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Armande Pigeon au coeur de Bruxelles dans "Aimer perdre"
Interview

Serial galériens : Interview de Lenny et Harpo Guit pour « Aimer perdre »

Thibaut Grégoire
Nous avions découvert les frères Guit au moment de la sortie de leur premier long-métrage, Fils de Plouc, qui faisait souffler un nouveau vent de fraîcheur sur le cinéma belge, terrain sur lequel nous peinons souvent à trouver notre bonheur et des stimulations esthétiques. Leur deuxième film, Aimer perdre, creuse des pistes similaires, telles que le jeu et les influences de la comédie burlesque et potache, mais en prenant pour acquis les transgressions déjà opérées par Fils de plouc, pour mieux faire évoluer l'humour et leur forme de rire.
Thibaut Grégoire

 

« Aimer perdre », un film des frères Guit (2025)

 

Le titre du film, Aimer perdre, est un programme à lui tout seul qui véhicule une philosophie de la loose. En quoi est-ce important pour vous ? D'où vient cette idée fondatrice ?

Lenny Guit : On voulait surtout parler du jeu, d’un personnage qui aime tout risquer, qui à force de jouer perd et prend goût à perdre. Il y a donc cette idée que la défaite soit son essence pour continuer à avancer. Et on a voulu écrire un personnage qui ne se démoralise jamais quand elle prend des coups durs, qui trouve toujours un moyen de rebondir. Et, de manière basique, on aimait aussi simplement la sonorité de ce titre, « Aimer perdre ».

Harpo Guit : Il y a aussi une dimension d’empathie envers des personnages qui galèrent plutôt qu'envers ceux qui ont la « win ». Il y a des gens autour de nous qui nous touchent, qui ont ce goût de foirer des choses, de se faire virer de leurs petits boulots, etc. On voulait arriver à raconter ça au cinéma, ces personnages un peu « losers » pour lesquels on a beaucoup d’empathie et d’amour.

Vous explorez une certaine réalité sociale à travers ces personnages-là et aussi certains quartiers de Bruxelles. Est-ce qu'il y a pour vous, derrière la comédie, la volonté de toucher à quelque chose de plus social, voire de politique ?

Lenny : Il y a surtout des thèmes et des sujets vers lesquels on se dirige instinctivement, mais sans vraiment avoir la volonté de faire passer un message politique de manière frontale et explicite. On a l’impression que c’est justement en racontant les histoires de ces gens, ces parcours singuliers, que va apparaître le sous-texte social. Mais on n’a pas forcément envie de plaquer un discours sur le film. C’est plutôt notre envie de raconter différemment qui amène quelque chose de politique, indirectement. Mais il n’y a pas de programme préétabli.

Harpo : On veut éviter le prosélytisme, en tout cas. Mais ce qui transparaît dans nos films est forcément ce que l’on pense, notre idéologie. Les quartiers qu’on filme, ce sont aussi les endroits où nous habitons ou qu’on fréquente. C’est ce qu’on aime bien voir et donc ce qu'on aime bien montrer. Ce sont des choses et des gens qui nous font rire. D’une certaine manière, c’est aussi un peu ce que l’on vit, même si les situations et les personnages sont exagérés et démesurés. Le parcours d’Armande est évidemment un extrême parce que nous ne sommes pas à la rue ni dans la même situation, mais ça part de gens qu’on connaît et d’histoires qu’on entend.

Lenny : Nous avons aussi conscience que chaque geste artistique devient politique.

Harpo : Il faut donc rester vigilant pour ne pas envoyer de mauvais messages. Comme on part de notre envie de raconter des histoires, il peut y avoir des moments où ces histoires vont partir dans une direction qui ne nous plait pas parce que cela va dire ou induire quelque chose avec laquelle on n’est pas d’accord. Et à ce moment-là, on recalibre. Mais notre première ambition est de raconter des histoires.

La pauvreté des personnages dans Aimer perdre, une donnée aussi primaire que celle d’avoir faim, est aussi à la base du burlesque, de Chaplin et d’autres maîtres du burlesque classique….

Harpo : Oui, nous sommes très cinéphiles, on a vu les classiques, et c’est vrai que c’est ça la base de la comédie. Chez Chaplin ou même chez les Marx Brothers, il y a ces personnages de « serial galériens » qui sont toujours à la recherche de nourriture ou d’un petit boulot. Mais j’ai l’impression que ces personnages-là ont habité la comédie de tout temps. Dans la comédie italienne et même la comédie française, on retrouve ces personnages qui galèrent. C'est pour ça que les comédies nous touchent, au-delà de nous faire rire.

Lenny : Et le fait que le personnage soit toujours à la recherche de quoi survivre, ça crée aussi quelque chose de ludique. C’est presque comme dans les jeux vidéo, il faut avancer pour trouver la prochaine nourriture.

Le jeu est au cœur de vos films. Mais là où, dans Fils de plouc, les personnages utilisaient le jeu et les facéties en tous genres pour apporter de la légèreté dans leur quotidien difficile, le jeu dans Aimer perdre a pour Armande des conséquences sur sa vie et sur la suite de son parcours. Est-ce une évolution à laquelle vous avez pensé, à savoir intégrer le jeu dans les enjeux du scénario et du parcours du personnage ?

Lenny : On n’y a pas pensé comme ça, mais c’est intéressant. Cela nous stimule en tout cas de créer des personnages qui essaient toujours d’intégrer les éléments qui se trouvent à leur portée à un moment donné, et qui sont du coup toujours dans l’optique de s’amuser, de voir le côté drôle ou bizarre de la situation pour essayer d’en tirer un avantage. Les personnages de Fils de plouc, s’ils tombaient sur une cuillère, jouaient avec, et s'ils tombaient sur une crotte, jouaient avec aussi. Dans Aimer perdre, ça part de la même chose, mais on y intègre une dimension presque « survival », dans laquelle le personnage va se demander comment en tirer profit. Elle va jouer avec la cuillère ou avec la crotte mais pour en faire un pari, pour gagner une petite somme.

Harpo : La base d’Aimer perdre, c’était de toute façon de faire un film sur le jeu, mais pas forcément de le mettre en relation avec Fils de plouc. On avait vraiment envie de faire un film sur une joueuse. Le jeu est quelque chose qui nous habite au quotidien, et ça avait donc du sens pour nous de faire un film sur ça.

Dans Fils de plouc, il y avait aussi cette idée d’aller toujours plus loin dans la transgression des tabous, de tester les limites de ce dont on peut rire. Dans Aimer perdre, il n’y a plus vraiment cet élan-là, à quelques exceptions près. C’est comme s’il n’y avait plus grand-chose à transgresser, et que vous pouviez maintenant prendre ça pour acquis. Les bases de votre humour transgressif ont été posées, il ne reste plus maintenant qu’à le dérouler, à le développer…

Lenny : Ce qui nous questionnait quand on a fait Fils de plouc, c’était de savoir comment faire son entrée dans le cinéma. Et l’idée de repousser toutes les barrières entrait en ligne de compte dans cette réflexion. On avait regardé plein de premiers films de réalisateurs qu’on admire, en ayant en tête cela : quel était le premier « goût » que l’on allait donner aux spectateurs. Et à la fin de Fils de plouc, on est reparti avec l’envie d'aller dans de nouvelles directions, d’essayer de nouvelles choses, donc c’est vrai qu’on n’était plus dans cette optique de vouloir transgresser et choquer à chaque scène mais plutôt dans celle de raconter une autre histoire, qui soit tout de même dans la continuité de ce qu’on avait fait.

Dans Aimer perdre, Armande Pigeon recueille un pigeon et le soigne. Il y a évidemment un côté allégorique un peu littéral, qui sous-entend qu’en s’occupant du pigeon elle s’occupe d’elle-même. Mais cette information, son nom de famille, est dévoilée assez tard dans le film, ce qui crée une sorte d’épiphanie. On ne réalise qu’à ce moment-là ce que peut signifier cet élan maternel envers le pigeon, donnant une autre dimension à ce qu’on a vu.

Lenny : Notre idée était qu’elle prenne soin du pigeon comme elle aimerait que les gens prennent soin d’elle. Mais concernant l’effet dont vous parlez, j’avoue que c’est quelque chose auquel on n’avait pas pensé. C’est le hasard, mais il fait bien les choses.

Harpo : C’est vrai que dans le film, son nom n’est dit pour la première fois qu’au moment de la scène du casting, qui intervient plus ou moins à la moitié. Mais dans le scénario, ça intervenait beaucoup plus tôt. Et je pense même que sur le tournage, il y avait des scènes qui devaient se trouver dès le début du film, dans lesquelles son nom était prononcé.

Un des nombreux jeux auxquels prend part Armande
© UFO Distribution

Il y a aussi un lien évident à tisser avec Showing Up de Kelly Reichardt, dans lequel l’héroïne s’occupe aussi d’un pigeon alors que sa vie n’est pas au beau fixe, et qui se termine par l’envol de l'oiseau. Est-ce que vous avez vu ce film ou est-ce une simple coïncidence ?

Lenny : On ne l’a pas vu mais tout le monde nous parle, effectivement, de ce lien entre les deux films. C’est marrant parce que pour Fils de plouc, on nous parlait d’un autre film de Kelly Reichardt, Wendy et Lucy, parce que l’héroïne y perdait son chien, comme Issachar et Zabulon. Il doit donc certainement exister un lien entre notre cinéma et le sien.

Harpo : J’avais beaucoup aimé Wendy et Lucy et aussi First Cow. Kelly Reichardt développe une approche spéciale des animaux.

Lenny : Par contre, c’est une des réalisatrices préférées de notre chef opérateur, Kinan Massarani, qui aurait sûrement une meilleure réponse à cette question. (Rires)

Comment est-ce que vous travaillez l’humour et les gags ? Dans Fils de plouc, surtout durant tout le début du film, il y a une enfilade de gags hilarants et imparables, qui provoquent un rire primaire, incontrôlable. Dans Aimer perdre, il y a moins ce type de rire-là, on est dans quelque chose de plus construit sur la longueur, qui ne provoque pas forcément cette réaction physique immédiate. Ça partait d’une envie, d’une nécessité par rapport au sujet ?

Lenny : On est peut-être juste devenus moins drôles. On a moins d’idées de gags (rires). Mais surtout, sur Fils de plouc, on se prenait la tête pour trouver le plus d’idées possibles de gags pour que ça fourmille à chaque scène. Sur Aimer perdre, on était plutôt dirigés par l’idée que l’histoire ne soit pas sacrifiée pour un gag. On voulait toujours rester avec ce personnage d’Armande, souffrir avec elle, rire avec elle. On a quand même essayé de mettre des gags quand on a pu mais ce n'était pas grave s'il n'y en avait pas.

Harpo : C’est vrai qu’on réfléchissait beaucoup plus à insérer certains gags ou pas. On se disait parfois que c’était trop gratuit. Mais j’ai l’impression qu’on a quand même réingurgité beaucoup de gags en réécrivant, et qu’il y en a quand même au moins un par scène. La dynamique de Fils de plouc était aussi particulière parce qu’on avait deux personnages qui cherchaient continuellement à se faire rire l’un l’autre, d’où cet enchaînement frénétique. Mais même là, on voulait que tout serve l’histoire et son développement, ce qui nous a poussé à couper beaucoup de gags.

Il y a par contre, dès l’ouverture d'Aimer perdre, la présence de ces petits avions modélisés et de ce sport hallucinant où les participants tournent en rond pour les faire voler. Voilà une pratique préexistante qui est drôle telle quelle et qu’il ne faut même pas modifier pour que ça fasse rire.

Lenny : On a découvert une vidéo de ce sport sur internet, et en la voyant on s’est dit effectivement qu’il fallait le montrer tel quel. On l’a juste recréé avec nos acteurs de la manière la plus précise possible et en l’intégrant à l’histoire. C’est notre manière de faire des films que d’intégrer toutes les petites choses qui nous font rire ou qui nous touchent au moment où on est en train d’écrire. Ce sont plein de petits ingrédients qui s’amoncellent et qui viennent créer cette structure finale. Ce sport-là, par exemple, on avait l’impression de n’avoir jamais vu ça au cinéma, ce qui nous donnait encore plus l’envie de l’intégrer, d’autant plus que ça faisait écho avec l’histoire du pigeon, du vol, etc. Il y a un aspect circulaire qui rappelle que le personnage tourne aussi en rond.

Dans le rire, il y a aussi le physique des comédiens qui entre en ligne de compte. Les corps burlesques évidemment et aussi la « gueule ». Est-ce que ça intervient dans le casting et la distribution des rôles ?

Harpo : Ce sont surtout des gens qui nous font rire dans la vie. On ne se dit pas nécessairement qu'un acteur ou une actrice a un corps marrant, mais inconsciemment on le sait parce qu’ils nous font rire.

Lenny : En règle générale, on n’a pas trop l’habitude de voir les corps bouger dans tous les sens. Beaucoup de choses que l'on voit sont en champ/contrechamp et ont un aspect figé. Nous, on essaie justement de pousser les comédiens à bouger dans l’espace tout le temps, de jouer avec le décor, pour donner cette impression plus « physique ». C’est ça qui met en valeur l’aspect hors normes de certains corps, alors qu’en réalité tous les corps sont bizarres. Et concernant le faciès, la « gueule », c’est parce qu’on est fans de Jerry Lewis et de Louis de Funès. On veut utiliser la grimace comme ressort comique.

Harpo : Et c’est la base du burlesque de montrer des corps marrants qui déambulent dans des plans larges. On a un très bon ami qui était de fan de Camping et qui en parlait en disant que c’était génial parce que c’était un type en slip qui déboule et qui parle. C’est la base du comique, de faire bouger des corps bizarres dans des plans larges.

En parlant de ça, est-ce qu’il y a des choses qui vous intéressent dans la comédie française contemporaine ?

Lenny : Il y a plein de gens qui nous font rire : Jonathan Cohen, Blanche Gardin, Kervern et Delépine, Fred Blin, Monsieur Fraize…

Harpo : Également la dernière série de Jérôme Commandeur. Et Le Nouveau de Rudi Rosenberg, qui est une sorte de « kid movie » très drôle.

Melvil Poupaud figure au casting d'Aimer Perdre, et Mathieu Amalric était dans Fils de plouc. Est-ce qu'il y a d’autres acteurs et actrices connu.e.s auxquels vous avez déjà pensé en tant que corps burlesques susceptibles de se fondre dans votre cinéma ?

Harpo : En fait, il y a plein de gens qui nous intéressent et auxquels on a déjà proposé de participer à nos films, mais qui ont refusé.

Lenny : C’est peut-être parce qu’on a une démarche particulière. Dire à quelqu’un qu’il a un « corps burlesque » pour le faire venir, c’est délicat. Il y a plein d’acteurs qu’on adore mais c’est difficile de dire avec lesquels on fera des films. Si on fait encore des films….

Cela semble en bonne voie vu l’accueil critique que vous avez, notamment dans la presse cinéphile française. Comment vivez-vous ce succès critique ? Voyez-vous une différence avec la réception de vos films en Belgique ?

Harpo : Non, il n’y pas vraiment de différence pour le moment. C’est positif dans les deux cas, et c’était plutôt le cas aussi pour Fils de plouc. Reste à voir si ça suivra au niveau de la réception du public. La seule différence, c’est que la France nous découvre un peu avec Aimer perdre, tandis qu’en Belgique plus de gens se réfèrent à Fils de plouc.

Vous avez tourné avec des petits budgets. Au vu du succès que vous rencontrez, il est probable qu'on vous donne plus de moyens à l'avenir. Avez-vous déjà réfléchi à faire évoluer votre cinéma dans une plus grosse structure ?

Harpo : C’est très difficile de se projeter par rapport à ça, tellement c’est dur de monter un film et de trouver des financements. Le film ne marche pas non plus de manière phénoménale au niveau public et une critique majoritairement positive n’amène pas forcément des financements, malheureusement. Et puis, on n’a pas vraiment envie de fonctionner avec des plus gros budgets.

Melvil Poupaud, corps burlesque intégré au cinéma des frères Guit
© UFO Distribution

Dans cette configuration économique-là, avec des petits budgets, comment se passent les tournages ? Vous filmez dans le Bruxelles populaire, dans la vie de tous les jours, et il y a une impression de tournage sauvage qui transparaît. Comment intégrez-vous la population aux scènes, par exemple ? On a parfois l’impression que c’est tourné en caméra cachée, qu’il y a dans le cadre des quidams et des passants qui ne sont pas forcément au courant qu’ils figurent dans un film.

Harpo : C’est vrai que la mise en place que l’on fait, avec une petite équipe et des acteurs comme María Cavalier-Bazan, qui ne sont pas des têtes connues du public, nous permet de tourner vraiment au milieu des gens sans qu’ils ne sachent si c’est un vrai film professionnel ou un film d’étudiants ou autre. Et maintenant qu’il y a des caméras partout, la plupart des gens s’en fichent qu'on les filme. Ça nous permet vraiment d’être sauvage dans l’approche. C’est vraiment agréable et on aimerait bien garder cette liberté-là le plus longtemps possible. Mais c’est notre âge aussi qui nous permet de tourner de cette manière. Quand on a soixante ans, je comprends qu’on n’ait plus spécialement envie de tourner à l’arrache. Il y a forcément une évolution qui va se faire, mais cela viendra avec nos envies. Pour le moment on veut juste trouver ce que l’on a envie de raconter, réfléchir à comment il faut le faire et aux meilleurs dispositifs à mettre en place pour y arriver.

Dans Aimer perdre, il y a toute une partie qui se déroule dans un casino bruxellois. Comment avez-vous filmé cela ? Dans cette séquence, on dit justement aux personnages qu’ils ne peuvent pas filmer ni se prendre en photo, et la façon dont ils sont filmés à ce moment-là rejoint aussi un peu le style caméra cachée, en mode guérilla.

Harpo : En effet, on avait toutes les autorisations pour avoir accès au casino et le filmer mais, pour aller dans le sens du scénario, on a tourné en mode guérilla, avec des iPhones. Il n'y avait que des acteurs et des figurants, tout le monde était au courant de ce qui se passait, mais on a voulu donner ce goût de guérilla à la scène, car c’est en vérité interdit de filmer ou de prendre en photo dans les casinos. Et il y a malgré tout quelques spectateurs qui y croient.

Quand on fait de la comédie en Belgique, on risque très vite de se ramasser des étiquettes « du cru » telles que « surréalisme », « décalage à la belge », etc. Est-ce que le fait de choisir la comédie ne colle pas encore plus facilement des étiquettes parce que les gens se font des idées précises sur la comédie, plus que sur le drame qui est plus ouvert, par exemple ?

Lenny : Je pense que tous les genres s’exposent au fait d’être très vite labellisés. Nous, on essaie de tourner cela à notre avantage et on fait la collection des adjectifs qui nous sont accolés. Il nous manque « foufou » et « sympatoche » (rires). Mais ça fait partie du jeu quand on fait des films. Et on savait aussi en faisant un deuxième que l’on allait forcément se prendre des remarques quant au fait que le premier était meilleur, ou plus « couillu ». On sait que les gens ont besoin de s’appuyer sur des références et de comparer les œuvres. On essaie donc d’avancer sans trop y penser, ou sans montrer qu’on y pense.

Il y a des gens qui trouveront que le premier était meilleur mais l’inverse est vrai aussi. Aimer perdre est par exemple défendu par Hugues Dayez, l’indécrottable critique de la RTBF, alors qu’il trouvait bien entendu Fils de plouc vulgaire. Ce film-ci ouvre donc l’horizon de vos spectateurs.

Lenny : On a donc raté notre coup parce qu’on ne veut faire que des films qui déplaisent à Hugues Dayez, à vie. C’est un peu notre moteur dans l’écriture (rires) !

(À ce moment débarque au milieu de l’interview María Cavalier-Bazan, l’interprète d’Armande Pigeon dans le film, informant Lenny et Harpo Guit qu’ils doivent bientôt rejoindre un autre lieu dans leur journée de promotion.)

Les dernières questions porteront sur vos goûts en matière de comédie. Qu’est-ce que vous conseilleriez dans la comédie américaine contemporaine, par exemple ?

Harpo : Je n’en dirai qu’une, la série Curb Your Enthusiasm de Larry David.

Lenny : Et moi je dirais Jackass, la série et les films.

Pouvez-vous réexpliquer ce goût pour la comédie américaine, potache notamment ?

Lenny : Il y a quelque chose qui nous excite dans ce cinéma qui est un grand spectacle et qui, au-delà de faire rire ou pleurer, provoque aussi des réactions de dégoût ou de surprise. Le cinéma, même s’il raconte des histoires intenses, tristes et drôles, est aussi un spectacle qui peut être très prenant et qui va créer une aventure commune pour les spectateurs. On a envie d’entendre vivre les spectateurs et provoquer des réactions presque physiques, des cris de surprise ou de dégoût. Dans les deux références qu’on vient de donner, il y a cet effet-là : Curb Your Enthusiasm peut faire rire à gorge déployée, et Jackass montre parfois des choses dégoûtantes qui ne peuvent pas laisser indifférent. On veut faire ça, provoquer des réactions vocales, qui soient jouissives.

Harpo : On a aussi grandi avec Les Simpson, que l’on regardait tous les soirs. Et South Park aussi. Du coup, on a aussi regardé ce que les créateurs de ces séries aimaient et prenaient comme références, ce qui a construit notre cinéphilie.

Cela explique aussi le côté cartoonesque de votre cinéma. Surtout de Fils de plouc, dont les quinze premières minutes rappellent d’ailleurs, dans l’aspect quasi hystérique du déferlement de gags et du rire immédiat, tout le début de South Park - Le film, avec lequel il partage un même rythme délirant.

Lenny : C’est un honneur d’être comparés à Trey Parker et Matt Stone, les créateurs de South Park, qui sont pour nous des dieux vivants.

Harpo : Chaque fois qu’on en parle avec des gens de notre génération, on se rend compte que ça a été une révolution pour tout le monde. C’était tellement fou, ce qu’ils se permettaient de faire, par rapport à ce qui avait précédé.

Lenny : Sinon, dans le cartoon, il y a aussi Bip Bip et le Coyote qui nous a beaucoup marqué.

Et dans le cinéma belge de comédie, est-ce que vous avez des références ? Des recommandations ?

Lenny : Pour moi, la plus grosse référence belge reste la série documentaire Strip-tease.

Harpo : Notre cinéphilie en termes de cinéma belge s’est construite sur le tard quand on est arrivé en Belgique, donc on continue à le découvrir.

María Cavalier-Bazan : Pour moi, il y a C'est arrivé près de chez vous, et aussi les films de Dominique Abel et Fiona Gordon qui sont de grosses références, avec la figure du clown.

Lenny : Vase de noces, Panique au village,…. Et il y a aussi plein de courts-métrages qui ont été très inspirants. Une des premières fois qu'on est venus en Belgique, avant de s’y installer, c’était parce qu’on avait été sélectionnés dans le festival « Courts mais Trash », et on y a vu plein de films un peu « dégueus » qui ont provoqué plein de réactions dans la salle, ce qui nous a motivé et donné encore plus envie de faire Fils de plouc.


Interview réalisée à Bruxelles le 1er avril, par Thibaut Grégoire. Questions préparées en collaboration avec Guillaume Richard.
 

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