuelle. « American Horror Story : 1984 » n'est ainsi pas un simple slasher mais une série fantastique à l'intérieur de laquelle le monde des morts communique avec celui des vivants.
Critique

« Monsieur Klein » de Joseph Losey : Scandaleux pragmatisme

13 avril 2020
Dans un texte que nous lui avons commandé, le cinéaste allemand Christoph Hochhäusler (« Sous toi, la ville », « L'imposteur »,...) revient sur l’un de ses films fétiches : « Monsieur Klein », de Joseph Losey. Il y examine la mise en scène « scandaleusement » pragmatique de Losey, laquelle repose sur un sens parfois maniaque du détail, moteur d’une logique du soupçon qui se déploie tout au long du récit.
Sara Forestier et son mari violent dans Filles de joie
Critique

« Filles de joie » de Frédéric Fonteyne et Anne Paulicevich : Steak haché Power !

7 mars 2020
Sur les plateaux TV et dans la presse, « Filles de joie » de Frédéric Fonteyne et Anne Paulicevich a été présenté comme un film de super-héroïnes. Or, les trois prostituées optent pour le revenge porn et sont plutôt animées par le ressentiment, la suspicion et la vengeance la plus bête qui soit : à la justice, elles opposent leur volonté de se débarrasser elles-mêmes des hommes. Dans ce contexte, la fiction héroïque ne fonctionne pas. Elle est d'autant plus inopérante que le réalisme creux du film limite sans surprises le pouvoir réel qu'auraient pu avoir ces femmes, qui échappent très difficilement, et de manière tout à fait malheureuse, à leur condition fataliste de « steak haché » (comme le dit Sarah Forestier). C'est peut-être au fond la seule chose que ce type de cinéma dénonciateur peut nous dire.
Margot Robbie en Harley Quinn sème le chaos dans Birds of Prey
Critique

« Birds of Prey » de Cathy Yan : L'émancipation d'une anti-héroïne

16 février 2020
« Birds of Prey » n'est pas un énième film de supers-héros (ou de supers-méchants pas si méchants) devant sauver le monde mais le portrait d'une femme qui cherche à s'émanciper. Séparée du Joker, Harley veut désormais exister par elle-même. Considérée par tous les hommes qu'elle croise comme une fille facile ou une idiote, la jeune femme, titulaire d'un doctorat en psychiatrie, ne va pourtant pas cesser de revendiquer son statut d'intellectuelle.
Les beuveries dans les films de Hong Sang-soo
Critique

Bar digital n°2 : Gueule de bois ?

10 février 2020
Accoudés au bar digital, avec tout le panache et les emportements qui vont avec, nous revenons, en ce mois de février 2020, sur la dixième cérémonie des Magritte du cinéma belge, un bilan cinéma du journal « Le Soir », « Werk ohne Autor » de Florian Henckel von Donnersmarck sacré par l'UCC et le dernier « Star Wars ».
Le couple dans l'herbe dans Une vie cachée
Critique

« Une vie cachée » de Terrence Malick : Bulles de savon et plafond cathédrale

5 février 2020
Avec « Une vie cachée », le cinéma de Terrence Malick ne retrouve pas la tension féconde entre le paradis intemporel de l'amour et la griffe de l'histoire qui le nourrissait de « Badlands » à « Tree of Life » : empesé d'une religiosité abondamment soulignée dans une grande forme jouant pendant trois heures les grandes orgues, « Une vie cachée » ne se donne que comme l'église de ceux qui n'en ont pas.
Catherine Deneuve et Juliette Binoche dans La Vérité
Critique

« La Vérité » de Hirokazu Kore-eda : Mort sur ordonnance par redondance

20 janvier 2020
En entretenant une rente envers la cinéphilie bourgeoise estampillée de francité, « La Vérité » de Hirokazu Kore-eda obéit à une économie qui échange les intenses crépitations de l'art contre les gages culturels d'une œuvre confortable et conformiste qui offre à Catherine Deneuve un repos mérité dans le moelleux de sa légende dorée.
Robert Pattinson et Willem Dafoe devant le phare dans The Lighthouse
Critique

« The Lighthouse » de Robert Eggers : Larmes de gland

15 janvier 2020
Passé l'effet de sidération, « The Lighthouse » laisse place à la consternation devant l'œuvre d'un démiurge qui se borne à exhiber les signes de sa bonne conscience culturelle, de la littérature au cinéma.
Mehdi Dehbi en Messie dans Messiah de Netflix
Critique

« Messiah » : Quand le Messie ne sème le trouble que dans la Foi

11 janvier 2020
« Messiah », la série Netflix créée par Michael Petroni, frappe moins par son actualité géopolitique et sociétale que par son inactualité religieuse et métaphysique : le Messie ne sème vraiment le trouble que dans la Foi des personnages et du spectateur.
Denis Ménochet dans Seules les Bêtes
Critique

« Seules les bêtes » de Dominik Moll : Si loin cyber s'y perd

1 janvier 2020
En vouant à la peine tous les personnages mortifiés pour nourrir la commisération globale du spectateur, « Seules les bêtes » de Dominik Moll ne dépasse pas la triste télé-vision de la misère.
Mya Bollaers dans Lola vers la mer
Critique

« Lola vers la mer » de Laurent Micheli : Si par une nuit d'orage...

13 décembre 2019
Avec "Lola vers la mer", Laurent Micheli dépeint le monde en couleurs de Lola malheureusement entravé par une lourdeur psychologique tant narrative (le père antagoniste) qu'esthétique (les clichés du cinéma psychologique).
Elia Suleiman devant la mer dans It Must Be Heaven
BRIFF

« It Must Be Heaven » de Elia Suleiman : Palestiniens partout, Palestine nulle part

11 décembre 2019
« It Must Be Heaven » d’Elia Suleiman parle de la Palestine comme d'un "dépays" comique et mélancolique dont la circonférence serait partout et le centre nulle part ; et des Palestiniens comme une espèce en voie de disparition tandis que monte un devenir-palestinien global.
Robert De Niro et Al Pacino dans The Irishman
Critique

« The Irishman » de Martin Scorsese : Le traître, le dernier des hommes

8 décembre 2019
Analyse de « The Irishman » de Martin Scorsese, une triple tragédie de la vieillesse narrée par le mafieux Frank Sheeran, l'homme au profil bas.