« American Horror Story, 1984 » : Célébration et fin d'une époque
En s'attaquant au genre du slasher, la neuvième saison de « American Horror Story » convoque, pour mieux les railler, les clichés les plus éculés du cinéma d'horreur. Or, cet aspect humoristique n'empêche pas la série de surclasser la majorité de la production horrifique actuelle. « American Horror Story : 1984 » n'est ainsi pas un simple slasher mais une série fantastique à l'intérieur de laquelle le monde des morts communique avec celui des vivants.
« American Horror Story : 1984 », une série de Ryan Murphy et Brad Falchuk
S'ouvrant sur un générique délicieusement vintage recelant de références à la culture pop des années 80 (des converses au cours d'aérobic en passant par le baladeur cassette), cette neuvième saison d'American Horror Story joue, d'emblée, la carte de la nostalgie. En s'attaquant au genre du slasher, revenu à la mode, du moins à la télévision, dans les années 2010, avec des séries comme Scream et Slasher, Ryan Murphy et son équipe convoquent, pour mieux les railler, les clichés les plus éculés du cinéma d'horreur. Personnages stéréotypés à l'extrême (de l’héroïne encore vierge à la bimbo blonde en passant par le sportif écervelé), tueur réduit, du moins dans un premier temps, à son arme blanche, lieu clos hors du monde (ici un camp de vacances) : les codes du slasher sont tellement surexposés que ce début de saison frise d'emblée la parodie. Or, cet aspect humoristique n'empêche pas la série, et cela dès le premier épisode, de surclasser, par ses excès de violence graphique, la majorité de la production horrifique contemporaine. Les corps, dans American Horror Story : 1984, ne sont pas seulement meurtris par les coups de couteaux, ils sont littéralement broyés, massacrés lors de séquences particulièrement gores qui renvoient davantage aux série Z de Peter Jackson et de Brian Yuzna qu'au sous-genre du slasher tel qu'il a été rendu populaire, dès la fin des années 70, avec des films comme Halloween de John Carpenter ou Vendredi 13 de Sean S. Cunningham.
Cette surenchère dans la violence, une constante de la série depuis ses débuts, contribue à la déréalisation progressive de l'univers mis en place dans le premier épisode. American Horror Story : 1984 ne sera, en effet, pas un simple slasher mais une série fantastique à l'intérieur de laquelle le monde des morts communique avec celui des vivants au sein d'un même espace. Ce virage complet dans le fantastique, la série l'opère au bout de son quatrième épisode lorsque Ramirez, le traqueur de la nuit, revient d'entre les morts grâce au pacte qu'il a signé avec le Diable(1). En faisant d'un tueur en série, ayant réellement existé, un personnage de fiction, la série interroge assez intelligemment la fascination du public pour les serial killers, une fascination qui semble puiser sa source dans les années 80 mais qui, aujourd'hui encore, comme le prouve le succès de séries télévisées comme Dexter ou Killing Eve, est loin d'être ternie. Tout au long de cette saison, les noms de Ted Bundy, John Wayne Gacy et de Charles Manson ne cessent d'ailleurs d'être convoqués. Ils sont à la fois des références pour les apprentis psychopathes qui veulent se lancer dans le crime mais aussi un argument commercial pour attirer des foules de touristes dans les lieux les plus sordides des États-Unis. Si Ramirez apparaît comme une véritable personnification du Mal, il est cependant manipulé, au même titre que les autres assassins de cette saison, par une instance qui le dépasse. Dans American Horror Story : 1984, la psychologie n'est d'aucun recours face aux forces occultes. Donna, la psychologue interprétée par Angelica Ross, se rendra d'ailleurs rapidement compte, après avoir libéré le terrifiant tueur aux grelots, que la folie meurtrière n'est rien d'autre que la conséquence d'une possession démoniaque.
L'apparition du surnaturel, bien qu'un peu grossière, permet à la série de retrouver un second souffle après une mise en place des enjeux un peu artificielle. Le camp de vacances devient un purgatoire hanté par les victimes des différents tueurs qui y ont séjourné. Les notions de bien et de mal étant devenues caduques, chacun est appelé à devenir, au sein de ce nouveau microcosme, un véritable tueur en série. Les assassins ainsi que leurs victimes ont fini par créer leur propre communauté, un groupe bloqué à tout jamais dans les années 80 puisque les derniers meurtres ont eu lieu en 1989. Malgré son humour noir et ses effets gores outranciers, la série se termine cependant sur une note bien moralisatrice. Les fantômes décident de faire le bien et de protéger l'enfant du tueur aux grelots de la vengeance du diabolique Ramirez. Tout au long de cette saison, la série n'aura cessé de multiplier les retournements de situation les plus improbables. Alors que les assassins se multiplient à foison, les personnages changent totalement, d'un épisode à l'autre, de personnalité. Ainsi la très pieuse Margaret Booth, propriétaire du camp de Redwood, est une psychopathe sadique qui prend plaisir à arracher les oreilles de ses victimes tandis que Benjamin Ritcher, le dénommé tueur aux grelots, n'est pas coupable des crimes qui lui ont été imputés.
À force de twists scénaristiques, la série perd peu à peu toute vraisemblance, même dans le registre du surnaturel, pour devenir une sorte de synthèse grandiloquente du cinéma d'épouvante américain des années 70 à nos jours. On ne compte plus les références au slasher, de l'enfant mort sortant du lac de Vendredi 13 à l'évasion du tueur en série de l'asile psychiatrique d'Halloween en passant par la vengeance de l'adolescente souffre-douleur de Massacre au camp d'été et au ciré du croque-mitaine de Souviens-toi l'été dernier. La série présente aussi des mises à mort excessivement brutales qui évoquent la mode, au début des années 2000, du torture porn. L'histoire de la malédiction familiale qui donne sa résolution à l'intrigue de cette saison semble, quant à elle, tirée d'une production Blumhouse. Ce patchwork horrifique manque néanmoins de cohérence et, par moments, la série s'essouffle à vouloir trop en faire ou trop en montrer. Bien qu'une saison 10 ait été tournée, American Horror Story semble montrer, et cela depuis déjà quelques saisons, des signes de faiblesse évidents. La série, malgré son inventivité, notamment dans sa manière de mettre en scène des crimes aussi sanglants qu'extravagants, peine à tenir la distance sur le terrain de l'ironie méta-cinématographique d'autant plus que Wes Craven avait déjà proposé, dès le milieu des années 90 avec Scream, un programme similaire bien plus retors et maîtrisé.
Les titres des épisodes (Slashdance ou encore True Killers en référence à Flashdance et Tueurs-nés) en appellent, quant à eux, à la cinéphilie des spectateurs qui s'amuseront à chercher les multiples références que la série se plaît à disséminer au fil des épisodes . Sans doute conscients de l'impossibilité d'offrir autre chose que de la redite sur le plan fictionnel, les créateurs de American Horror Story : 1984 jouent avec les possibilités du format sériel en multipliant, à partir de l'épisode 6, les flashblacks et les flashforwards. Les scènes se font écho d'un épisode à l'autre et à travers le temps afin de construire une véritable radiographie de l'Amérique des années 40 à aujourd'hui, de la censure à la pornographie, de la morale conservatrice à l'émancipation sexuelle. Les fantômes du camp, finalement davantage coincés dans les années 70 que dans les années 80, revendiquent leur droit à la jouissance et multiplient, à l'image du sportif bodybuildé interprété par Gus Kenworthy, les expériences sexuelles avec des partenaires des deux sexes. C'est dans la mort que les personnages de American Horror Story : 1984 retrouvent paradoxalement foi en la vie. Mais si les fantômes sont appelés à ne jamais vieillir, c'est aussi le cas des deux survivantes du massacre : Brooke, interprétée par Emma Roberts, la tueuse de Scream 4, et Nola. Trente-cinq ans après leur entrée au camp de Redwood, les deux femmes n'ont presque pas changé. Leur statut de personnage de fiction a fait d'elles des êtres immuables appelés à rester figés, à l'intérieur de notre écran de télévision, pour l'éternité. Bien qu'inaboutie, cette neuvième saison d'American Horror Story célèbre, avec nostalgie, une époque révolue tout en invitant le spectateur à réfléchir aux modalités de la représentation télévisuelle contemporaine.
Notes