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David Fonseca

Redresser les colères en ruines, se vider de nos lieux, au sommet de l’absurde, apercevoir des lueurs, écrire sur le cinéma, parce qu’il sait seul prendre soin de nos vieux oublis. Avoir, à son égard, une dette irrémissible, endiguer la débâcle lui adressant des lettres ouvertes à l’infini. Nous offrir cette chance entrebâillée par lui de dire Il était une fois le cinéma, en s’efforçant toujours d’être « pauvre en leçons, d’enseigner les lacunes » (P. Valet), voici le projet, avec les yeux perce-visages du jeune Noodles quand Deborah dansait, sortie de la boîte à musique de ses souvenirs, qui disait : le cinéma, racine de tout ce qui monte, sommet de tout ce qui meurt. David Fonseca est spécialiste de philosophie politique, théorie et philosophie du droit, Maître de conférences en droit public, Université Paris Saclay, Université d'Evry, Centre de Recherche Léon Duguit, EA 4107. Il est également romancier (Cellules, Faillir, Insolubles Charades, Au Sud de nulle part, éditions Az'Art Atelier, collection L'Orpailleur).
Christophe Ntakabanyura dans Planque ordinaire d'Emmanuel Gomez de Araujo
Le Majeur en crise

« Planque ordinaire » d'Emmanuel Gomes de Araujo : Métaphysique de la police

15 décembre 2024
Au scénario, Bob H. B. El Khayrat, à la réalisation, Emmanuel Gomes de Araujo. À l'arrivée, prochainement diffusé sur OCS, en compétition au Festival International du Film Indépendant de Marseille (SMR13), un court-métrage, Planque ordinaire, qui en dit long sur le cinéma comme sur ce qui fait cité, soit le genre policier, le banlieue-film, l'action policière, le visage de quelques jeunes de banlieue, la société : le monde entier contenu dans un grain de silice, un météore qui fracasse le plan stellaire. En voici les retombées, quelques particules de poussières éclairées par sa lumière.
Le personnage principal du documentaire L'Homme aux mille visages
Le Majeur en crise

« L'Homme aux mille visages » de Sonia Kronlund : Logique du cinéma roublard, sophistique du cinéma mouchard

29 novembre 2024
Dans son docu-fiction L'Homme aux mille visages, salué par la critique, Sonia Kronlund n'est ni une Mata Hari dans la vraie vie, ni un James Bond de comédie, encore moins Ethan Hunt, un Impossible missionné de pacotille. Elle est la commère du village à l'heure des réseaux sociaux, une justicière prise au jeu de sa propre comédie. Elle croyait rendre l'honneur perdu à des femmes trompées par un homme-caméléon aux identités multiples, elle les trahit en usant des moyens de l'infâme qu'il s'agissait pourtant de condamner. Un film qui devient l'agent complice du mâle. Enquête sur un film qui se voulait au-dessus de tout soupçon.
Mikey Madison danse en boîte de nuit dans Anora
Critique

« Anora » de Sean Baker : Politique de l'ordre moral

16 novembre 2024
Vendu comme Ouf par ses producteurs, un film à aller en voir en couple, Anora est un film d'auteur moralisateur. Il ne tendait pas à juger son personnage. Il termine sa course furieuse épuisé, dans un paternalisme gaucho-prédicateur. Ou comment depuis l'anti-chambre du rêve américain, Sean Baker, sermonneur, le reconduit dans ses effets, dans un apologue édifiant.
Agnès Jaoui dans Ma vie ma gueule de Sophie Fillières
Rayon vert

« Ma vie Ma gueule » de Sophie Fillières : Je doute donc suis-je ?

8 novembre 2024
Ma vie Ma gueule sera le dernier film de Sophie Fillières. Son destin tragique admoneste-t-il la réception du film ? Ma vie Ma gueule n'est pas un film posthume, mais un film vivant, du vivant. Il me résout, tout doucement, les grandes questions, en m'en débarrassant. Le sens de la vie, c'est le sens qu'on lui imprime, « moitié dans mes godasses, moitié à côté », dans l'espoir qu'on me dise, peut-être, un jour : « merci d'avoir tenté, merci d'avoir vécu ! »
DJ Mehdi aux platines dans la série Arte DJ Mehdi : Made in France
Esthétique

« DJ Mehdi : Made in France » de Thibaut de Mongeville : Ni barreaux, ni barrières, ni frontières ?

23 octobre 2024
Primé à Cannesséries sur la Croisette au printemps 2024, la série documentaire en six épisodes d'Arte consacrée au célèbre DJ Mehdi, à l'instant de rendre les derniers hommages à son génie comme à celui qui aurait su réconcilier les mondes (le rap, l'électro, la French touch), enterre en grande pompe la banlieue comme tous ceux qui s'y agitent au son du rap. Une manœuvre en sous-main sous forme de rengaine trop souvent reprise en chœur par certains banlieues-films récents, que la série, par-devers elle, orchestre une énième fois.
Rayon vert

« Megalopolis » de Francis Ford Coppola : Antipolitique du démiurge

9 octobre 2024
Megalopolis est un film inclassable, hanté par des morts qui font la vie, qui contient un élixir de jouvence – le Megalon – une force créatrice à nulle autre pareille qui ferait les cités, le cinéma de demain comme il débarrasserait tous les pouvoirs de la logique de toute-puissance. Une énergie faite de la rêverie des songes comme de la réalité. Coppola y expose un art subtil d’asseoir la vigilance sur le laisser-aller, un mélange de conscience et d’inconscience, qui menace toujours de s’évaporer ; une sorte d’état plasma filmique, qui n’est ni complètement gazeux ni complètement solide ; une folie douce, un entre-deux, un flou pour apercevoir ce que le sommeil permet de voir (les rêveries), mais aussi les songes de l’homme libre – ceux de Coppola –, tout en étant capable de restituer avec la lucidité de celui qui est éveillé. Une révélation, mais qui ne passe pas seulement par le bien-être, mais le malaise, un peu comme si l’on était porté par la houle : ce moment où l’on s’en remet au monde, mais où, paradoxalement, on est enfin en soi-même pour nous apprendre, finalement, à devenir les créateurs de notre propre univers, en revenir à l'enfant.
Un visiteur récite une parole mystérieuse devant une statue dans Dahomey
Rayon vert

« Dahomey » de Mati Diop : Les statues meurent-elles aussi ?

2 octobre 2024
Mati Diop a toujours filmé des fantômes. À l'occasion de la « restitution » par la France de vingt-six statues au Bénin, elle décide, dans Dahomey, de les faire parler pour installer un contre-récit sur la colonisation, contre la mort d'un peuple, sa culture, son histoire, cette mort qui n'a jamais cessé de faire sentir sa poigne. Une politique des fantômes pour les rendre à la vie.
Viggo Mortensen dans son bar dans A History of Violence
Rayon vert

« A History of Violence » de David Cronenberg : Le secret derrière la porte

21 septembre 2024
A History of Violence de David Cronenberg ne raconte pas simplement que la barbarie n'est jamais très loin. Elle est au plus proche. Elle fait mouche. Elle est en nous. Elle fait nous. La civilisation n'est que sa camisole de force, dont il fallait encore défaire toutes les coutures dans un film qui ébroue d'autant plus que sa facture est classique.
Hamza Meziani dans la forêt dans Six pieds sur Terre
Histoires de spectateurs

« Six pieds sur Terre » de Karim Bensalah : Voyage au bout de la vie

28 juillet 2024
Il faut voir absolument et de toute nécessité Six pieds sur terre de Karim Bensalah, à l'heure où s'affichent sans plus de vergogne tous les discours rances sur l'islam, l'arabité, l'identité. Il faut voir Six pieds sur terre avant qu'il soit trop tard, avant les bruits de bottes, avant qu'un jour on vienne, à votre tour, frapper à votre porte.
Les militaires lors d'un cérémonie dans le cimetière dans Jardin de pierre
Le Majeur en crise

« Jardins de pierre » de Francis Ford Coppola : Mémoire d'outre-tombe

16 juin 2024
La période des années 70 aurait vampirisé le cinéma de Coppola. Draculéen, il ne laisserait pas la moindre goutte de sang. Les années 80 en regorgent pourtant, dans un cinéma d'apparence différent. Derrière les beaux costumes, les belles voitures, sourd déjà le pessimisme dans Peggy Sue s'est mariée, en 1986, une tristesse qui se concrétisera un an plus tard, avec Jardins de pierre, qui refait la guerre du Vietnam. Entre les deux tournages, meurt le premier fils de Coppola, John Carlo, à l'âge de 22 ans, dans un accident de bateau. Un drame, un film, qui demandent, qui exigent : comment remonter sa vie ? Comment refaire communauté, en famille comme en Amérique, quand la mort vous empêche, trop tôt, le matin, de réinventer votre drame ?
Kathleen Turner avec sa couronne au bal de fin d'année dans Peggy Sue s'est mariée
Rayon vert

« Peggy Sue s'est mariée » de Francis Ford Coppola : Les illusions perdues

16 juin 2024
S'il était possible, referait-on sa vie ? Effacerions-nous nos erreurs pour se rendre un peu plus digne de cette blessure d'où l'on vient ? En 1986, Francis Ford Coppola envoie Peggy Sue dans le passé pour tenter de nous apporter une réponse. Même dans le pire, même dans l'infamie, Peggy Sue récidiverait, reconduirait sa vie dans une philosophie paradoxale du renoncement qui s'apparente au soulèvement, et ne se mesure pas, une victoire remportée dans la défaite qui provoquerait non pas le désespoir mais une joie tragique.
Harry Caul (Gene Hackman) écoute une conversation dans Conversation secrète
Rayon vert

« Conversation secrète » de Francis Ford Coppola : À la recherche du temps perdu

16 juin 2024
Peut-on filmer sa propre histoire, celle d'un enfant reclus longuement dans sa chambre dès l'âge de cinq ans ? À partir d'un grand film sur la paranoïa, Conversation secrète est la tentative de Coppola de forer son passé, reconstituer un centre où se loger durablement. Mais a-t-on jamais vu quiconque habiter un trou noir, celui de l'enfance ?
Le chirurgien au travail dans État limite
Esthétique

« État limite » de Nicolas Peduzzi : Voyage au bout de la nuit psychiatrique

29 mai 2024
Dans État limite, Nicolas Pedduzi filme des « fous » dans un hôpital public, où la psychiatrie est tenue par un seul médecin, en état limite comme un pays serait au bord du précipice. Car comment sauver des individus de leur maladie, quand l'hôpital est l'expression même de la folie ? Portrait de son médecin, un fou héroïque, placé dans une situation de légitimité sans cesse déligitimée, abolie par le principe même qui l'héroïse, Bardamu d'une guerre célinienne, l'homme au bout de son voyage la nuit, armé jusqu'aux cheveux de sa folie humaniste.
John Ryder avec son revolver dans la voiture dans Hitcher
Le Majeur en crise

« Hitcher » de Robert Harmon : L'homme de main de l'Amérique

21 mai 2024
Selon de nombreux commentateurs, à l'heure des présidentielles, deux Amériques irréconciliables s'affronteraient, celle de Donald Trump, nostalgique de l'hooverisme viriliste, celle de Joe Biden, prompte à rekennedyser les États-Unis, une manière gauche de vivre. Une grille de lecture souvent utilisée par la critique cinématographique elle-même. En 1986, Hitcher, qui vient de ressortir en salles, l'invalide. Il n'y a jamais eu deux Amériques, mais une seule, née d'un crime initial, que son homme de main est venu solder définitivement dans le film pour dire que l'Amérique n'a jamais rien eu d'autre en partage que ce seul patrimoine commun : sa violence constitutive.
Kirsten Dunst sauve Cailee Spaeny de l'explosion au début de Civil War
Critique

« Civil War » de Alex Garland : L'Amérique floutée, le cinéma floué

11 mai 2024
Alex Garland, dans Civil War, voulait proposer une réflexion sur le pouvoir de l'image – trop grand, comme celui d'un président devenu autocrate dans une Amérique en proie à une guerre civile. Mais il produit finalement une image à l'image de son président assassiné. Une image despotique. Une image spectaculaire qui agit dans le sens d’une manipulation comme d’une saturation du voir. Une image télévisuelle, à caractère publicitaire, qui s'arrête net, qui fait le point, qui met au point, auquel il devient impossible d’échapper comme dans n'importe quel régime autoritaire.
Melissa (Hafsia Herzi) tire à la mitraillette dans Borgo
La Chambre Verte

« Borgo » de Stéphane Demoustier : Lettre à une inconnue

6 mai 2024
Borgo n'est pas un film noir sur le banditisme corse ni un film carcéral. Il est le film d'un Apache en quête de son indienne. Une investigation impossible sur son actrice, Hafsia Herzi, pour témoigner de sa mélancolie atone, sans pathos, qu'on dit parfois blanche.
Judith Godrèche dans La Désenchantée de Benoît Jacquot, où elle a été victime de violences sexuelles.
Esthétique

Le cinéma à l'heure des scandales sexuels : Passer d'un cinéma de la création à la décréation

29 avril 2024
Que faire à l'heure des scandales sexuels au cinéma ? Aller à contre-pente, remonter le courant, faire un état des lieux pour espérer l'habiter autrement. Contre la possibilité du chef-d'œuvre, se débarrasser de l'idée de toute-puissance du réalisateur. Passer d'un cinéma de la création à la décréation car la création sera toujours une diminution, jamais un acte d’expansion : filmer, c'est toujours borner le champ des possibles. Un cinéaste qui voudrait tout dire, tout saisir, ne ferait plus du cinéma. Il encarterait le monde dans son tombeau publicitaire. Un film n'est jamais terminé, autrement dit réalisé. La notion d’auteur est donc à revoir. Il serait peut-être temps de dire que réaliser, c’est trouver sa richesse hors de soi.
Le professeur (François Civil) dans la cour de l'école dans Pas de vagues
Critique

« Pas de vagues » de Teddy-Lussi Modeste : L'école en débat

23 avril 2024
L'école est un lieu d'expérimentation in vivo pour nombre de réalisateurs. Elle opère comme une micro-société au cinéma, un lieu test pour questionner le genre, le racisme, le rapport à l'autorité, à la discipline, l'information... en témoignent de nombreuses œuvres cinématographiques. Le récent film de Teddy Lussi-Modeste, Pas de vagues, sur la question du harcèlement scolaire, était l'occasion de faire le point à partir d'un long-métrage qui, croyant disculper son enseignant, l'accuse définitivement.
Steve dans La Mort de Danton
Esthétique

« La Mort de Danton » d'Alice Diop : Le gouvernement de soi

31 mars 2024
Alice Diop, dans La Mort de Danton, met en place son cinéma en même temps qu'éclot un acteur au monde, Steve Tientcheu, qu'elle suit durant ses années de formation au cours Simon. Dans ce documentaire, se pose déjà cette question, cruciale : comment faire république ? En mettant en commun et partage une même narration : apporter à la France les récits qui lui manquent pour lui faire le plus beau des films.
Al Pacino face à l'intelligence artificielle dans Simone
Esthétique

La Grève des scénaristes d'Hollywood : Qu'est-ce que les Lumières du cinéma à l'heure de l'IA ?

18 mars 2024
Il serait temps de prendre conscience de ce qui s'est produit lors de la grève des acteurs comme des scénaristes à Hollywood, cinq mois durant, en 2023. Se défendre contre l'intelligence artificielle ne relevait pas d'un simple intérêt catégoriel, mais civilisationnel : défendre notre part, la liberté de s'inventer d'autres destinées que celles uniformisées, la possibilité de se loger dans des contre-scénarii autrement qu'usinés par l'algorithmie. Une grève qui nous permettrait de reposer la question kantienne à l'heure de l'IA : qu'est-ce que les Lumières sinon la sortie de l'état de minorité dans lequel toutes les politiques d'expertise rendues à l'intelligence artificielle voudrait nous ramener en nous sortant des frères et leur cinéma.
Pharaon de Winter dans le jardin à la fin de L'Humanité
Rayon vert

« L'Humanité » de Bruno Dumont : Politique de la responsabilité

4 mars 2024
Tout commence par un crime chez Bruno Dumont. Mais qui en répondra ? Qui en supportera la charge ? Des illuminés, à propos duquel se déroule la véritable enquête dans L'Humanité, qu'il nous faudra sans doute reprendre sans jamais être certain d'en avoir abouti l'examen.
Lydia (Hafsia Herzi) et son bébé dans Le Ravissement
Rayon vert

« Le Ravissement » d'Iris Kaltenbäck : La vie dérobée

12 février 2024
La folie est « le plus vif de nos dangers, dit Foucault, et notre vérité peut-être la plus proche ». Iris Kaltenbäck, dans Le Ravissement, premier film incroyable d'intelligence cinématographique, en réalise le traitement sensible, raconte l'histoire d'un amour fou, dans un traité du désespoir qui apprendrait à vivre.
Le Majeur en crise

« Ma part de Gaulois » de Malik Chibane : Mon nom est-il Personne ?

8 février 2024
Faire république autrement, depuis la périphérie d'une banlieue, par le truchement du cinéma, en racontant des histoires, est-ce (encore) possible ? Livrer un plaidoyer pour une identité nomade pour tous les déracinés greffés sur une racine qui changerait continuellement au contact du monde extérieur ? Réaliser un film pour décadastrer un pays qui s'enrichirait de tout ce qui l'effleure, inventer une identité-nomade en devenir où chacun aurait sa Part de Gaulois ? Le dernier film de Malik Chibane créolise la République. Il serait temps que chacun y vienne prendre sa part. 
Esthétique

« Past Lives » de Celine Song : La mécanique du cœur d'A24

24 janvier 2024
Past LivesNos vies d'avant de Celine Song, voulait à coup sûr être le chef, le grand Indien de quelque chose d'essentiel qui nous travaille, sur le sentiment amoureux, les regrets que nous avons. Mais en permanence Past Lives se tient hors de soi, pour se contester. Il devient alors le complice des puissances qu'il ne cessait prétendument de combattre – la fatalité, le caractère semi-tragique du destin de Nora et Hae Sung, séparés dans l'espace, réunis par le cœur – , quand ses choix formels, prédéterminés par un cahier des charges singuliers, l'ont définitivement labellisé A24, jusqu'à normer, raboter, poncer jusqu'à l'invisible ce qui demandait à surgir instamment : l'amour.
Priscilla Presley dans la limousine d'Elvis dans Priscilla
Critique

« Priscilla » de Sofia Coppola : Biopolitique de la jeune fille en fleur

17 janvier 2024
On pensait la logique capitaliste de réification des individus avoir atteint son point marchand avec Barbie en 2023, dont How To Have Sex de Molly Manning Walker aurait été faussement le pendant débrido-peinturlureur quand il était thatchero-conservateur. C'était compter sans Priscilla, de Sofia Coppola, en ce début 2024, dans un film sur l'emprise, la logique d'effacement de son héroïne par le King, dont la prise Kong aurait été débranchée, en prise directe avec la logique du tout marchand, pour installer depuis et par son ennui profond une guerre de tous les instants contre un machisme ambiant que le film reconduit autrement et plus puissamment.
The Card Counter de Paul Schrader
Esthétique

« Les chambres noires de Paul Schrader » de Jérôme d'Estais : Les bâtisseurs de ruines

14 janvier 2024
Dans son livre, Les chambres noires de Paul Schrader, Jérôme d'Estais a soupesé les chances de tous les personnages schraderiens de ne pas rejoindre le chaos. Leurs efforts pour tracer dans ce vent de l’existence un parcours qui ne serait pas nécessairement exemplaire pour nous faire souvenir de la foudre autant que des plombs. Pour nous dire enfin, dans un geste libre, qu'au plus profond des blessures existentielles des schraderiens, la vie intarissable, sève et sang mêlés, se trouve là par effraction, dans l’attente d’on ne sait quel éblouissement, braise hésitant à reprendre le don du feu, dans une maison d'édition, Marest éditeur, dont la ligne éditoriale, par ses choix, sa singularité, aurait découvert autant qu'elle continuerait d'entretenir le secret.
La famille en promenade dans Still Walking
Rayon vert

« Still Walking » de Hirokazu Kore-eda : Les intermittences de la mort

20 décembre 2023
Nul ne déchiffrera jamais l'abîme de la mort. Mais dans Still Walking, Hirokazu Kore-eda parvient à glisser sa caméra dans la nervure. Pour nous faire vivre à hauteur de l'événement, parce qu' « il faut bien tenter de vivre » (Paul Valéry).
Le maire (Alexis Manenti) regarde la maquette des constructions dans Bâtiment 5
Critique

« Bâtiment 5 » de Ladj Ly : Politique de l'extrême-centre

6 décembre 2023
Bâtiment 5, de Ladj Ly, exile chacune des forces contestataires qu'il mobilise dans son film face aux autorités publiques qui, toutes, outrepassent pourtant les limites de l’État de droit. Il a finalement un pouvoir d’indifférence, de transmutation soudaine. Paradoxalement, il flatte cette défection des forces subversives. Plus rien n’y ébranle l’œil. Sans retour possible, Bâtiment 5 devient alors à lui-même l'objet de sa défaite : un film homicide.
Nina Menkes devant l'écran dans "Brainwashed"
Esthétique

« Brainwashed » de Nina Menkes : Réflexions sur le male gaze

12 novembre 2023
Un film qui ne pense qu'en un seul sens et montre la direction, n'est pas un film, mais un ballon qui appartient au vent du tract publicitaire. Brainwashed, de Nina Menkes, sous couvert de pourfendre le « male gaze », ce regard masculin qui dépersonnifierait les femmes, produit un cinéma embué d'horizon rabougri, dont les instruments de la critique finissent par se retourner contre le film.
Barbie et Ken quittent Barbieland dans Barbie.
Esthétique

« Barbie » de Greta Gerwig : Dressé pour tuer

12 novembre 2023
Barbie, de Greta Gerwig, sous couvert de nuances les efface toutes. Seul demeure pour décor son rose absolu, qui néantise l'individu comme toute forme de vie alternative. Il propose une esthétique du lisse, qui est une politique, une esthétique de la marque, une opération de marquage, une entreprise cool de dressage.
Leonardo DiCaprio et Lily Gladstone dans Killers of the Flower Moon
Critique

« Killers of the Flower Moon » de Martin Scorsese : Le confessionnal de l'Amérique

24 octobre 2023
Dans un film somme, Killers of the Flower Moon refait le portrait de l'Amérique. Ses nombreux poisons : l'argent, le libéralisme, le marché, le droit, la cupidité des individus, tous les crimes des États-Unis. Une logique de péchés que père Scorsese entend laver par un curieux acte final de contrition, non pas pour nettoyer l'Amérique de son rêve mais l'absoudre pour tout lui pardonner.
Rémi Martin dans Rémi de Bob H.B. El Khayrat et Loïk Poupinaïs
La Chambre Verte

« Rémi » de Bob H.B. El Khayrat et Loïk Poupinaïs : Vivre me tue

23 octobre 2023
À travers le portrait de Rémi Martin, un acteur phare des années 80 disparu peu à peu des écrans, Bob H.B. El Khayrat et Loïk Poupinaïs tentent de sauver un homme de son malheur. Un premier court-métrage en forme d'hommage pour dire ce qu'ils lui doivent. Non pas pour lui rendre les derniers honneurs, mais pour rappeler à chacun notre dette à l'égard de tous les égarés, acteurs de la vie hors champ, où qu'ils soient, que le cinéma à la lourde et belle tâche de transfigurer pour que jamais ils ne soient tout à fait abandonnés.
Une scène de bataille dans Gangs of New York
Esthétique

« Gangs of New York » de Martin Scorsese : La vengeance aux deux visages

17 octobre 2023
Opération au coup de poing américain. Martin Scorsese refait la gueule de l'Amérique dans Gangs of New York. La vengeance y devient fondatrice d'un ordre démocratique nouveau, jamais pour le meilleur, toujours pour le pire. La porte du paradis vouée aux gémonies.
Le gang dans la rue dans Le Gang des bois du temple
Esthétique

« Le Gang des bois du temple » de Rabah Ameur-Zaïmeche : Po-éthique du contre-monde

7 octobre 2023
« L'amour est le miracle de la civilisation », écrit Musset. Rabah Ameur-Zaïmeche en a fait le chant de ses partisans, dans son cinéma. Une manière de penser, dans ses possibilités comme ses impasses, un autre monde que celui que nous sert la politique du grand capital comme des rapports de classe qu'il induit. Soit tenter d'ouvrir une voie, réfléchir autrement l'impossibilité d'être qui et quoi que ce soit dans un monde qui ne cesse de demander notre identité comme de nous y tenir. Notre fiche de futur dégringolé qu'il s'agirait de réinventer.
Un personnage du film Rêve.
Rayon vert

« Rêve » de Omar Belkacemi : Sauve qui peut l’Algérie

8 août 2023
Omar Belkacemi est d'une espèce rare, un berger qui, depuis l'Algérie, tente des images sur les « cailloux » qui entrave DjaZayer, ce si grand pays. Des cailloux contre lesquels seule la somme des rêves des individus peuvent entrer en résistance. Contre la matérialité de la bêtise des hommes, la contestation de l'air des songes. Un combat inégal ? Rêve est une affaire de regard plutôt pour nous parler de quel bois nous sommes faits, ici comme là-bas, qui font notre métier de vivre.
Olfa et ses filles dans Les filles d'Olfa
Critique

« Les filles d'Olfa » de Kaouther Ben Hania : Femmes sous influence

18 juillet 2023
Le Mal avait un axe. Kaouther Ben Hania le dévie de son orbite pour gagner les régions du bushisme. Les filles d'Olfa de Kaouther Ben Hania est en effet l'illustration de la loi de bipolarité des erreurs dont parle Gaston Bachelard : à vouloir combattre un extrême (la violence machiste, l'islamisme radical), Les filles d'Olfa s'extrémise lui-même pour devenir ce qu'il réprouvait.
Abdulah Sissoko incarne "Le Jeune imam" dans le film de Kim Chapiron
Critique

« Le Jeune imam » de Kim Chapiron : La dernière tentation du Fric

20 juin 2023
La devise de Kim Chapiron, dans Sheitan, était : « Ne leur pardonnez rien, car ils savent ce qu'ils font », inversant la parole de Jésus sur le Mont Golgotha à l'instant d'être sacrifié. Au front de la bêtise, le poing levé, écrivait Nietzsche. Ne pardonnons donc rien à son dernier film, Le Jeune imam, car, en effet, qu'il sache ou non ce qu'il fait, ce cinéma, à enclicher la banlieue, mériterait une bonne droite évangélique.
Q'Orianka Kilcher dans la forêt dans Le Nouveau Monde
Rayon vert

« Le Nouveau Monde » de Terrence Malick : Contre-mythe et épopée de l'Amérique

20 juin 2023
Fait remarquable, dans son quatrième long-métrage, Le Nouveau Monde, Terrence Malick fait débuter l'histoire de l'Amérique plus tôt qu'à l'accoutumée. Elle ne débute pas avec la conquête de son Ouest comme sa glorieuse Guerre de Sécession. Il en fait remonter le cours pour en revenir à sa source anglaise, en un long poème épique où la légende voudrait se mêler à l'histoire. C’est dire combien son récit est discriminant : s’il y a de faux mythes sur la naissance de l'Amérique, c'est qu'il en existerait de vrais. Terrence Malick n'oppose donc pas aux fausses croyances une vérité qui se voudrait factuelle, mais propose plutôt avec Le Nouveau Monde un contre-mythe, qui est une véritable opération de mystification.
Christian Bale sur une jetée dans Knight of Cups
Rayon vert

« Knight of Cups » de Terrence Malick : La grâce de l'éternel retour

7 juin 2023
Il faudrait savoir analyser Knight of Cups de Terrence Malick. Mais comment parler d'un film sans but, sans chemin, où son acteur principal déambule, où il faudra par nécessité ouvrir la voie à mains nues, lui qui, scénariste, n'en a plus, ne sachant donc ni où l’on va ni pourquoi l’on s’y rend, seulement guidé par toutes ces images, ces sons, ces voix qui nous exténuent ? Un film sans début ni fin, un éternel ressassement à l’héroïsme déçu qui pourrait faire, peut-être, les surhommes, ceux qui s'acharnent à vivre sans raison ni pourquoi.
Matt Damon dans son bureau dans Air
Critique

« Air » de Ben Affleck : L'odyssée du marketing

21 mai 2023
Sur fond de choc civilisationnel, après avoir démonté les fous de Dieu de la République islamiste d'Iran à coup de farce hollywoodienne vantant les mérites de l’héroïsme cool de l'empire démocratique dans Argo, Ben Affleck continue son travail d'homme de main du rêve américain. Dans son dernier film, il réalise une pub sur un coup de pub, ou comment Nike l'outsider du début des années 80 a fait d'un pas sept lieues en chaussant le pied de l'agile Air Jordan. Air possédait pourtant un potentiel autocritique comme la possibilité d'une charge subversive. Las, il opte pour la success story du capitalisme décontracté, les deux mains sur la galette de son panier, non pas une balle ronde en pleine tête du système.
Adila Bendimerad est "La Dernière reine"
Rayon vert

« La Dernière Reine » d'Adila Bendimerad et Damien Ounouri : Politique du pirate

11 mai 2023
La Dernière Reine est un film qui raconte l'histoire d'une reine qui n'aurait pas existé. Une mise en scène de l'histoire qui vandalise l'histoire. Un film de corsaire qui est une opération de piratage. Une légende qui dirait ses quatre vérités à tous ceux qui ne voudraient pas l'entendre.
Le père et sa fille se reposent dans Aftersun
Rayon vert

« Aftersun » de Charlotte Wells : Adieu à l'enfance

7 mai 2023
L’enfant est ce compagnon, visible ou invisible, dont les signes de reconnaissance et la toujours neuve lumière n’empêchent ni la part de l’ombre ni le sentiment de la solitude, ni la certitude de la séparation. Sa présence en nous et à côté de nous est vécue comme une énigme et une initiation comme une jeune fille est si proche, si loin de son père dans Aftersun. Charlotte Wells, sa réalisatrice, premier tir sans faire de balles, nous introduit dans ce monde à la fois si familier et étrange de l'enfant qu'elle fut, de l'enfant que nous resterons si nous savons retenir cette leçon de l'Enfantin que le film nous transmet de son lointain.
D'Artagnan se bat avec son épée dans Les trois mousquetaires D'Artagnan
Critique

« Les trois mousquetaires : D'Artagnan » de Martin Bourboulon : Touché, coulé

29 avril 2023
Quelle nécessité y a-t-il à écrire sur un film, Les trois mousquetaires : D'Artagnan, dont nul ne peut ignorer que tout le mal qui pourrait en être dit n'affectera jamais son million d'entrée ? À quoi bon en parler, sauf à s'agacer les dents sur un os déjà rongé ? On voudrait plutôt en dire tout le mal, non pas pour empêcher quiconque à le regarder, mais au contraire pour inciter le monde entier, s'il était possible, à (bien) le voir. On voudrait lui faire cette publicité-là : voir ce film pour dire tout ce qu'il n'y a pas à voir ; voir ce film pour montrer tout ce qu'il faudrait bien y voir. Regarder en face ce cinéma pour signifier, non pas ce qu'est le cinéma – on en serait bien en peine –, mais essayer de l'approcher de manière apophatique, comme on ne pourrait approcher prudemment Dieu que de manière négative, pour dire que, non, décidément, ce n'est pas du cinéma mais un programme d'hypnose qui préparerait son public à un sommeil profond en ces temps de contestation.
Timéo Mahaut dans le film Les Pires.
Critique

« Les Pires » de Lise Akoka et Romane Gueret : Tropisme du cinéma social

15 avril 2023
« Sous quel astre ennemi faut-il que je sois née ? », demandait un personnage de Racine. En banlieue, entend-on trop souvent aujourd'hui. Les Pires, récompensé à Cannes en 2022, entendait objecter. Mais à vouloir faire un château à sa cité, il lui a réservé son plus beau tombeau.
Laure Calamy dans la scène où sa voiture tombe dans l'eau dans Bonne conduite
Critique

« Bonne conduite » de Jonathan Barré : Politique de la fausse route

11 avril 2023
Bonne conduite raconte l'histoire d'une gérante d'auto-école le jour, serial killeuse la nuit, qui élimine les nuisibles en un cinéma appliqué, un cinéma dépassé, qui ne passera jamais la seconde, incapable d'inventer sa route, sauf à rester sur son bord avec les rieurs de l'époque. Ou quand un film sous ses allures de légèreté fait un cinéma bien droitier.
Alyona Mikhailova dan "La Femme de Tchaïkovski"
Rayon vert

« La Femme de Tchaïkovski » de Kirill Serebrennikov : La journée de l'infemme

11 mars 2023
Que se produirait-il si la passion des 24h de la vie d'une femme de Stefan Zweig durait toute une vie ? La folie, celle de La Femme de Tchaïkovski. Une folie pour raconter autant son drame que celui de son pays, d'hier comme aujourd'hui, par Kirill Serebrennikov.
Critique

« White Noise » de Noah Baumbach : Le fascisme à bas-bruit

10 janvier 2023
L'un des derniers films de l'année 2022, White Noise de Noah Baumbach, sorti le 30 décembre dernier sur Netflix, avait sans doute l'ambition de ramasser toute son époque : filmer la propagande médiatique, la crise sanitaire, la dépression généralisée d'un système capitaliste déliquescent et son porte-drapeau, les États-Unis, un contexte annonçant le fascisme qui gronde. Sauf qu'à le marteler, White Noise finit lui-même par (se) fasciser.
Les enfants de Samir Ardjoum dans L'Image manquante
Rayon vert

« L’image manquante » de Samir Ardjoum : Le livre d’hommage

7 décembre 2022
Il y a des films qui n’ont ni reçu l’honneur des salles ni celui des festivals parce qu’ils sont trop grands. Non pas parce qu’ils seraient d’un génie supérieur, aussitôt invisibles au commun. Mais parce qu’ils ouvrent sur un ailleurs, un film à venir, une troisième image encore imperceptible à l’instant de leur réalisation, donc non-vu. Ainsi de Samir Ardjoum avec L’image manquante qui, à partir d’images d’archives familiales, bien avant tout le monde, avant cette heure du recueillement, à partir de son livre d’images personnelles, qui sera toujours en défaut d’une image, pensant faire un film à destination domestique, a composé instamment un livre d’hommage à Jean-Luc Godard, autant dire au cinéma.
Rayon vert

« marseilleS » de Viviane Candas : Vies minusculeS

2 décembre 2022
C'est dans le devenir-minoritaire que gît le devenir-révolutionnaire, selon le couple Deleuze-Guattari. Le dernier film de Viviane Candas, marseilleS, s'inscrit dans cette trajectoire à travers le thème des luttes pour la reconnaissance d'une mémoire, celle des fractures de la guerre coloniale autant que de l'indépendance de l'Algérie, à partir d'une ville, Marseille, qui en serait le laboratoire. Viviane Candas parvient ainsi à problématiser le statut de minorité en tant que maillon faible d'un pays comme d'une ville où se condenseraient pourtant les principales tensions les traversant. Questions essentielles : comment faire société sur fond de déni ? Comment faite front à l'affront de ce qui gonfle, ici comme ailleurs, aujourd'hui, le ventre de la bête immonde ?
La critique de cinéma américaine Pauline Kael
Esthétique

« Qui a peur de Pauline Kael ? » de Rob Garver : Calamity Kael

16 novembre 2022
Ce qui rend passionnant le documentaire de Rob Garver sur Pauline Kael n'est pas tant ce qu'il montre que ce qu'il révèle bien malgré lui. Sous bien des abords, il s'apparente à ceux de type hagiographique que propose trop souvent Arte sur les acteurs et cinéastes, les sanctifiant. S'il en reprend les tics à multiplier les témoignages à l'appui de l'absolue génie de la grande critique de cinéma, ce sont ses coins en forme d'impensé qui en font l'intérêt. À se focaliser sur le génie de Pauline Kael, l'immense majorité des intervenants dans le film en ayant fait leur mantra, Rob Garver en oublie de questionner la lampe qu'il leur faut frotter pour le faire sortir : où se situe donc la vérité de ce diamant dont le disque semble voué aux seules rayures de la répétition, si ce n'est d'incarner sur sa seule tête un système dont Pauline Kael entendait pourtant se débarrasser ?
Leon (Artur Steranko) dans la chambre d'Anna dans Quatre nuits avec Anna
Rayon vert

« Quatre nuits avec Anna » de Jerzy Skolimowski : L'enfance de l'homme

26 octobre 2022
Qui est donc Léon, personnage autiste, pour qui l'amour est fantasme trouble et dévotion délicate dans Quatre nuits avec Anna ? Un criminel ? Un innocent ? Un homme, rien moins que cela, qui se joint à la cohorte de tous les autres égarés de naissance, dont Jerzy Skolimowski filme le sort qui leur est réservé dans un monde où l'innocence sera toujours coupable.