Un spectre hante le cinéma hollywoodien contemporain : le spectre de l’empire romain. On dira que l’affaire est connue, en remontant pour le cinéma jusqu’au péplum italien et ses acclimatations étasuniennes. La Rome antique offre pourtant, outre sa ressource fantasmatique pour toutes les époques en quête de légitimation culturelle, de la Renaissance florentine au fascisme italien, l’image de vérité d’un cinéma dont l’industrie voudrait redorer le blason terni de l’empire au titre de l’oriflamme recouvrant l’autre spectre de sa finitude. Aujourd’hui, les films qui s’en réclament, parfois ostensiblement comme c’est le cas de Gladiator II de Ridley Scott, font spectacle des nécessités de sauver le soldat impérial parce qu'il resterait après tout le meilleur pèlerin de l'universel. Et ce film-là a paradoxalement besoin de deux Noirs d'Algérie à évacuer, l'un par défaut et l'autre par excès, pour éclaircir plus nettement son idée : mieux que la république trahie par ses défenseurs pervers, l'empire demeure malgré tout le terrain d'intégration universelle par excellence, de toutes les différences et de toutes les minorités, dès lors que sa souveraineté revienne de plein droit à son légataire, le petit-fils caché de Marc-Aurèle.