« Terminator 2 » : Arnold Schwarzenegger, Figure paternelle et Corps obsolète
Alors que le premier Terminator érigeait le personnage d'androïde incarné par Arnold Schwarzenegger en croquemitaine du cinéma de genre, sa suite, réalisée sept ans plus tard, remodèle son image dès la première demi-heure : enquête sur la transformation d'une machine à tuer en protecteur d’enfants.
« Terminator 2 – Le Jugement dernier » de James Cameron (1991)
Alors que le premier Terminator (James Cameron, 1984) érigeait le personnage d'androïde incarné par Arnold Schwarzenegger comme un des plus grands croquemitaines du cinéma de genre, sa suite, réalisée sept ans plus tard, reconstruisait son image dès la première demi-heure pour faire d’une machine à tuer un protecteur d’enfants(1). Sorti quelques mois après un autre film mettant Schwarzenegger en contact avec des enfants, presque à la manière d’une étude behavioriste (Un flic à la maternelle, Ivan Reitman, 1990), Terminator 2 : Le Jugement dernier pérennisait donc cette équation qui allait presque devenir la routine pour l’acteur dans toute la première partie des années 90.
Jérôme Momcilovic a beaucoup parlé de cette confrontation entre Schwarzenegger et l'enfant dans l’ouvrage qu’il a consacré à l’acteur(2), notamment dans son analyse de la trame de Last Action Hero (John McTiernan, 1993), mais également dans celle d’une scène en particulier de Terminator 2, lors de laquelle Sarah Connor regarde son fils jouer avec le T-800. Par la voix-off, Sarah Connor fait part de son sentiment sur cette relation : le Terminator sera toujours présent pour son fils, que ce soit pour jouer, pour le protéger, pour répondre à ses questions, plus que n’importe quel père de substitution. Cette scène, et beaucoup d’autres confrontant Schwarzenegger à John Connor enfant (Edward Furlong), font intervenir une double fonction que l’acteur a endossée à de nombreuses reprises dans les années 90 : celle de père/jouet – dans Terminator 2, mais également dans Un flic à la maternelle, Junior (Ivan Reitman, 1994) et, de manière totalement limpide et paroxystique, dans La Course au jouet (Brian Levant 1996).
On peut voir, dans cette incarnation récurrente du jouet, la figure un peu théorique de l’acteur qui se moule et agit selon les désirs et les a priori du spectateur, de ce fait assimilé à un enfant parfois capricieux. Mais cette idée du jouet est également liée à la figure paternelle qu’incarne de manière assez étrange Schwarzenegger dans le cinéma populaire américain des années 90. Il est la représentation ultime du père disponible, totalement dévoué à ses enfants car condamné à exaucer tous leurs vœux, à toujours devoir « jouer » avec eux. À l’ère de l’enfant-roi, la figure irréelle, surhumaine, de « Schwarzy » s’impose comme un idéal familial donné comme inatteignable – dans Terminator 2, il est présenté comme le seul père possible alors qu’il n’est pas humain. Cette fonction patriarcale qu’endosse l’acteur dans quelques films familiaux de la période la plus faste de sa carrière sur le plan commercial – et dans Terminator 2, qui est certes un « blockbuster » assumé mais ne porte peut-être pas encore en lui cette volonté affichée qu’ont ceux d’aujourd’hui de plaire au plus grand nombre – va également avoir comme effet secondaire de lui conférer, pour les deux décennies qui vont suivre, une image liée à une certaine forme d’ancienne garde, comme si le fait d'avoir été le père absolu de la décennie 90 l’eut condamné à vieillir prématurément, jusqu’à en devenir pratiquement obsolète.
Le Jugement dernier s’avère particulièrement prémonitoire sur ce point. Rétrospectivement, il est assez saisissant de constater que le film annonce la trajectoire que va prendre la carrière de Schwarzenegger et ce qu’il sera amené à devenir. En le confrontant aux CGI (computer-generated imagery, ou images de synthèse), à cet effet numérique parfait et insaisissable qu’est le T-1000(3), le film orchestre un face-à-face prophétique entre l’action star type des années 80-90 et l’effet spécial numérique, destiné à prendre le dessus sur celui-ci dans la décennie qui va suivre. Cette mise en commun de deux types d’action, l’une en pleine adaptation à de nouvelles normes – voire en pleine crise – et l’autre en devenir, donne lieu à des morceaux de bravoure physiques et esthétiques – en particulier la longue confrontation finale entre le T-800 et le T-1000, dans une fonderie – qui prennent une autre ampleur aujourd’hui. Elle met notamment en exergue la dimension nostalgique du héros d’action, représenté ici par Schwarzenegger qui, par son physique démesuré, préfigure également les corps numériques irréels des blockbusters actuels(4). Cette opposition entre une star sur le déclin – même si elle ne le sait pas encore – et l’image numérique atteint sa quintessence dans l’affrontement final et se traduit visuellement par le jeu sur les couleurs, entre le chaud et le froid, le rouge et le bleu. Dans ce climax long et douloureux pour l’acteur et ce qu’il représente, Schwarzenegger devra notamment en passer par l’automutilation – avant d’être défiguré puis mis à terre – pour faire face à son adversaire, qui lui a coincé le bras dans l’écrou d’une machine tournante.
Cette idée de martyr symbolique et d’un acte de violence infligé à soi-même est également très symptomatique – a posteriori, toujours – de l’état actuel des action stars d’antan. Il suffit de jeter un coup d’œil à la saga Expendables, dans laquelle Schwarzenegger et ses homologues (Stallone, Willis, Norris, Van Damme, etc.) rejouent de manière caricaturale et satirique les figures et archétypes qui sont censés avoir fait leur gloire dix, quinze ou vingt ans plus tôt. Il s’agit donc de mettre en exergue le fait que la gloire, la jeunesse et la force ont passé, de manière assez perverse, pour faire surgir de la comédie, ou tout du moins une ironie tout à fait pernicieuse. Un autre exemple de cette mise en scène de la « déchéance » de l’image de la star – d’autant plus cruelle qu’il s’agit d’un acteur de la performance physique – se trouve dans la filmographie tardive et très récente de Schwarzenegger, notamment deux films dans lesquels il incarne à nouveau un père, mais cette fois-ci confronté au deuil de son enfant et à une souffrance ostentatoire – sentimentale et psychologique, cette fois-ci – de pratiquement tous les plans(5).
Notes